L'ACTU.
Après une semaine chargée, avec la venue en France du pape François et de Charles III d'Angleterre, Emmanuel Macron était interrogé par Laurent Delahousse et Anne-Claire Coudray aux 20h de France 2 et TF1, dimanche 24 septembre. Le président a notamment été interrogé sur les déclarations du chef de l'Église catholique à propos l’immigration vers l'Europe. En déplacement à Marseille, l'évêque de Rome avait ainsi appelé à plus de solidarité européenne vis-à-vis des migrants. « Nous ne pouvons plus assister aux tragédies des naufrages provoqués par le fanatisme de l’indifférence », a-t-il dit avant de demander des actes et d'en appeler à « un devoir d’humanité », « un devoir de civilisation ».
Emmanuel Macron a donc répondu dimanche que si le pape « avait raison », la France faisait déjà « sa part ». Avant d'ajouter : « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde », reprenant à son compte la célèbre petite phrase du premier ministre Michel Rocard en 1989. Mi-septembre le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin avait en effet informé du refus de la France d’accueillir une partie des migrants arrivés dernièrement à Lampedusa.
L'ARCHIVE.
« Il faut lutter contre toute immigration nouvelle, à 4 200 000 étrangers en France, ce n'est pas possible, nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. » Le 3 décembre 1989, invité du «7 sur 7» d'Anne Sinclair sur TF1, Michel Rocard, interrogé d'abord sur la question du vote des étrangers en France, appuyait l'affermissement de la politique migratoire menée par la gauche au pouvoir avec cette petite phrase devenue célèbre. Il ajoutait : « Et pour ceux qui, chez nous, vivent mal, parce que leurs quartiers sont dégradés, parce qu'ils n'ont pas de formation, qu'ils n'ont pas d'emploi, pas de logement. Qu'ils soient Français ou étrangers, là est la politique d'intégration de tous les démunis de la société français »
Dans les médias, en politique, la période était au durcissement des discours sur l'immigration. Quelques semaines plus tôt, en octobre 1989, le débat public s'était tendu autour de l'exclusion à Creil, dans l’Oise, de trois jeunes filles parce qu’elles portaient le foulard dans l’enceinte de leur collège.
Face à Anne Sinclair qui rappelait que la France n'était pas le premier pays accueillant des réfugiés en Europe, le premier ministre réitérait ses propos, précisant la fermeté de la politique menée. « Tout ça, c'est de l’abstraction. Les réfugiés, ce n'est pas une quantité statistique, ce sont des hommes et des femmes qui vivent à Vénissieux, aux Minguettes, à Villeurbanne, à Chanteloup, ou à Mantes-la-Jolie. Et, il se passe des choses quand ils sont trop nombreux et qu'on se comprend mal entre communautés. C'est pourquoi je pense que nous ne pouvons pas héberger toute la misère du monde. »
Une politique migratoire ferme
Ainsi, la France, selon lui devait s'en tenir à la Convention de Genève, de laquelle le pays était signataire et qui prévoyait l'accueil pour « tous ceux dont les libertés d’expression ou dont l’opinion sont réprimés » dans leur pays. « Mais pas plus. » Et de vanter son bilan : « Il faut savoir qu'en 1988, nous avons refoulé, je dis bien refoulé, à nos frontières, 66 000 personnes, à quoi s'ajoute une dizaine de milliers d'expulsions depuis le territoire national. Et je m'attends à ce qu'en 1989, l'année n'est pas finie, les chiffres soient un peu plus forts. »
Il assumait donc une action ferme de la Gauche sur le terrain migratoire. « Je ne peux laisser personne dire que rien ne se fait. Cette politique est dure, il n'est pas question qu'elle soit médiatisée, mais nous devons le faire pour maintenir la cohésion de la société française et pour pouvoir, intégrer et insérer dans des conditions décentes les immigrés en situation régulière, et qui sont, dieu merci, le plus grand nombre. » Une semaine plus tard, le président François Mitterrand assurait que le « seuil de tolérance » de la population français pour les étrangers avait « été atteint dans les années 70 »
Suite à cette interview, où il n'était pas encore question pour la France de prendre « sa part », le premier ministre répéta à plusieurs reprises sa petite formule, qu'il semblait apprécier. Comme dans l'archive ci-dessous, lors d'un colloque organisé par le PS à l'Assemblée nationale en janvier 1990, consacré à l'immigration, rassemblant plusieurs ministres du gouvernement et des élus socialistes d'origine maghrébine.
Colloque PS : "nous ne pouvons accueillir toute la misère du monde"
1990 - 02:14 - vidéo
Cependant, quelques années plus tard, Michel Rocard affirma que sa citation, prononcée une première fois en dehors de l'œil des caméras lors d'un discours devant la Cimade, avait été tronquée. Selon lui, il aurait ajouté que la France devait « savoir en prendre fidèlement sa part ».
Prendre sa part
Ainsi, en 1993, en pleine cohabitation entre Édouard Balladur et François Mitterrand, et alors qu'une reforme du code de la nationalité française portée par le ministre de l'Intérieur RPR Charles Pasqua devait être votée par le parlement, Michel Rocard désormais premier secrétaire du Parti socialiste revenait sur ses propos, à nouveau face à Anne Sinclair dans «7 sur 7».
Dans l'extrait ci-dessous, on l'entendait d'abord fustiger avec force le projet Pasqua : « Il est exact que nous ne pouvons pas ne pas avoir une politique convenable dans le traitement de notre immigration, il est scandaleux qu'à travers cette inutile réforme du code de la nationalité, qu'à travers l’aggravation des contrôles d’incidents pour les permettre en fait au faciès, j'ose dire ce qui est derrière, il est scandaleux qu'au lieu de traiter un vrai problème de maitrise de nos flux migratoires, de leur maitrise parce que c'est ça le vrai problème, on ait visé à mettre en insécurité psychologique les quatre millions d'étrangers qui habitent sur le territoire de ce pays. » Et d'ajouter, pour marquer les esprits et distinguer la position du PS de celle du gouvernement alors en place : « C'est quand même une honte ! »
Michel Rocard sur la loi Pasqua et l'immigration en France
1993 - 03:21 - vidéo
Sur sa célèbre petite phrase, il confirmait : « C'est tragiquement une évidence, et précisément ce qui fait le problème, mais laissez-moi lui ajouter son complément à cette phrase. Je maintiens que la France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, la part qu'elle en a, elle prend la responsabilité de la traiter la mieux possible. » Et de conclure : « À partir de là, ce n'est pas non plus une raison pour que la France se charge de toutes les xénophobies du monde. » Il assurait que la lutte contre la xénophobie était son combat du moment.
À partir de la moitié des années 1990, Michel Rocard insista donc pour dire que sa citation initiale avait été tronquée, mal comprise, et que celle proposée finalement en 1993 était la vraie. Comme en 26 septembre 2009, dans Libération : « Chers amis, permettez-moi, dans l’espoir, cette fois-ci, d’être bien entendu, de le répéter : la France et l’Europe peuvent et doivent accueillir toute la part qui leur revient de la misère du monde. » C'est pourtant la version courte (ou tronquée, c'est selon) de cette célèbre petite phrase qui est entrée dans les mémoires.