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Il y a 50 ans, le discours historique de Simone Veil sur l'avortement à l'Assemblée

Il y a 50 ans, le discours historique de Simone Veil sur l'avortement à l'Assemblée

Rescapée de la Shoah, Simone Veil est ministre de la Santé lorsqu'elle présente devant l’Assemblée nationale, le 26 novembre 1974, le projet de loi sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG). Revivez en archives cet instant-clé de la Ve République.

Par Florence Dartois - Publié le 18.11.2024
 

Dans les années 1970, sur fond de libération des mœurs, la société se déchire sur la question du droit des femmes à disposer de leur corps. De profonds débats idéologiques opposent alors les « anti-IVG » aux « pro-IVG ». La parole des femmes commence à se faire entendre, notamment à travers les prises de positions des féministes et du Planning familial qui jouent un rôle primordial dans l'obtention du droit à l'avortement.

En février 1973, certains praticiens affichent clairement leur opinion favorable à une légalisation de l’avortement en publiant un manifeste dans lequel ils déclarent pratiquer des avortements. La même année, la création du MLAC (Mouvement pour la liberté de l'avortement et de la contraception), porté notamment par le Planning familial et le MLF, ajoute à cette dynamique. Ce mouvement s'étend à toute la France. L'opinion publique semble désormais prête à évoluer.

C'est dans ce contexte que s'inscrit le projet de loi en faveur de l'avortement porté par Simone Veil. Nommée ministre de la Santé (1974-1979), elle est chargée de préparer le projet de loi souhaité par Valéry Giscard d'Estaing, peu après son élection à la Présidence de la République. Le débat en première lecture sur un projet de loi autorisant l'IVG s'ouvre à l'Assemblée nationale le 26 novembre 1974.

À la tribune, la ministre prononce un discours historique. L'archive en tête d'article est un large extrait de ce discours. « Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme, je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes », déclare-t-elle.

Suite à un mouvement de grève déclenché par l'intersyndicale des journalistes de l'ORTF, le discours n'a pas été enregistré intégralement pour la télévision, en revanche, il l'a été pour la radio. La version audio en intégralité est disponible ci-dessous.

Extraits choisis du verbatim du discours

Simone Veil, ministre de la Santé - « Monsieur le président ; mesdames, messieurs ; si j'interviens aujourd'hui à cette tribune, ministre de la Santé, femme et non-parlementaire, pour proposer aux élus de la Nation une profonde modification de la législation sur l'avortement, croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble.

Mais c'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du Gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du Pré­sident de la République, a pour objet de "mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps".

Si le Gouvernement peut aujourd'hui vous présenter un tel projet, c'est grâce à tous ceux d'entre vous — et ils sont nombreux et de tous horizons — qui, depuis plusieurs années, se sont efforcés de proposer une nouvelle législation, mieux adaptée au consensus social et à la situation de fait que connaît notre pays... »

Après avoir décrit la loi existante - de 1920 -, un texte particulièrement répressif, Simone Veil s'interroge sur les raisons de faire évoluer la législation et explique à l'auditoire pourquoi la loi votée au début du siècle est obsolète, injuste et néfaste.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Pourquoi donc ne pas continuer à fermer les yeux ? Parce que la situation actuelle est mauvaise. Je dirai même qu'elle est déplorable et dramatique.

Elle est mauvaise parce que la loi est ouvertement bafouée, pire même, ridiculisée. Lorsque l'écart entre les infractions commises et celles qui sont poursuivies est tel qu'il n'y a plus à proprement parler de répression, c'est le respect des citoyens pour la loi, et donc l'autorité de l’État, qui sont mis en cause.

Lorsque des médecins, dans leurs cabinets, enfreignent la loi et le font connaître publiquement, lorsque les parquets, avant de poursuivre, sont invités à en référer dans chaque cas au ministère de la Justice, lorsque des services sociaux d'organismes publics fournissent à des femmes en détresse les renseignements susceptibles de faciliter une interruption de grossesse, lorsque, aux mêmes fins, sont organisés ouvertement et même par charter des voyages à l'étranger, alors je dis que nous sommes dans une situation de désordre et d'anarchie qui ne peut plus continuer. (Applaudissement sur divers bancs des républicains indépendants, de l'union des démocrates pour la République, des réformateurs, des centristes et des démocrates sociaux et sur quelques bancs des socialistes et radicaux de gauche.)

Mais, me direz-vous, pourquoi avoir laissé la situation, se dégrader ainsi et pourquoi la tolérer ? Pourquoi ne pas faire respecter la loi ?

Parce que si des médecins, si des personnels sociaux, si même un certain nombre de citoyens participent à ces actions illégales, c'est bien qu'ils s'y sentent contraints ; en opposition parfois avec leurs convictions personnelles, ils se trouvent confrontés à des situations de fait qu'ils ne peuvent méconnaître. Parce qu'en face d'une femme décidée à interrompre sa grossesse, ils savent qu'en refusant leur conseil et leur soutien, ils la rejettent dans la solitude et l'angoisse d'un acte perpétré dans les pires conditions, qui risque de la laisser mutilée à jamais. Ils savent que la même femme, si elle a de l'argent, si elle sait s'informer, se rendra dans un pays voisin ou même en France dans certaines cliniques et pourra, sans encourir aucun risque ni aucune pénalité, mettre fin à sa grossesse. Et ces femmes, ce ne sont pas nécessairement les plus immorales ou les plus inconscientes. Elles sont 300 000 chaque année. Ce sont celles que nous côtoyons chaque jour et dont nous ignorons la plupart du temps la détresse et les drames. C'est à ce désordre qu'il faut mettre fin. C'est cette injustice qu'il convient de faire cesser. »

Simone Veil tente alors de gagner une majorité récalcitrante à sa cause en soulignant que l'avortement ne se généralisera pas avec la loi et devra rester une exception. Vient alors un grand moment de son discours dans lequel elle s’adresse à l'auditoire en tant que femme.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme — je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes : aucune femme ne recourt de gaieté de cœur à l'avortement. Il suffit d'écouter les femmes. (Applaudissements sur divers bancs de l'union des démocrates pour la République, des républicains indépendants, des réformateurs, des centristes et des démocrates sociaux et sur quelques bancs des socialistes et radicaux de gauche.)

