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1972 : en Grande-Bretagne, la «petite révolution» du travail à domicile pour les femmes

1972 : en Grande-Bretagne, la «petite révolution» du travail à domicile pour les femmes

Depuis 2020 et la crise de la Covid-19, le télétravail s'est développé. Mais de nombreuses entreprises, comme Ubisoft, font aujourd'hui marche arrière sur ce dispositif. Pourtant, travailler depuis son domicile ne date pas d'hier. En 1972, l'émission «Horizons» s'intéressait à des femmes informaticiennes qui travaillaient à distance. 

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 16.10.2024
Travail à domicile en Grande Bretagne - 1972 - 08:56 - vidéo
 

L'ACTU.

Plusieurs dizaines d'employés d'Ubisoft sont en grève pour protester contre la fin du télétravail à 100 %. En septembre 2024, la firme spécialisée dans les jeux vidéos avait en effet annoncé à ses employés l'obligation de revenir travailler au moins trois jours par semaine dans les locaux de l'entreprise.

Ubisoft n'est pas la seule grande entreprise à prendre ce genre de décisions. Dernièrement, Amazon a demandé à ses employés de revenir au bureau à plein temps. RFI note aussi un retour en arrière sur le télétravail dans plusieurs entreprises américaines comme Meta, Goldman Sachs, ou Google.

On sait que le télétravail s'est fortement développé à la faveur de la crise de la Covid-19 en 2020. Ce que l'on sait moins c'est que celui-ci ne date ni de cette période, ni même du boom des nouvelles technologies dans les années 1990 et 2000. Retour en 1972 en Grande-Bretagne avec des informaticiennes qui travaillaient depuis leur domicile.

L'ARCHIVE.

« Madame Cropper, que nous voyons ici, elle aussi est programmeuse, mais elle travaille à la campagne, ici même, chez elle, à domicile. » En 1972, la bien nommée émission « Horizons » de l'ORTF, s'intéressait à un phénomène nouveau se développant en Angleterre : le travail à domicile. Permis par les évolutions informatiques, il s'agissait pour des employés du secteur de travailler à distance des locaux de leur entreprise, grâce à un téléphone et un terminal d’ordinateur.

Dans l'extrait en tête d'article, les journalistes avaient rencontré plusieurs de ces employées. Car, et c'est là la spécificité de ce dispositif précurseur, ce programme de travail à domicile concernait principalement des femmes. « Madame Cooper est à l'origine d'une petite révolution dans l'informatique, expliquait ainsi l'archive. Elle a lancé la programmation à domicile et à temps partiel, loin des villes, des usines et même loin des ordinateurs. Grâce à elle, il y a un peu partout en Grande-Bretagne des programmeurs qui pratiquent à domicile, comme d'autres, la couture, le tricot ou la dactylographie à façon. »

Qui était Mme Cropper ?

À cette époque où la télévision évoque plus souvent les femmes dans leur rôle de « ménagères » qu'en tant qu'employées, plusieurs des femmes d'affaires anglaises profitaient des nouvelles technologies et de leur réussite professionnelle pour proposer des solutions à leurs collègues femmes. Parmi elles, Stéphanie Shirley a créé en 1960 l'entreprise Freelance Programmers - elle appartient aujourd'hui au géant de la tech Sopra Steria - principalement composée de femmes informaticiennes. Elle y proposait des horaires flexibles et du télétravail pour que ses employées puissent poursuivre leur carrière après leur mariage et la naissance de leurs enfants. Très grande femme d'affaire anglaise, elle est notamment connue pour avoir entamé sa carrière en signant du nom masculin Steve afin de favoriser la réussite de son entreprise, dans un secteur largement dominé par les hommes.

En 1985, Stéphanie Shirley nomma Hilary Cropper à la direction générale de son entreprise, une autre femme d'affaire du secteur informatique. Également pionnière, elle avait imaginé dès les années 70 un dispositif pour permettre aux femmes enceintes et aux mères de poursuivre leur carrière. Elle a notamment mis en place au sein de l'entreprise International Computers Limited (ICL) un emploi à domicile et à temps partiel aux employés qui le souhaitaient. C'est elle que l'on voit dans l'archive en tête d'article, sous le nom de madame Cropper.

Tout en gardant sa fille sur ses genoux, Hilary Cropper expliquait comment elle en était venue à cette idée de travail depuis la maison : « Il y a deux ans, quand j'ai eu Elizabeth, je tenais beaucoup à continuer mon travail, mais je voulais aussi être à la maison avec les enfants et j'ai réalisé qu'il y avait de nombreuses autres femmes dans mon cas qui avaient acquis une grande expérience dans l'informatique, laquelle était simplement perdue pour tout le monde. »

Madame Wharton, informaticienne depuis chez elle, présentait à la caméra son dispositif de travail. « En quelques minutes, elle va redevenir ingénieure », assurait le commentaire. Et de décrire : « Elle demande à être mise en ligne avec l'ordinateur. Et soudain, la petite demeure familiale devient une succursale, un prolongement du centre de calcul de l'une des plus grandes firmes d'informatique du monde. Derrière cette modeste fenêtre, que se décide-t-il ? L'avenir d'un programme scientifique fondé sur le calcul, la gestion d'une usine, le lancement d'un nouveau produit. La maison familiale est oubliée. Elle n'existe plus. Madame Wharton est en tête-à-tête avec l'ordinateur ».

Des avantages et des inconvénients

Hilary Cropper revient sur la mise en place de ce dispositif : « C'était une idée très nouvelle que l'idée de travailler entièrement seule en établissant une liaison et en allant sur place uniquement quand c'est nécessaire. Et ceci est très peu fréquent en réalité. Il y a donc eu une hostilité initiale à surmonter ».

Si le dispositif était une réussite, elle notait cependant la difficulté à couper entre sa vie privée et professionnelle. « Ce travail envahit la maison en quelque sorte. On ne peut jamais savoir si quelqu'un ne va pas téléphoner le soir ou pendant la journée, n'importe quand. Et j'ai le sentiment d'être toujours sur le qui-vive. »

Une remarque toujours d'actualité, alors que le télétravail s'est généralisé. La chercheuse en économie du bien-être Claudia Senik note ainsi dans un article récent : « Les femmes, et notamment les mères de jeunes enfants, accordent une plus grande valeur à la possibilité de télétravailler. Il s’agit évidemment, pour elles, d’essayer de mieux concilier contraintes familiales et professionnelles. Pourtant, toutes les études empiriques concluent à l’effet négatif du travail à domicile sur leur bien-être ». Et de conclure : « Ces résultats confirment la plus grande porosité des espaces professionnels et familiaux pour les femmes, c’est-à-dire l’asymétrie des rôles masculins et féminins. (...) Le télétravail agit ici comme un révélateur des normes de division du travail entre hommes et femmes. »

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