Mai 1977, Bob Marley est en concert à Paris. Sur scène, il interprète l'un de ses nombreux tubes d'alors, I shot the sheriff. Le public est conquis. Plus tôt, dans le bus de la tournée, le reggae man, ses dreadlocks regroupées dans un énorme bonnet aux couleurs de la Jamaïque, sourit.
Le commentaire le présente ainsi : « Cet homme de 1,60m, avec ses anglaises frisées, ne se contente pas de hurler une musique coup de poing. Bob Marley jette aussi un cri contre la misère et l'oppression. Il traîne aussi dans son sillage le Rastafari, cette religion solidement plantée à la Jamaïque qui interdit à ses pratiquants d'absorber de la viande ou du sel et qui, surtout, prône le retour aux sources de la négritude. Le retour à l’Éthiopie ».
C'est grâce à l'émission radio de France Inter, «Bananas», que «les Français se sont entichés du reggae» précise la journaliste. Et c'est justement son producteur, Patrice Blanc-Francard, qui dresse le portrait de Marley et revient sur la genèse du reggae : «Le reggae, c'est devenu important pour les Français, mais ça l'était déjà beaucoup pour les Anglais et les Américains. Ça permettait un renouvellement, un peu de fraîcheur à la pop music. Le reggae, c'était déjà un rythme très, très lancinant. Une musique qui est typiquement jamaïcaine, mais qui est assez neuve. C'est une musique qui date des années 60, un mélange de vieux rythm & blues américains et de musiques qui viennent de là-bas, qui donnent vraiment un truc qu'on ne peut faire nulle part ailleurs, je crois.»
« Il va être à trois pieds au-dessus terre lorsque vous allez l'interviewer »
L'interview se termine sur une parenthèse journalistique dans laquelle Patrice Blanc-Francard s'étonne que les journalistes aient décroché une interview du chanteur : «Mais vous, vous avez réussi à décrocher une interview ? À avoir une interview de Marley ? Parce que moi, je n'ai jamais réussi à en faire une seule dans toute ma vie !» se désole-t-il. La journaliste confirme : «On devrait l'interviewer ce soir». Le producteur envieux l'avertit : « Je vous souhaite bien du plaisir, parce que tout ce que j'ai lu de lui au niveau interview, c'est totalement dément. D'abord, ils sont tellement défoncés… Il faut dire que le ganja, la Marijuana jamaïcaine se fume là-bas comme une herbe médicinale ou presque. Ils en fument des tonnes ! Alors, il va être à trois pieds au-dessus terre lorsque vous allez l'interviewer. Je vous souhaite bien du plaisir ! Ça va être drôle ! »
Quelques heures plus tard, nous retrouvons donc Bob Marley en plein entraînement de foot. Contrairement au musicien défoncé que décrivait Patrice Blanc-Francard, l'artiste jamaïcain, à la voix certes chevrotante, parvient à aligner quelques phrases plutôt cohérentes sur sa musique. « Oh, la musique, c'est toute la musique. C'est sur l'unité du monde, sur les gens qui se réunissent et vivent comme un seul». «Des idées de paix ?», lui demande la journaliste. «Des idées de paix ? Oh pas vraiment plutôt une réalité de la paix ».
« Cette musique va devenir de plus en plus énorme »
Le reportage se termine par un extrait du concert donné le soir-même. Accompagné de son groupe The Wailers, il chante avec le public Get up Stand up. C'est un titre emblématique de l'album Exodus. Une chanson-étendard du droit des peuples à la dignité, écrite en 1973, alors qu'il était en tournée en Haïti, inspirée par la pauvreté des Haïtiens qui l'avait touchés.
Bob Marley est toujours considéré comme un véritable Dieu. En 1980, il partageait une sorte de prophétie : «Cette musique va devenir de plus en plus énorme... Jusqu'à trouver son vrai public... Et aider les peuples à se libérer de leurs chaînes... Il n'y a pas de limite à cette musique».
Bob Marley meurt le 11 mai 1981, d'un cancer généralisé. Lors de ses funérailles en juin 1981, des milliers de Jamaïcains se recueillent devant sa tombe. Le héros a droit à un concert hommage et à des funérailles nationales.
Depuis février 2020, le reggae de Jamaïque est inscrit au patrimoine mondial immatériel de l'Unesco.