Depuis la fin du XVIIIe, la guerre n’est plus réservée au strict monde militaire et impacte de plus en plus les civils. Le développement des technologies reconfigure la façon de faire la guerre et augmente le nombre des victimes potentielles. Cette évolution a imposé aux Nations de s'entendre sur un droit de la guerre qui s'est enrichi, intégrant le nouveau droit humanitaire. Il a aussi fallu mettre en place les autorités et institutions qui auraient la charge de garantir ce droit.
Le philosophe Cicéron déclarait en son temps : « Les lois se taisent dans le fracas des armes » (Silent leges inter arma). Ce n’est plus tout à fait vrai. Depuis des siècles, des hommes réfléchissent donc pour que ce ne soit plus une fatalité. Le droit de la guerre s’est lentement constitué pour définir des règles minimales. Et il a dû s’adapter en permanence aux réalités des conflits.
La question d’un droit régissant la guerre est apparue dès l’Antiquité, lorsque la société balbutiante mit en place un ordre social et des règles morales. Ainsi apparurent les notions de respect de la personne humaine, du respect de sa vie et de sa liberté. Dans l'impossibilité de faire disparaitre le fléau des guerres, on tenta au moins d’en atténuer les effets destructeurs et déshumanisants. Dans l’Antiquité, les philosophes stoïciens donnèrent quelques conseils. Avec le Christianisme vint le précepte d’amour universel du prochain. Mais jusqu’au siècle des Lumières, aucune véritable règle du droit de la guerre ne fut établie. Il fallut attendre Jean-Jacques Rousseau pour que naisse le premier droit fondamental de la guerre prenant en compte un véritable esprit humanitaire : « La guerre n’est point une relation d’homme à homme, mais une relation d’État à État dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme homme, mais comme soldat. La fin de la guerre étant la destruction de l’État ennemi. On a le droit d’en tuer les défenseurs tant qu’ils ont les armes à la main, mais sitôt qu’ils les posent ou se rendent, ils redeviennent simplement homme et l’on n’a plus de droit sur leur vie ».
Ces idées furent reprises et développées par la Révolution française qui proclama le droit indescriptible des blessés à être soignés et qui plaça les prisonniers de guerre sous la sauvegarde de la Nation. En parallèle, la capitulation conclue entre chaque armée était fixée de manière plus humaine concernant le sort des blessés et des prisonniers.
S'adapter à l'évolution de la guerre
Ce droit ponctuel, et pas toujours mis en pratique, trouva ses limites avec la grande métamorphose de la guerre qui intervint avec les guerres révolutionnaires et de l’Empire. Désormais, avec l’introduction de la conscription militaire, chacun pouvait être enrôlé. La guerre des guerriers devenait la guerre de masse. Il fallut donc réfléchir à un droit de la guerre plus protecteur. En la matière, la Convention de Genève de 1864 revêt une importance capitale pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les armées de conscrits. Cette pierre angulaire du droit de la guerre est né à l’instigation des fondateurs de la Croix-Rouge. Bouleversés par les horreurs de la bataille de Solferino (Plus de 330 000 soldats combattent au cours de cette bataille en juin 1859 durant la campagne d'Italie), ils usèrent de toute leur influence auprès des États pour créer une loi universelle et intemporelle. Son principe était fondé sur l’humaniste : « L’homme qui souffre doit être secouru, qu’il soit ami ou ennemi, avec une égale sollicitude. »
Son principe, limité d’abord aux militaires, s’est étendu progressivement aux autres victimes de la guerre (prisonniers, civils), avec la création du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) en 1863 qui fournirait une assistance humanitaire aux personnes touchées par un conflit ou une situation de violence armée et ferait connaître les règles protégeant les victimes de la guerre.
D’autres traités et conventions ont été signés, régissant cette fois la conduite des hostilités et la limitation de l’emploi de certaines armes. Notamment en 1868 avec la Conférence de St-Pétersbourg (interdiction des balles explosives), en 1899 et 1907 avec la Conférence de La Haye qui élabore le grand règlement sur les lois et coutumes de la guerre qu’on appelle le « courant de la Haye ». Suivirent aussi les quatre conventions de Genève de 1949 et les protocoles additionnels de 1977, qui dominent le droit de la guerre.
