L'INA. - Comment avez-vous imaginé cette conférence et son propos ?
Amandine Gay. - Dans mon film Une histoire à soi, j'utilise déjà des archives, et je pensais en utiliser davantage. Ces recherches ont d'ailleurs été faites en partie avec l'INA. Notre approche pour le film aura été au final d'utiliser par touches les archives, donc moins que ce qu'on envisageait. J'étais un peu frustrée car il y a de nombreux éléments que je n'ai pas utilisés, comme par exemple l'instrumentalisation des personnes adoptées au moment de l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, et ça me semblait important d'apporter ce sujet sur l'espace public. Donc avec les Lundis de l'INA, je peux être didactique et je veux évoquer l'évolution de la façon dont les personnes adoptées ont été représentées à la télévision des années 50-60 à nos jours. D'un côté, je fais une conférence classique, où j'explique aussi mon contexte personnel. Et de l'autre, il y a les archives. Et c'est très puissant avec parfois des discours violents. Donc l'idée est de montrer l'évolution du discours sur l'adoption et de la prise de parole des personnes adoptées dans l'espace public, et c'est à ça que servent les archives.
Pourquoi parle-t-on davantage de cette thématique en France ?
Car notamment parce qu'il y a désormais une masse critique de personnes adoptées qui sont devenues des adultes. Si on prend l'exemple des naissances sous le secret, les premières associations émergent dans les années 70-80, la loi datant des années 40, donc à ce moment-là, les gens commencent à s'organiser. Dans l'adoption internationale, c'est un peu la même chose, la première association, c'est 1995. En France, on estime qu'il y a eu 300.000 personnes adoptées, et qui sont pour la plupart adolescents ou adultes, c'est donc normal qu'on nous entende davantage aujourd'hui.
Comme si les paroles des adoptés ou enfants adoptés étaient peu considérées auparavant ?
De manière générale, on accorde très peu de crédit à la parole des enfants. Pas que dans l'adoption. Mon travail consiste aussi à questionner la place de la parole des enfants dans notre société. De manière générale, les enfants n'ont pas beaucoup voix au chapitre dans les domaines qui les regardent. Avec l'adoption, le débat a été largement dominé par les candidats à l'adoption et les parents adoptants. Avec un cadrage de ce discours.
"Je pense que les responsabilités reviennent à l'Etat"
Comment la télévision couvre-t-elle ce sujet, sous quels angles ?
Il y a plusieurs angles. Dès les années 70-80, se pose la question des trafics d'enfants ou des adoptions illégales. Globalement, l'angle ou l'entrée de l'adoption dans l'espace public, c'est le scandale. Un autre angle demeure la banalisation des familles adoptantes ou le désir d'enfant des parents adoptants. Sur ce dernier point, l'approche est vraiment centrée sur le parcours du combattant de ces candidats à l'adoption. Soit un discours dépolitisé autour de l'humanitaire.
On parle donc peu des enfants en eux-mêmes et ce que représente leur adoption ?
Oui, car on se met très peu à la place des enfants. Si on regarde ça avec empathie, si on avait abordé l'adoption comme une autre question sociale ou politique, on aurait pensé aux enfants. Mais comme on s'est dit "ils seront mieux chez nous que chez eux", d'une certaine façon, en leur donnant une famille et un cadre, il n'y aurait pas de problème. Si par exemple, un adulte réfléchit à une expatriation, la question est beaucoup plus lourde.
Les associations sont-elles responsables ?
Moi, je pense que les responsabilités reviennent à l'Etat. Car c'est un enjeu politique puisque c'est une pratique régie par l'Etat. C'est lui qui délivre les visas, il y a des lois, l'Etat donne des agréments aux associations, etc. Mais sur quels critères ? Et quand ces associations sont dissoutes, quels sont les recours pour les enfants adoptés, potentiellement victimes d'un trafic ? Où sont les archives ? L'enjeu est au niveau de l'Etat, car il y a une forme d'hypocrisie, d'engagement et de désengagement. Ce n'est pas une pratique privée. C'est une pratique encadrée. S'il y avait un vrai droit de regard sur les associations, les choses se passeraient différemment. Aujourd'hui, les personnes adoptées, via le Collectif pour la reconnaissance des adoptions illégales en France, demandent une commission d'enquête parlementaire sur les adoptions illégale et illicites en France depuis 1960. Et le bras-de-fer institutionnel est ouvert.
"Ce qui a été compliqué, c'est de faire entendre le retour d'expérience des personnes adoptées"
L'adoption est-elle taboue à la télévision ?
C'est un sujet qui traverse les médias depuis la Seconde guerre mondiale. Donc l'adoption n'est pas un tabou. Mais ce qui a été compliqué, c'est de faire entendre le retour d'expérience des personnes adoptées, et en particulier celles qui avaient un discours critique sur l'adoption. Longtemps, il y a eu l'idée que ces personnes critiques l'étaient car ça s'était mal passé dans leur famille. Leur parole était donc peu entendable ou peu légitime. Et comme on a très longtemps utilisé le terme d'enfant adopté pour des personnes qui étaient adultes, tout ceci a participé à disqualifier la parole.
Une parole disqualifiée et confisquée ?
Oui, je m'intéresse avec cette conférence à montrer comment on a fini par investir l'espace public et même l'espace institutionnel de l'adoption. Personnellement, je m'inscris dans une continuité de remise en question sur l'adoption et des pratiques liées à l'adoption qui sont posées depuis au moins 30 ans.