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16 août 1944 : le débarquent en Provence raconté par les femmes soldats

16 août 1944 : le débarquent en Provence raconté par les femmes soldats

Parmi les troupes alliées et françaises débarquées sur les côte de Provence, il y avait aussi des femmes, presque toutes spécialisées dans les transmissions et les soins médicaux. Elles racontent leurs souvenirs héroïques de cette journée historique.

Par Florence Dartois - Publié le 14.08.2024 - Mis à jour le 16.08.2024
 

L'ANNIVERSAIRE.

Dans la nuit du 14 au 15 août 1944, près de 100 000 troupes françaises et alliées débarquent sur les côtes de Provence. L'opération « Dragoon » débute. Parmi ces combattants, des femmes, engagées volontaires comme leurs camarades masculins. Elles débarquent le 16 août au matin sur la plage de Saint-Tropez avec les Britanniques. Elles sont 350 à participer au débarquement et à risquer leur vie pour libérer la patrie. Presque toutes sont spécialisées dans les transmissions ou dans les soins médicaux. Vingt d'entre elles seront tuées pendant les opérations, cinq seront faites prisonnières, déportées et pendues au camp de concentration de Ravensbrück le 19 janvier 1945. Écoutons le témoignage des survivantes.

LES ARCHIVES.

On l'évoque peu, mais des femmes prirent part aux deux débarquements de juin et d'août 1944 sur les côtes normandes et provençales. Nombre d'entre elles faisaient partie du Corps féminin de transmission (CFT) de l'armée française durant la Seconde Guerre mondiale. On les surnommait les Merlinettes, en référence au nom du général Merlin, commandant les transmissions dans l'armée française en Afrique du Nord, qui eut l'idée de créer ce CFT à l'hiver 1942 dans la même région. Ces volontaires sont formées pour devenir opératrices radio, télétypistes ou encore standardistes, comme l'explique le montage d'archives ci-dessous.

C'est par le témoignage de l'une de ces Merlinettes que nous entamons notre voyage mémoriel dans les souvenirs de ces femmes héroïques.

« Il y a quarante ans, les troupes alliées débarquaient en Provence dans un brouillard à couper au couteau. Aujourd'hui, le paysage est méconnaissable. Mais les souvenirs sont bien là. Des souvenirs inattendus. Ceux d'une femme qui dirigeait à l'époque deux sections de personnel féminin des transmissions. »

Le premier témoignage disponible en tête d'article est celui de Georgette Aubignac, diffusé dans le journal de midi d'Antenne 2, le 16 août 1984. On célébrait alors les 40 ans du débarquement en Provence. Dans son témoignage particulièrement émouvant, l'ancienne lieutenante des transmissions évoquait son débarquement à Saint-Tropez quatre décennies plus tôt. « L'exploitation des transmissions était en grande partie assurée par des femmes, alors il fallait donc que ces jeunes femmes soient présentes dès les premières heures de l'arrivée en France. » Une tâche essentielle, mais invisible, « modeste ».

« C'était une immense émotion à bord »

Son premier souvenir, c'est la ligne de côtes françaises et l'émotion que cette vue provoqua dans le bateau (Worcester) : « Lorsque nous sommes arrivés au large de Saint-Tropez en vue des côtes de France, tout à coup, à l'horizon, nous avons aperçu une ligne. C'était la terre, c'était la France. Et alors, c'était une immense émotion à bord. Nous nous sommes embrassés. Les hommes, les filles. Et tout d'un coup, la Marseillaise a jailli. Mais une Marseillaise extraordinaire, frémissante, inouïe, les larmes coulaient. C'était la France. Et il y avait des mois que nous attendions cette arrivée devant les côtes de France. »

La gentillesse des matelots anglais a marqué Georgette. Elle raconte qu'ils n’arrêtaient pas de dire « poor little girls », inquiets du sort qu'elles subiraient sans doute une fois débarquées. Entraînée comme les hommes, elles franchiraient les champs de mines dispersées sur la plage de Cogolin sans encombres.

L'entrée dans le village fut tout aussi émouvante que l'approche des côtes françaises. Elle décrit la liesse et la ferveur populaire qui l’empêchent de toucher terre au sens propre : « Dès l'entrée du village, les gens se sont précipités au-devant de nous. C'était un accueil dont je suis encore bouleversée. Moi, je n'ai pas touché terre dans toute la traversée du village. Je suis passée de bras en bras. Je suis passée à travers une sorte de rêve à travers Cogolin. »

Débarquées comme les hommes

En 1994, Paulette Vuillaume célébrait le cinquantenaire du débarquement. Elle aussi faisait partie du Corps des transmissions, était volontaire et avait participé à la campagne d'Italie, avant de débarquer à Saint-Tropez. Dans l'archive ci-dessous, elle revient plus en détails sur les conditions d'arrivée dans des barges sous les bombardements allemands. Elle souligne que les femmes avaient débarqué comme les hommes : « On nous a fait descendre le long de la coque, sur les gros filets qui se trouvaient le long de la coque du bateau, dans les barges du débarquement. » Elle-même se trouvait sur le bateau du général Monsabert (ndlr : Joseph de Goislard de Monsabert (1887-1981) à la tête de la 3e division d'infanterie algérienne (3e DIA) qui participa à la libération de Toulon et de Marseille.

Paulette se remémore, presque avec entrain, les bombardements allemands qui « venaient bombarder les convois ». « Là, on a lancé des fumigènes pour camoufler les bateaux », ajoute-t-elle. Avec ses compagnes, elle avait attendu que les tirs se calment pour débarquer « les pieds dans l'eau sur la plage de Saint-Tropez, le 16 août ».

