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La médiatisation du procès pour viols d'Aix-en-Provence en 78, un tournant majeur en France

La médiatisation du procès pour viols d'Aix-en-Provence en 78, un tournant majeur en France

Le «procès des viols de Mazan» s'est achevé jeudi 19 décembre après trois mois et demi d'audience. Gisèle Pélicot, violée et droguée à son insu pendant 10 ans par son mari, avait demandé à ce que le procès de ses agresseurs ne se fasse pas à huis clos. Une position qui visait à faire « changer de camp » la honte. En 1978, Anne Tonglet et Araceli Castellano, soutenues par l'avocate Gisèle Halimi, avaient accepté, elles aussi, la publicité du procès de leurs agresseurs. 

Par Romane Laignel Sauvage - Publié le 05.09.2024 - Mis à jour le 19.12.2024
Le viol - 1976 - 02:52 - vidéo
 

L'ACTU.

« La honte doit changer de camp ». Gisèle Pélicot, par la voix de son avocat, avait fait savoir qu'elle n'avait pas « à se cacher » ni « à avoir honte » dans l'affaire des « viols de Mazan » dont le procès s'est achevé jeudi 19 décembre. Conformément à sa demande, le huis clos avait ainsi été refusé par la cour criminelle du Vaucluse, dans le procès qui l'opposait à son ex-mari, Dominique Pélicot.

Celui-ci était jugé pour l'avoir droguée à son insu et l'avoir livrée à des dizaines d'hommes afin qu'ils la violent dans son sommeil, et ce, pendant une dizaine d'années. Il a été reconnu coupable et condamné à vingt ans de réclusion criminelle, la peine maximale.

En demandant à rendre public les audiences d'un procès extrêmement médiatisé, Gisèle Pélicot a poursuivi une longue lutte menée par plusieurs victimes pour dénoncer les violences sexuelles et tenter de faire changer la société. En 1978, Anne Tonglet et Araceli Castellano, soutenues par l'avocate Gisèle Halimi, acceptaient la publicité du procès des trois hommes qui les avaient agressées et violées une nuit d’août 1974. Ce procès fut un tournant dans la perception de la société française sur le viol et permit de changer la loi.

LES ARCHIVES.

« Ce qui est scandaleux, ce n'est pas de dénoncer le viol, ce qui est scandaleux, c'est le viol lui-même. » En novembre 1976, en plein milieu d'une décennie clé pour les droits des femmes en France, Antenne 2 attestait, dans le reportage en tête d'article, des prémices d'une meilleure prise en compte du viol par la justice et par la société.

Ces violences, expliquait-on, étaient de plus en plus traitées aux assises plutôt qu'en correctionnel. Et l'avocate Gisèle Halimi, figure du procès de Bobigny, militait avec l'association «Choisir la cause des femmes» pour ouvrir les portes de ces audiences. « En matière de viol, nous, dans notre mouvement, nous tenons à la publicité des débats parce que nous pensons que la femme victime ne doit pas se sentir coupable et qu'elle n'a rien à cacher. »

Et d'affirmer, tout comme le fait aujourd'hui Gisèle Pélicot, que ce n'était pas à la victime d'avoir honte : « Ce qui est scandaleux, ce n'est pas de dénoncer le viol, ce qui est scandaleux, c'est le viol lui-même. »

« Une femme violée, c'est une femme cassée »

Gisèle Halimi précisait sa pensée l'année suivante, face à la caméra de France 3 Reims. « Une femme violée, c'est une femme cassée, une femme éclatée, c'est une femme qui ne s'en remettra, à mon sens, jamais (...). Et quand elle se bat, elle a véritablement un courage parce qu'elle sait que ce n'est pas pour elle. (...) Qu'elle le fait pour que les autres femmes ne passent pas par les épreuves qu'elle a subies. »

L'association Choisir, annonçait-elle, devait prochainement déposer « sur le bureau du garde des Sceaux et à l'Assemblée nationale » une proposition de loi pour qu'il n'y ait pas de huis clos dans les affaires de viol, « sauf bien entendu, c'est la seule réserve, si la jeune femme violée le demande elle-même ».

