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Léa Veinstein : «Le témoignage de Simone Veil est un combat»

Léa Veinstein : «Le témoignage de Simone Veil est un combat»

«Seul l’espoir apaise la douleur» est un podcast inédit produit par l’INA.  Une série qui s’appuie sur le témoignage exclusif de Simone Veil enregistré dans nos locaux de Bry-sur-Marne en 2006, dans le cadre des entretiens patrimoniaux « Mémoires de la Shoah ». Nous avons rencontré Léa Veinstein, réalisatrice du podcast. Elle raconte comment elle a travaillé sur ce témoignage historique.

Par Benoît Dusanter - Publié le 14.10.2022 - Mis à jour le 19.10.2022

Simone Veil, sans doute vers 1940. Crédits : Archives familiales.

Le 9 mai 2006, Simone Veil participe au recueil de témoignages « Mémoires de la Shoah », initié par l’INA et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah. Répondant aux questions de la réalisatrice Catherine Bernstein, elle se livre sans détours ni tabous, avec la clarté et la détermination que nous lui connaissons. Ce témoignage, l’un des derniers, était resté inédit car elle avait tenu à ce qu’il soit diffusé après sa mort. Le podcast réalisé par Léa Veinstein à partir de ce témoignage, Seul l’espoir apaise la douleur, le donne à entendre pour la première fois. En quatre épisodes, Simone Veil déroule chronologiquement les étapes de sa déportation, du jour de son arrestation jusqu’à son difficile retour d’Auschwitz et de Bergen-Belsen. Léa Veinstein, la réalisatrice de ce podcast, nous raconte son travail sur ce témoignage historique.

» L'intégralité du témoignage de Simone Veil

INA – Qu’est-ce qui vous a frappé en écoutant le témoignage de Simone Veil pour la première fois ?

Léa Veinstein - Il y a la cohabitation d’une colère intacte, d’une mémoire très précise et d’un espoir, d’une volonté de transmettre. Cette femme a, quoi qu’il en soit, refait sa vie. Elle évoque ces petites choses du quotidien auxquelles on se raccroche pour ne pas sombrer. Pour rester humain et digne. Il y a l'histoire de ses cheveux qui ont été coupés, mais pas rasés à son arrivée dans le camp, chose rare pour les déportés. Je pense aussi à cette robe qu'une détenu lui a confectionnée. C’est très émouvant. Cela montre comment sa mémoire se raccroche à des choses très sensibles, sensitives. Elle transmet avec une telle précision tout ce qui est de l’ordre de la vie dans le camp, que cela nous permet, lorsque la parole s’arrête au seuil du détail horrible, de comprendre et d’imaginer. C’est très puissant.

INA – Il y a beaucoup de silences dans son témoignage…

Léa Veinstein – Elle ne décrit pas l’horreur. Elle met des silences ou laisse ses phrases en suspens. Dans ce podcast, nous avons souhaité conserver ces silences et leur donner leur juste place. C’était un choix éditorial. Ce qu’elle ne dit pas est aussi important que ce qu’elle dit. Les moments où elle s’arrête de parler sont aussi signifiants que les moments où elle parle. Dans le son, c’est très bouleversant. Ces silences gagnent en présence quand on les écoute sans l’image.

INA – Justement, qu’apporte le podcast par rapport à la version filmée ?

Léa Veinstein – La voix seule donne une présence multipliée par rapport à l’image. Une espèce de dimension d’immortalité. Lorsque l’on voit une vidéo de quelqu’un qui est mort, ça le fait revivre. Mais écouter un message sur répondeur, c’est encore plus bouleversant. L’audio nous connecte avec une forme de mémoire différente, que l'on convoque moins souvent, mais qui est très forte.

INA – Un des moments les plus forts du podcast est son anecdote sur son tatouage. Pouvez-vous nous la raconter ?

Léa Veinstein – Ce passage est sidérant. Elle considère comme « pratique » le fait d’avoir un numéro sur elle en permanence, pour « un coffre ou une clé ». Aujourd’hui, ce serait le mot de passe de notre messagerie. Cela la résume totalement. Elle porte en elle une irrévérence et une rébellion. C’est à la fois choquant, c’est un pied de nez, et cela raconte ce que c’est réellement de vivre avec un numéro sur le bras. Autre passage bouleversant : celui où elle raconte comment, avec une amie, elle vide toute une bouteille de parfum sur elle pour ne pas se la faire confisquer à son arrivée au camp. Elle ajoute qu’elle rachète parfois ce même parfum en pensant à son amie. Tous ces détails donnent de la force à son récit.

INA – Comment expliquez-vous que sa mémoire soit si précise ?

Léa Veinstein - Elle se souvient de tout : les lieux, les jours, les heures, les distances. C’est incroyable. Lors de l’entretien en 2006, elle est à la fin de sa vie. Elle est en train d’écrire son autobiographie qui sera publiée un an après, en 2007. Elle est donc dans ce travail de mémoire. Elle est présidente de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah à cette époque et est très engagée. La mémoire a une dimension politique. Je pense que c’est une chose qu’elle a tout le temps à l’esprit. Être précis, c’est un moyen de répondre aux révisionnistes et aux négationnistes. Il faut en permanence donner des détails qui sont aussi des preuves. Beaucoup de rescapés vont dans ce sens. À partir des années 80 et l’apparition de militants négationnistes comme Robert Faurisson, le témoignage a une double dimension : mémorielle et politique. Il faut donner des preuves. Je pense qu’elle a cela en tête. Aujourd’hui, la problématique du révisionnisme est moins présente dans le débat public.