Un débarquement dans la confusion

À côté des Merlinettes des transmissions, se trouvaient les femmes dédiées aux soins : médecins, infirmières ou ambulancières, elles étaient en premières lignes aux côtés des soldats. Plusieurs témoignages particulièrement poignants montrent l'ampleur de leur dévouement et de leur courage.

L'archive ci-dessous date de 1964. Il s'agit de Suzanne Thullier, sous-lieutenant et médecin auxiliaire dans les commandos d'Afrique. Elle fait ici le récit de la nuit du débarquement en Provence, du 14 au 15 août 1944, et de la journée qui a suivi.

« Nous avons débarqué, nous avons grimpé la colline avec un peu de pagaille, nous sommes arrivés sur la route et nous avons rejoint le premier commando au cap Nègre (Var). » Alors que le jour n'était pas encore levé, la confusion était telle que les soldats se tiraient dessus sans savoir qui ils visaient, Suzanne Thuillier faillit d'ailleurs perdre la vie.

Elle raconte : « C'était vraiment la pagaille, à un point tel, c'est que le médecin auxiliaire du premier commando a crié, reconnaissant ma voix, "c'est nous" pour qu'on ne tire pas. C'est à ce moment-là d'ailleurs que nous avons été, mon infirmier et moi, pris par un Allemand qui était derrière un arbre. Il nous a tiré dessus. Mon infirmier a été tué et il m'a fait tomber en tombant sur moi, ce qui d'ailleurs, je crois, m'a sauvé la vie. »

Après cet épisode, la médecin commence à soigner les blesser, à les emmener au tunnel ferroviaire du Canadel où aurait dû se trouver le poste de secours. Mais il avait été transporté au mont Biscare (sur les hauteurs de Pramousquier, point de ralliement des alliés).

De retour auprès de sa compagnie, Suzanne Thuillier faillit bien perdre à nouveau la vie, cette fois à cause des Américains : « Nous avons été pris en rase-motte par trois avions américains successivement, qui nous ont mitraillé, qui ont tué un des types qui était avec moi. Nous étions une dizaine (...), deux autres ont été très gravement blessés. »

Plus tard, elle échappa à une contre-attaque allemande et parvint à rejoindre les alliés au mont Biscare, saine et sauve, en fin de journée.

« Franchise et vaillance »

Suzanne Lefort-Rouquette est une autre figure héroïque de ce débarquement. Elle était ambulancière et appartenait au 25e bataillon médical dont la devise était : « Franchise et vaillance ». Le 20 août 1944, elle débarquait sur la plage de la Nartelle, près de Sainte-Maxime, avec son unité, la 9e division d'Infanterie coloniale. Dans son salon, elle arborait toujours des étendards où était brodée cette maxime. Dans cette interview d'août 1996, elle racontait avoir débarqué directement en ambulance depuis une barge.

Le 25e bataillon médical, c'était 30 jeunes femmes, dont certaines n'avaient pas 18 ans et avaient menti sur leur âge pour s'engager. L'une d'entre elles sera tuée au pied de son ambulance à 20 ans à peine. D'autres seront blessées, comme Suzanne. « On a été prises sous le feu ennemi. J'ai été blessée, deux de mes filles ont été blessées, deux Sénégalais ont été tués. Et puis, on a été ramassés et on a été faits prisonniers... »

Suzanne avait écrit un livre souvenir, intitulé Calinot, le nom du caniche mascotte de son unité.

Le courage des ambulancières

Dans cette autre archive, datée de 2004, illustrée de photos et d'images d'époque, Suzanne Lefort-Rouquette rend hommage aux femmes de son bataillon. Pendant la guerre, répondant à une campagne de recrutement affichée en Algérie, Suzanne s'engage au 27e régiment de train dans les conductrices, avant de prendre le commandement du 25e bataillon médical. Elle aura sous ses ordres plus de 200 ambulanciers, hommes et femmes.

Partie de Corse, elle arrive à Toulon. Les ambulancières sont scindées en deux avec, pour mission, de récupérer les blessés. « On en ramassait un peu partout et tout le monde. On ne peut pas laisser des gens blessés », explique-t-elle. Un incessant va-et-vient s'organise, qui n'est pas sans risque, comme elle le souligne d'ailleurs ici : « Nous étions dans les premières lignes. Donc là, il fallait aller très vite, parce qu'on attrapait des pépins aussi. Alors on ramassait les blessés, on les mettait dans l'ambulance et puis on les transportait le plus vite possible et on revenait sur le terrain. Si bien que dans une journée, une ambulance pouvait ramasser peut-être 60 blessés. »

Ce qui la touchait encore a posteriori, c'est qu'elles ne connaissaient pas les identités des blessés qui parfois mouraient dans leurs bras. « Dans l'ambulance, il y avait la conductrice et l'aide conductrice. La conductrice était au volant. L'aide conductrice passait derrière le siège et c'est elle qui soignait les blessés, qui les réconfortait (...) et leur fermait les yeux la plupart du temps. »

Chaque équipe travaillait en binôme et Suzanne soulignait à quel point ces femmes avaient été « extraordinaires », d'un « courage inouï », parfois à la limite de l'inconscience du danger encouru.

En 2005, l'ancienne lieutenante, responsable des ambulancières, publia un nouvel ouvrage aux éditions L'Harmattan, Des ambulancières dans les combats de la Libération : avec les soldats de la 9e division d'infanterie coloniale. Elle y retraçait l'action de ses camarades à ses côtés.

Des ambulancières dans les combats de la Libération : avec les soldats de la 9e division d'infanterie coloniale

Suzanne Lefort-Rouquette est morte le 19 août 2014, presque soixante-dix ans, jour pour jour, après avoir débarqué sur la plage de la Nartelle à Cavalaire.

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