Elle concluait : « Nous pensons qu'une chose est pour un homme de violer et une autre chose est de vouloir qu'on le sache dans son village, dans son travail, dans les journaux. La publicité peut jouer comme un moyen de dissuasion ».

« Ce n'est pas un procès de viol, l'enjeu, ce n'est pas une condamnation ou un acquittement : l'enjeu, c'est changer les rapports fondamentalement entre les hommes et les femmes. » Pour Gisèle Halimi, un procès avait la possibilité de dépasser la seule affaire jugée. Il pouvait devenir politique, servir une cause comme les droits des femmes et faire évoluer la loi. Comme Bobigny en 1972, qui ouvrit la voie à l'adoption de loi Veil sur l'avortement.

Le procès d'Aix-en-Provence, « l'affaire du viol »

Ce procès emblématique eut lieu à Aix-en-Provence en 1978. Aux assises, l'avocate défendit Anne Tonglet et Araceli Castellano, un couple de Belges agressées et violées par trois hommes lors de vacances dans le sud de la France en 1974. L'avocate refusa le huis clos et médiatisa l'affaire.

En 2021 et dans l'archive sonore ci-dessous, Anne Tonglet racontait à France Culture comment elle avait demandé l'aide de l'avocate après l'avoir entendue évoquer le procès de Bobigny. « Elle disait qu'elle avait choisi cette façon de faire un procès à la loi et pas un procès aux femmes qui ont pratiqué l'avortement. C'est ça qu'elle a eu comme géniale idée. C'était accuser la loi et pas celle qui était accusée par la loi. Alors moi, quand j'ai entendu ça, je me suis dit, mais c'est exactement ça qu'il faut faire avec le viol aussi. C'est accuser les lois qui ne sont pas du tout compétentes. » Quand l'affaire fut renvoyée aux assises, elle demanda l'aide de l'avocate.

En dépit du refus du président du jury d'assise de transformer « le tribunal en tribune d'une cause, fût-elle celle des femmes », le procès attira l'attention. Féministes, médias, mais aussi défenseurs des agresseurs se précipitèrent sur les lieux.

L'archive d'Antenne 2 ci-dessous montrait à quel point les deux jeunes femmes et leurs avocats furent pris à partie. Insultes, crachats et coups, le journaliste sur place décrivait « des réactions de violence parce que ces deux jeunes Belges, Anne et Araceli, violées il y a quatre ans dans une calanque entre Marseille et Cassis, ont osé porter plainte ».

Procès viol à Aix
1978 - 03:15 - vidéo

La pression fut continue tout le long du procès, comme en témoignait sur France Culture Anne Tonglet. « C'était indescriptible, comme énergie qu'il fallait encore donner. Mais bon, nous l'avons fait. Parce qu'en plus, il y avait dans la salle un monde fou et notamment presque toute la salle au début était occupée par les malfrats et les petits copains de la clique des trois violeurs. Je sentais dans mon dos qu'il y avait des centaines d'yeux qui étaient braqués. »

La plaidoirie de Gisèle Halimi, rapportait-elle, était claire et simple. Elle s'adressait au jury populaire et l'interpellait : « Je vous regarde chacun et vous, vous devez comprendre que vous devez condamner ces trois hommes, parce que sinon vous allez condamner les femmes dorénavant à ne plus être crues. On ne pourra plus jamais les croire après ce procès, si jamais vous ne condamnez pas ces trois violeurs". »

Le verdict condamna à six ans et deux fois quatre ans de réclusion criminelle les trois violeurs. Dès lors, plusieurs propositions de loi furent déposées. En décembre 1980, comme on l'entend dans l'archive ci-dessous, une nouvelle loi sur le viol fut adoptée. Elle reconnaissait le viol comme un crime, quand auparavant, il était la plupart du temps jugé au tribunal correctionnel. Sa définition, plus large et plus précise, était désormais la suivante : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise, est un viol ».

Demander le huis clos en assises devenait une prérogative de la victime, qui pouvait le demander ou le refuser.

Débat viol Assemblée nationale
1980 - 02:33 - vidéo

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