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«Chantal Akerman parle à chacun d’entre nous»

«Chantal Akerman parle à chacun d’entre nous»

EXPOSITION - Avec « Chantal Akerman. Travelling », le Jeu de Paume met à l’honneur le travail de la cinéaste, artiste et écrivaine belge Chantal Akerman. Partenaire de l’événement, l’INA s’est entretenu avec Marta Ponsa, co-commissaire de l’exposition. Entretien.

Propos recueillis Benoît Dusanter - Publié le 14.10.2024

Le sourire de Chantal Akerman, réalisatrice de « Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles », élu « meilleur film de tous les temps » par la revue britannique Sight & Sound du British Film Institute. Crédits : 1978. Collections CINEMATEK & Fondation Chantal Akerman © Babette Mangolte © Adagp, Paris, 2024.

Pensée et réalisée avec le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, la Fondation Chantal Akerman et la Cinémathèque royale de Belgique, l’exposition « Chantal Akerman. Travelling » invite le public à déambuler entre les installations vidéo de l’artiste et propose de consulter une large sélection d’archives écrites inédites : notes préparatoires, dialogues, scénarios, dossiers de presse. En parallèle, plusieurs salles parisiennes proposent une grande rétrospective de la filmographie de la réalisatrice de Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles. Dix ans après sa disparition tragique, Chantal Akerman semble plus que jamais d’actualité.

INA - Chantal Akerman qualifiait sa démarche artistique de « physique » où les rythmes et les formes prédominent sur l’intellect. C’est cette approche sensible qui qualifie son travail selon vous ?

Marta Ponsa – Non seulement cette sensibilité définit son travail, mais elle le rend encore plus contemporain. Chantal Akerman nous invite à réfléchir aux images à travers les mouvements, les corps, l’espace, la dynamique. La caméra devient un œil qui bouge avec elle. Il y a cette « distance proche », une sorte d’empathie dans la manière de créer que l’on retrouve dès ses premiers films. Le traveling devient peu à peu sa marque d’identité ; tout comme les longs plans séquences que l’on retrouve dans « Je, tu, il, elle », ou « Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles ». Dans ses installations, elle nous laisse aussi cet espace pour l’on s’approprie ses œuvres. On voit ces visages, ces paysages congelés, ces stations de trains. Il y a la musique aussi. Donc oui, les sens sont omniprésents. Son approche est presque tactile. Il y a une attention particulière au corps dans son travail filmique mais elle nous appelle aussi à traverser notre propre corps pour s’approprier ses œuvres et les interpréter. Elle recherche une proximité, une intimité.

INA – C’est ce prisme de l’intimité qui rend son œuvre universelle ?

Marta Ponsa – On le voit dans la première salle de l’exposition où une femme se regarde dans le miroir. Cela relève à la fois de l’intime et du lieu commun. Qui ne s’est jamais regardé devant une glace en se posant des questions sur son propre corps et le regard que les autres posent dessus ? À l’inverse dans la dernière scène de « Jeanne Dielman », Delphine Seyrig est isolée dans cette cuisine, renfermée sur elle-même après un moment d’émancipation et de violence extrême. Elle réalise ce qu’elle vient de faire. Elle a tué. C’est son corps qui a tué. La vie que cette femme maîtrisait minute après minute ne sera plus jamais la même. Ici, c'est la singularité du meurtre qui bouleverse l’intime.

Chantal Akerman devant les critiques du «Masque et la plume» pour «Jeanne Dielman».

INA – Pour autant, par ses réflexions sur la charge mentale et le patriarcat, « Jeanne Dielman » a une portée hautement intellectuelle et sociologique.

Marta Ponsa – Et politique ! L’exposition montre des photos du tournage de «  Jeanne Dielman ». L’équipe était constituée principalement de femmes ! Dire et montrer que des bons professionnels pouvaient être aussi des femmes n’était pas une idée très répandue dans les années 70. Chantal Akerman a souhaité garder une cohérence entre la production et les moyens de production. C’est pour cela qu’elle créé « Paradise films » en 1975 avec Marylin Watelet. C’est pour avoir cette autonomie de création et une indépendance financière. En ce sens, elle était pionnière dans beaucoup d’aspect.

INA – Parmi les documents que vous présentez, les dialogues de « Jeanne Dielman » occupent une place particulière. Pourquoi ce choix ?

Marta Ponsa – Les dialogues du film tiennent uniquement sur 17 pages. Et elles ne sont pas remplies ! Voir d’un seul regard que ce film tellement dense (3h20) se limite à 17 pages dit beaucoup sur l’approche cinématographique de Chantal Akerman. C’est l’image qui parle, explique, décortique. C’est une autre narration, un autre lexique. Le son et les bruits d’ambiance constituent le dialogue et deviennent presque une bande originale. On n’a pas besoin de mot.

INA - Finalement, Chantal Akerman n’a jamais été autant d’actualité ?

Marta Ponsa – Elle parle à chacun d’entre nous. Elle nous laisse la place pour entrer dans ses histoires, dans sa narration, dans ses personnages. C’est un temps long, une respiration, un temps de vie pour coller au plus proche de ce que nous sommes. C’est l’antithèse de ce que l’on voit sur les réseaux sociaux de nos jours. Par ailleurs, les thèmes qu’elle aborde comme la construction de l’identité, le patriarcat où les conflits trouvent un écho particulier dans la société d’aujourd’hui. Elle a travaillé dans des registres tellement larges et de façon tellement libre que tout le monde peut se retrouver dans un de ses films. Elle nous accroche.

«Chantal Akerman. Travelling»

Jusqu'au 19 janvier 2025
Jeu de Paume
1 place de la Concorde
Jardin des Tuileries, 75001 Paris
Lundi : fermé
Mardi : 11h – 21h
Du mercredi au dimanche : 11h – 19h