Photographies promotionnelles pour le site archéologique libanais de Baalbek. Collection du DEP.
INA – Pouvez-vous nous expliquer les contours de ce projet ?
Elissar Naddaf - J'ai commencé à travailler sur ce programme en décembre 2019. En tant que conseillère des médias francophones auprès du ministre de l’information libanais, je suis cheffe de projet pour la partie libanaise. Je travaille de concert avec Thomas Monteil qui lui est chef de projet pour la partie INA. Le projet « Sauvegarde, numérisation et valorisation du patrimoine des médias libanais » vise quatre institutions qui sont sous la tutelle du ministère de l’Information. D'abord Radio Liban, qui diffuse sur deux fréquences, 96.2, radio francophone partenaire de Radio France Internationale (RFI), et 98.5 pour la partie arabophone. Ensuite l’Agence nationale de l'information (ANI), source officielle de toute information dans le pays. Elle a presque 120 correspondants dans toutes les régions libanaises. Puis la direction études et publications, un département du ministère de l’Information où on trouve les revues de presse, les publications et un grand nombre de photos très anciennes. Et enfin, Télé Liban qui a été fondée en 1959. Elle a un statut un peu à part puisqu’elle dispose d’un conseil d'administration, mais elle est sous la tutelle du ministère de l'Information. Télé Liban disposait de deux canaux : le Canal 9 qui était le canal francophone mais dont l’émission a été stoppée pendant la guerre civile. Et le canal 7, arabophone, qui est toujours existant.
INA - Quelles sont les attentes pour le ministère de l’information libanais ?
E. N. - Les archives de ces quatre institutions sont des archives à valeur patrimoniale et nationale. Elles témoignent de l'âge d'or du pays, de Télé Liban, de Radio Liban et de l'Agence nationale. Ce sont des archives de valeur qui ont été négligées durant la guerre civile et durant la période d'après-guerre parce qu’elles n’étaient bien évidemment pas la priorité de l'État libanais. La priorité, c'était plutôt l'économie, la sécurité. Ces archives témoignent des atrocités de la guerre. Une partie de ces archives a été dispersée un peu partout et nous avons eu du mal à les retrouver. Une autre partie a été pillée. Vous savez, ces documents ont été durant des mois ou bien des années dans des immeubles qui ont été détruits par la guerre. Ce n’est donc pas évident. Ce sont des archives d’une très grande valeur. Nous voulions donc les sauver à tout prix. Il y a eu plusieurs tentatives dans le passé avec le ministère, avec les anciens ministres, pour sauver ces archives et les sauvegarder, notamment une partie qui souffrait du syndrome du vinaigre. Mais nous étions toujours heurtés à des problèmes de financement.
INA - Quelles sont les finalités attendues ?
E. N. – Il faut numériser et valoriser ces archives. La finalité de ce projet est essentiellement culturelle et scientifique. Elles doivent être mises à la portée des chercheurs, des étudiants, des journalistes, et même de tous les Libanais. La transmission de ces archives d'une génération à une autre est très importante pour nous.
INA - Le projet s’établit en deux phases : une phase d’analyse et d’audit, l’autre de formation et d’accompagnement. Que vous apporte l’expertise de l’INA en matière de politique d’archive ?
E. N. – C’est une question centrale. Les audits ont révélé que nous n’avions pas vraiment de politique d’archivage. C’est un manque pour ces institutions, car les stratégies de gestion des archives sont variables. Nous avions un besoin urgent d’inventaire, de cartographie des collections, d'un plan de préservation physique et numérique des archives, et bien sûr, d’un projet de valorisation. Tous nos archivistes, qui sont peu nombreux, travaillent d’arrache-pied depuis des années sans même avoir suivi de formation. Ils ont acquis les connaissances au fur et à mesure. Il faut donc structurer cela dans une large politique d’archivage. Pour ce faire, nous avons bien entendu mobilisé, sensibilisé et encouragé les directeurs des différentes institutions.
INA - Quel rapport entretient la jeunesse libanaise avec ce patrimoine audiovisuel ?
E. N. - Les jeunes Libanais sont très attachés à ce patrimoine. Particulièrement les artistes, les intellectuels et les universitaires. Par exemple, nous avons récemment été sollicités par un musicologue et baryton libanais qui effectuait des recherches sur Wadia Sabra, le compositeur de l’hymne national et fondateur du Conservatoire. Télé Liban a été à même de fournir des archives sur Wadia Sabra pour l’aider à avancer dans sa recherche qui servira bien évidemment la culture et le patrimoine libanais. Nous sommes en train de conserver la mémoire du Liban et c'est très important pour nous. La culture, le patrimoine et tout ce qu'on a dans la mémoire de ce pays reste d'une grande importance. En dépit de tout.
INA – L’INA est également partenaire de l’Académie libanaise des beaux-arts dans laquelle elle forme des étudiants en master production.
E. N. - Ce sont les meilleurs d'ailleurs. Nous avons le souhait de collaborer avec l’Académie et d'autres universités aussi. Non seulement pour leur transmettre les archives, mais aussi pour les impliquer dans le projet, pour qu'ils se sentent eux-mêmes partenaires. C’est par là que l’on connait la valeur de ces archives. Je voudrais d’ailleurs vraiment remercier l'INA pour cette opportunité, remercier toutes les équipes de l'INA, sans exception et sans les nommer, parce qu'ils font vraiment un travail extraordinaire. Je suis vraiment très émue et très touchée par leur engagement et l'intérêt qu'ils portent à ces archives. Quand on voit leur amour pour ces archives, on dirait qu'ils sont des Libanais comme nous. Je remercie aussi l’Ambassade de France et le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères. Après l'explosion du 4 août 2020, l'assistance humanitaire primait sur toute autre considération au Liban. La France a quand même continué à nous aider et à appuyer le projet. Enfin, il faut saluer l’engagement des équipes des quatre institutions, de leurs directeurs et des responsables du ministère. Ils travaillent dans des conditions très difficiles, parfois sans électricité. Il faut donc souligner leur passion pour ce projet.
Elissar Naddaf, conseillère du ministre de l’Information libanais sur les médias francophones.
Elissar Naddaf, conseillère du ministre de l’Information libanais sur les médias francophones.