L'ACTU.
Les consommateurs de viande de cheval sont de moins en moins nombreux. À Paris, par exemple, il ne reste plus qu’une boucherie chevaline, celle de Jacques Leban, située rue Cambronne (15e). Le Parisien a consacré un portrait à ce dernier boucher qui devrait bientôt prendre sa retraite. Les boucheries chevalines ont longtemps eu pignon sur rue, mais les mentalités ont changé et les sensibilités ont évolué concernant la consommation de viande de cheval. Dans cet article, Jacques Leban avoue son ras-le-bol, notamment d’être « traité d’assassin parce qu’il vend du cheval ». Les nombreuses campagnes des protecteurs des chevaux, notamment celles de Brigitte Bardot, y sont sans doute pour beaucoup. La viande de cheval n’a donc plus la cote et le nombre des boucheries diminue sur le territoire national. Les chiffres du syndicat national chevalin confirment le déclin, puisqu’en 2021, il ne restait plus que 250 boucheries chevalines en France.
Pourtant, la viande de cheval a connu son heure de gloire. Autrefois, ses qualités nutritionnelles étaient louées par le corps médical, elle était présentée comme moins grasse, vitaminée et était vendue plus cher que le bœuf. Si l'érosion est flagrante, contre toute attente, la filière chevaline s’est maintenue et a parfois retrouvé du souffle, souvent à l'occasion des crises sanitaires : vache folle (ESB), poulet à la dioxine ou fièvre aphteuse, chaque scandale a ramené les consommateurs vers la viande de cheval. C'est ce que nous allons voir à travers des archives.
LES ARCHIVES.
Commençons par l'année 2001, elle est intéressante à plus d'un titre. Depuis la crise de la vache folle (1991) ou de la fièvre aphteuse (2001), la viande de cheval a connu un rebond spectaculaire. À l'époque, le cheval ne représentait que 3% de la consommation nationale, mais à Paris, par exemple, les boucheries chevalines enregistraient une augmentation de leurs ventes de 60%. Les clients faisaient confiance à la filière, ceux qui mangeaient jadis du cheval revenaient, comme le montre le reportage ci-dessous et le micro-trottoir de clients : « Ça donne des forces », « C'est très bon », « C'est une bête saine ».
Vache folle : augmentation de la consommation de viande de cheval
2001 - 01:36 - vidéo
Claudette Quantin (boucherie chevaline, Paris 16e) explique pourquoi le cheval ne peut pas contaminer le consommateur car « il ne boira jamais d'eau sale ni de farine animale ».
L’archive en tête d’article, issue du JT régional de France 3 Picardie, est un bon exemple des nombreux sujets consacrés aux boucheries hippophagiques dans les journaux télévisés régionaux cette année-là. Le 19 mars 2001, Picardie première consacrait un long portrait à Bertrand Cordier, un boucher chevalin d’Abbeville, dans le nord de la France, l’une des régions où la consommation de viande de cheval était - et reste - plébiscitée.
Le sujet débutait dans la campagne picarde où Bertrand Cordier achetait ses chevaux « dans les prairies où l’herbe est bien grasse ». Devant deux chevaux, le boucher vantait les mérites de cette viande « bien nourrie » et « plus goûteuse ». Plus tard, dans sa boucherie indiquée par une enseigne à tête de cheval très caractéristique les clients vantaient la qualité de cette viande « certes plus forte », mais juteuse.
La viande moins grasse demandait néanmoins un travail de préparation plus difficile que pour la viande de bœuf et nécessitait un « épluchage plus soigné, plus précis » qui consistait à enlever tous les nerfs et les graisses. Mais la viande était de toute façon moins grasse que le bœuf, il n’y « a pas de gras dans ses viandes », assurait-il.
En ces temps de fièvre aphteuse et d'ESB, la viande de cheval offrait plus de sécurité et de traçabilité. Un argument auquel les clients étaient sensibles. Le boucher expliquait que le cheval n’étant pas un ruminant n’attrapait pas les mêmes maladies que le bœuf, le mouton ou le veau, « le cheval ne peut pas attraper la fièvre aphteuse, il peut le véhiculer, mais ne l’attrape pas », rassurait-il.