Au XXe siècle, le morcellement des conflits locaux, avec leur cortège de violences, de crimes de guerre ou de génocides, ont obligé les Nations à créer une instance juridique permanente, capable de faire respecter ce droit et de punir les récalcitrants le cas échéant. Il s'agit de la Cour Pénale Internationale (CPI). Ce nouvel outil a vu le jour le 1er juillet 2002. Installé à La Haye, ce nouvel organe juridique universel et intemporel fut habilité à poursuivre et à réprimer les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime de génocide.
L'ARCHIVE.
L'archive que nous vous présentons en tête de cet article date du 25 mai 1999, époque à laquelle les travaux de préparation de la CPI étaient presque achevés. Le Journal de la nuit de France 2 recevait une juriste pour expliquer ce que la CPI allait apporter au droit de la guerre. Françoise Boucher-Saulnier était alors responsable juridique de Médecins sans frontières et auteure du Dictionnaire pratique du droit humanitaire. Elle avait participé au nom de MSF aux travaux préparatoires de la Cour Pénale Internationale. Elle soulignait le caractère permanent et indépendant de cette nouvelle structure juridique chargée de juger les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité. C'était une première ! Jusqu’alors, il n'existait que des tribunaux ad hoc mis en place après les conflits.
Le rôle de la CPI serait de limiter la violence gratuite. Alors que le droit de la guerre cherchait à poser des limites « entre la barbarie et une "violence utile" », déclarait-elle, la CPI devrait tenter de « limiter la licence, et montrer que tous les crimes ne sont pas tolérés ». L'objectif affiché de cette cour pénale serait de réaffirmer un principe universel souvent oublié dans les conflits contemporains, celui d'une « différence entre le civil et le combattant ».
Elle insistait sur l'importance de faire respecter le droit de la guerre : « Le droit, ce n’est rien d’autre que les mots, mais c’est important parce que sinon il y a la terreur dans les périodes de guerre. Cette cour réaffirme la différence entre la violence légitime et l’autre. Elle remet la victime, avec une parole, dans un processus où elle va pouvoir contester ce qui lui est arrivé. »
Françoise Boucher-Saulnier expliquait en quoi le tribunal pouvait jouer un rôle dissuasif : « C’est une cour permanente, alors elle peut avoir une fonction de dissuasion parce que les crimes sont définis une fois pour toutes. » Elle insistait aussi sur la légitimité du tribunal, en ratifiant ses statuts, les États reconnaitraient sa compétence : « À partir de là, il y a un espace de droits qui est créé. Ce qui est important, c’est que cette cour travaille pour l’avenir et que les victimes vont pouvoir être présentes. »
La grande innovation, c'était que la CPI devenait un véritable espace de contestation qui pourrait être saisie par le Conseil de sécurité de l'ONU, des États, mais aussi par les victimes qui pourraient le faire, elles aussi, par la voix du procureur. Charge à lui de saisir la Cour d’un crime particulier. Cette nouvelle compétence permettrait de mettre les États belligérants face à leurs responsabilités, « À eux aujourd’hui de ratifier clairement cet instrument », concluait-elle. Aujourd'hui, 123 États font partie du CPI dont la France qui l'a signé le 18 juillet 1998 et l'a ratifié le 9 juin 2000. Le Statut du CPI est entré en vigueur le 1er juillet 2002 après la ratification de 60 États.
La journaliste l’interrogeait enfin sur l’interdiction des bombardements d’établissements sanitaires, citant l’exemple d’un bombardement récent de l’OTAN sur un hôpital en Yougoslavie. Elle lui demandait si cela pouvait être considéré comme un crime de guerre ? « Non, répondait-elle, sauf à prouver que ce sont des bombardements délibérés. Le droit de la guerre définit très précisément les crimes de guerre (…) le droit de la guerre impose aussi à celui qui bombarde des précautions (…) L'intérêt d’une Cour, c’est d’ouvrir cet espace de dialogue et de permettre à chacun de s’expliquer, de se justifier et non pas d’être face au silence des armées et de la terreur des armes. »