30 juillet 1974, devant les caméras du JT Côte d'Azur Actualités, le journaliste François de Closets évoque son dernier essai intitulé, Le bonheur en plus. Sa réflexion part du constat que l'homme de l'ère industrielle et technologique vit dans un état d'insatisfaction permanente, où le bonheur devient inatteignable. En pleine période hippie, l'écriture de cet ouvrage lui a été inspirée par les revendications de la jeunesse des années 70. Cette jeunesse qui rejette alors en masse "cette société. Ils pensent qu'il faut condamner le progrès technique pour aller rechercher le bonheur".
En tant que journaliste scientifique, François de Closets estime que le rejet de la technologie ne résoudrait rien, "nous pouvons très bien avoir ce sourire, le bonheur, en plus du progrès technique qui est une bonne chose".
Le journaliste ne donne pas pour autant un blanc-seing aux technologies. Le progrès oui, mais pas à n'importe quel prix. Il nuance donc son propos préliminaire, "simplement, il faut changer le progrès. Il faut faire un autre progrès".
"Poursuivre le bonheur à travers l'augmentation du confort et des biens matériels, c'est une voie illusoire…"
En pleine crise du pétrole, le journaliste propose déjà une vision tout à fait innovante des conséquences de la course effrénée à la consommation, "le bonheur, pour nous, n'est plus un choix. Je crois que de poursuivre le bonheur à travers l'augmentation du confort et des biens matériels, c'est une voie illusoire".
Cet appel à la décroissance, concept qui n'existait pas encore, est plutôt visionnaire pour l'époque, "c'est une voie illusoire, et qui nous conduit maintenant à des crises de plus en plus graves. Nous avons vu les premières, il va en arriver beaucoup d'autres".
"On a vu toutes sortes de solutions que personne ne voulait envisager avant et qui sont devenues apparemment possibles
François de Closets décrit le dilemme qui se posera à l'humanité dans un avenir plus ou moins proche, "alors, ou bien nous changerons et nous chercherons justement à être heureux, en créant une société plus juste, plus humaine, plus fraternelle, ou bien, nous nous enliserons dans des inconvénients de plus en plus graves".
Mais pour faire le bon choix, l'humanité souffre d'un gros handicap, l'essayiste souligne d'ailleurs sa difficulté à anticiper les évolutions nécessaires, "des solutions, on ne peut pas en général en proposer à l'avance. Pourquoi ? Parce qu'il faut d'abord qu'il y ait la crise".
Selon lui, l'humanité est condamnée à être au pied du mur pour se reprendre en main. Pour illustrer son propos, il prend l'exemple de la crise pétrolière qui sévit alors, "regardez l'affaire de l'énergie. Lorsque monsieur Mansholt [homme politique néerlandais], il y a deux ans, a laissé entendre qu'il faudrait faire attention, il a réussi à réconcilier la Sainte Trinité impossible en France : Monsieur Pompidou [président de la République de 1969 à 1974], monsieur Ceyrac [Charles Ceyrac, député UDR] et monsieur Marchais [Premier secrétaire du PC] contre lui. Et puis la crise est arrivée, la crise du pétrole. Et alors, on a vu toutes sortes de solutions que personne ne voulait envisager avant et qui sont devenues apparemment possibles".
"Au bout d'un moment, ces inconvénients deviennent tels qu'il y a une crise"
La crise du pétrole a donc joué, selon lui, le rôle de déclencheur d'une politique commune et mondiale inédite, "on a vu tous les gouvernements, dans toutes les sociétés, prévoir des plans pour limiter l'augmentation incessante de la consommation d'énergie. Mais il faut savoir que dans tous les domaines, c'est la même chose..."
Pour conclure, François de Closets souligne que la quête du bonheur passe et passera toujours par une remise en question des modèles sociétaux obsolètes, en l'occurrence ici, le modèle de surconsommation. "Nous poursuivons dans une voie qui n'est pas celle du bonheur des hommes. Cette voie comporte des inconvénients. Au bout d'un moment, ces inconvénients deviennent tels qu'il y a une crise. Alors, tout est remis en question. Et puis, nous voyons la possibilité d'apporter de nouvelles solutions".
A l'image de la crise énergétique de la fin des années 70, la crise sanitaire induite par la Covid19 pourrait bien déclencher une réelle prise de conscience et inciter l'humanité à créer un nouveau modèle de vie. Une nouvelle société telle que la rêvait François de Closets "plus juste, plus humaine, plus fraternelle"... L'avenir le dira.
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