INA – Elle semble toujours s’interroger sur le « pourquoi ? » de la Shoah.

Léa Veinstein – Elle dit « le fait lui-même » pour parler de la Shoah. Encore une fois, elle ne désigne pas la Shoah ou l’extermination. Cela devient une question presque métaphysique pour elle. Elle parle des enfants tués, des chambres à gaz. Comment vivre avec cela ? Elle raconte qu’elle y pense quand elle voit ses enfants, ses petits-enfants qui la questionnent. Je retiens une grande colère et une profonde mélancolie. Je crois qu’elle ne s’en est jamais sortie. Elle dit d’ailleurs que ce sera la dernière image qu’elle aura sur son lit de mort.

INA – Simone Veil conclue l’entretien avec ces mots : « Nous n’avons pas le droit d’oublier, on le doit à ceux qui sont morts. »

Léa Veinstein - Oui, ce témoigne montre qu’il faut transmettre pour le devoir de mémoire, mais aussi contre le négationnisme. Son témoignage est un combat.

Léa Veinstein, 35 ans, est auteure de récits et de documentaires. Après une thèse de philosophie, elle se dirige vers la radio (travaillant pour Les Pieds sur terre ou Une vie une œuvre sur France Culture) puis signe des podcasts pour Arte Radio (La Radio de Papa et plus récemment, Dalida et moi, série en 5 épisodes). Son premier livre, Isaac, une enquête familiale autour du silence qui a suivi la Shoah en France, parait chez Grasset en 2020. Depuis l’écriture de ce livre, elle s’intéresse au témoignage et à la transmission.

Léa Veinstein, 35 ans, est auteure de récits et de documentaires. Après une thèse de philosophie, elle se dirige vers la radio (travaillant pour Les Pieds sur terre ou Une vie une œuvre sur France Culture) puis signe des podcasts pour Arte Radio (La Radio de Papa et plus récemment, Dalida et moi, série en 5 épisodes). Son premier livre, Isaac, une enquête familiale autour du silence qui a suivi la Shoah en France, parait chez Grasset en 2020. Depuis l’écriture de ce livre, elle s’intéresse au témoignage et à la transmission.

Simone Veil, seul l’espoir apaise la douleur
Un podcast original produit par l’INA
4 épisodes de 30 minutes environ
Auteure : Léa Veinstein
Conseil historique : Dominique Missika
Disponible sur toutes les plateformes (Radio France, Apple Podcasts, Google Podcasts, Spotify et Deezer)

Épisodes
Épisode 1 : L'arrestation et la déportation
Épisode 2 : Auschwitz
Épisode 3 : De Bobrek à Bergen-Belsen
Épisode 4 : Le retour et la « vie après »

À propos de « Mémoires de la Shoah »

Afin de préserver et restituer leur mémoire, la Fondation pour la Mémoire de la Shoah et l'Institut national de l'audiovisuel se sont associés à partir de 2005 pour réaliser une série d'entretiens filmés de témoins de la déportation des Juifs de France.

La présidente de la Fondation (de 2001 à 2007), Simone Veil, a souhaité lancer un large programme d'enregistrements audiovisuels de ces témoignages, afin de permettre aux futures générations de les écouter et de les voir, et qu'ils puissent être utilisés en classe par les élèves et professeurs, dans des émissions par des journalistes et cinéastes, dans des laboratoires de recherche par des historiens, dans des expositions et des commémorations. Elle a confié à Dominique Missika – éditrice, journaliste et historienne, alors membre de la commission « Pédagogie et Transmission » de la Fondation – la mise en œuvre de ce projet.

L'Institut national de l'audiovisuel a mis à disposition ses moyens de captation, de traitement documentaire et informatique et a diffusé progressivement sur le site ina.fr ces témoignages afin de les rendre accessibles à un large public.
La collection est composée de 110 entretiens sur la déportation des Juifs filmés en 2005 et 2006. La parole est donnée à d'anciens déportés, enfants de déportés et enfants cachés, monitrices de maisons d'enfants, de Justes et résistants. La Fondation pour la Mémoire de la Shoah, guidée par un comité scientifique, a procédé aux choix des témoins, avec la volonté d’illustrer une diversité d’expériences.

Les 110 témoignages sont accompagnés d'entretiens de 5 acteurs de la mémoire (dont Serge Klarsfeld ou Annette Wieviorka) qui mettent en perspective la parole des témoins.

La durée de ces entretiens est de 2 à 7 heures. Plus de 300 heures d'entretiens ont été ainsi enregistrées. 104 entretiens sont accessibles en ligne. Dont celui de Simone Veil.

En parallèle de ce podcast, un livre Seul l’espoir apaise la douleur est édité par Flammarion et l'INA. La préface est signée de ses fils, Jean et Pierre-François Veil. L'avant-propos et les notes sont de Dominique Missika.