Une quinzaine d’années plus tôt, les chevaux avaient pourtant été aussi au cœur d'un scandale sanitaire, porteurs de la Trichinose, un parasite venu des pays de l’Est, mais depuis, elle était dépistée et surveillée dès l’abattoir. Les tests étaient obligatoires. Le problème était réglé.
Le sursaut de la filière
Après 2001, la relance de la consommation de la viande de cheval allait donner de l’espoir à la profession. En 2003, 29% des Français consommaient toujours de la viande de cheval, mais il ne restait plus que 1200 bouchers hippophages. Alors la profession essayait d’inverser la tendance pour que la boucherie chevaline redevienne un métier d'avenir.
Dans une grande campagne de promotion de la viande de cheval au Salon de l'agriculture, la fédération proposait de relancer une production hexagonale et de former des jeunes au métier, avec la création d’une école professionnelle. Robert Virmaux, artisan-boucher décrivait leur cursus : « Ils commencent comme apprenti, une fois qu’ils sont ouvriers un petit peu spécialisé, on les encourage à rester chez nous. C’est un métier où on a besoin de jeunes, on a besoin de bras. »
La relève semblait assurée à entendre un jeune boucher, Frédéric Morichon, qui avait choisi cette voie en reprenant l’unique boucherie chevaline de Limoges : « C’est une viande qui est très saine. Il n’y a pas d’élevage, il n’y a pas de forcing sur les élevages. On ne leur demande pas de faire des kilos et des kilos de viande sur une bête. »
La boucherie chevaline relancée ?
2003 - 02:03 - vidéo
Mais la lente érosion allait reprendre et s'accentuer en 2010. De 90 000 tonnes de viande en 1970, la consommation était passée à 30 000 tonnes en 2009. À peine 2,5 kilos par Français, avec un âge moyen du client qui dépassait 50 ans. Une campagne de la fondation Bardot allait encore accentuer la fonte des ventes. Elle marquait en effet l'opinion en demandant l'interdiction de la vente de viande de cheval en dévoilant des d'images choquantes de mise à mort de chevaux en abattoir. La fondation apportait, en outre, une proposition de loi pour faire passer le statut des chevaux d'animal de rente à animal de compagnie... À l’époque 16 000 chevaux en France finissaient encore à la boucherie.
Le scandale des lasagnes relance le cheval
Mais une fois de plus, la filière allait devoir son salut à un nouveau scandale touchant la viande. En 2013, le cheval représentait alors moins de 1% de la consommation totale de viande, 700 bouchers chevalins exerçaient encore. En France, la crise des lasagnes surgelées à la viande de cheval (au lieu du bœuf annoncé) secouait l'opinion. On aurait pu penser que les Français rejetteraient la viande de cheval, bien au contraire, pour les amateurs cela suscitait un nouvel intérêt, et pour les autres une curiosité. C'est ce que montre ce reportage réalisé chez Stéphane Sibué, dans la seule boucherie chevaline du Puy-de-Dôme. Le micro-trottoir présenté dans cette archive donnait une idée de ce regain d'appétit pour l'équidé...
Eleveur chevalin et boucherie chevaline
2013 - 02:00 - vidéo
« Elle est très tendre. Mon mari aime bien cuit, et ça se coupe comme du beurre. C'est une viande que mes parents m'ont fait découvrir étant enfant. On en a toujours mangé. », « Selon les pièces, le goût est totalement différent. C'est un plaisir à chaque fois. »
Une viande riche en fer, peu onéreuse, tendre, voilà les arguments que la filière continue à mettre en avant pour que la tradition perdure. Mais le nombre des boucheries chevalines ne cessent de baisser, on estime qu’il y en a moins de 1000 en France. Une région résiste, les Hauts-de-France où on en dénombre encore 200. Plus de 20% de la viande de cheval y est consommée.
Un goût qui daterait de l'époque où les chevaux des champs ou de la mine étaient réformés et envoyés aux abattoirs. Pour trouver les boucheries, il faut bien souvent se rendre au marché pour trouver un point de vente, comme la boucherie du marché de Saint-Saulve (59) où la clientèle est fidèle.
Les Hauts de France friands de la viande de cheval
2019 - 03:55 - vidéo
« C'est plus fort, mais si vous avez du poulain, c’est plus fin… pauvre bête aussi ! » (rire gêné d'une cliente)