C'est toujours un drame et cela restera toujours un drame.

C'est pourquoi, si le projet qui vous est présenté tient compte de la situation de fait existante, s'il admet la possibilité d'une interruption de grossesse, c'est pour la contrôler et, autant que possible, en dissuader la femme. Nous pensons ainsi répondre au désir conscient ou inconscient de toutes les femmes qui se trouvent dans cette situation d'angoisse, si bien décrite et analysée par certaines des personnalités que votre commission spéciale a entendues au cours de l'automne 1973... »

La ministre décrit ensuite la situation de détresse dans laquelle se retrouvent les femmes qui doivent avorter. Elle décrit le rejet, l'opprobre, la honte et la solitude qu'elles endurent sans recevoir aucune écoute ni aucune aide. La suite de sa déclaration tend à montrer qu'il ne s'agit pas d'une histoire privée, mais de l'intérêt de la Nation.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Mais la sollicitude et l'aide, lorsqu'elles existent, ne suffisent pas toujours à dissuader. Certes, les difficultés auxquelles sont confrontées les femmes sont parfois moins graves qu'elles ne les perçoivent. Certaines peuvent être dédramatisées et surmontées ; mais d'autres demeurent qui font que certaines femmes se sentent acculées à une situation sans autre issue que le sui­cide, la ruine de leur équilibre familial ou le malheur de leurs enfants.

C'est là, hélas ! La plus fréquente des réalités, bien davantage que l'avortement dit « de convenance ». S'il n'en était pas ainsi, croyez-vous que tous les pays, les uns après les autres, auraient été conduits à reformer leur législation en la matière et à admettre que ce qui était hier sévèrement réprimé soit désormais légal ?

Ainsi, conscient d'une situation intolérable pour l’État et injuste aux yeux de la plupart, le gouvernement a renoncé à la voie de la facilité, celle qui aurait consisté à ne pas intervenir. C'eût été cela le laxisme. Assumant ses responsabilités, il vous soumet un projet de loi propre à apporter à ce problème une solution à la fois réaliste, humaine et juste.

Certains penseront sans doute que notre seule préoccupation a été l'intérêt de la femme, que c'est un texte qui a été élaboré dans cette seule perspective. Il n'y est guère question ni de la société ou plutôt de la Nation, ni du père de l'enfant à naître et moins encore de cet enfant.

Je me garde bien de croire qu'il s'agit d'une affaire individuelle ne concernant que la femme et que la Nation n'est pas en cause. Ce problème la concerne au premier chef, mais sous des angles différents et qui ne requièrent pas nécessairement les mêmes solutions.

L'intérêt de la Nation, c'est assurément que la France soit jeune, que sa population soit en pleine croissance. Un tel projet, adopté après une loi libéralisant la contraception, ne risque-t-il pas d'entraîner une chute importante de notre taux de natalité qui amorce déjà une baisse inquiétante ? »

Simone Veil dresse ensuite un panorama de la situation en Europe et tente de rassurer l'auditoire quant à une éventuelle baisse de la natalité due à la légalisation de l'avortement. Elle présente ensuite une liste de mesures en matière de politique familiale destinées à accompagner les femmes en difficulté. Puis aborde deux thèmes absents du débat à ses yeux.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Le second absent dans ce projet pour beaucoup d'entre vous sans doute, c'est le père. La décision de l'interruption de grossesse ne devrait pas, chacun le ressent, être prisé par la femme seule, mais aussi par son mari ou son compagnon. Je souhaite, pour ma part, que dans les faits, il en soit toujours ainsi et j'approuve la commission de nous avoir proposé une modification en ce sens ; mais, comme elle l'a fort bien compris, il n'est pas possible d'instituer en cette matière une obligation juridique.

Enfin, le troisième absent, n'est-ce pas cette promesse de vie que porte en elle la femme ? Je me refuse à entrer dans les discussions scientifiques et philosophiques dont les auditions de la commission ont montré qu'elles posaient un problème insoluble. Plus personne ne conteste maintenant que, sur un plan strictement médical, l'embryon porte en lui définitivement toutes les virtualités de l'être humain qu'il deviendra. Mais il n'est encore qu'un devenir, qui aura, à surmonter bien des aléas avant de venir à terme, un fragile chaînon de la transmission de la vie (...) La seule certitude sur laquelle nous puissions nous appuyer, c'est le fait qu'une femme ne prend pleine conscience qu'elle porte un être vivant qui sera un jour son enfant que lorsqu'elle ressent en elle les premières manifestations de cette vie. Et c'est, sauf pour les femmes qu'anime une profonde conviction religieuse, ce décalage entre ce qui n'est qu'un devenir pour lequel la femme n'éprouve pas encore de sentiment profond et ce qu'est l'enfant dès l'instant de sa naissance qui explique que certaines, qui repousseraient avec horreur l'éventualité monstrueuse de l'infanticide, se résignent à envisager la perspective de l'avortement.

Combien d'entre nous, devant le cas d'un être cher dont l'avenir serait irrémédiablement compromis, n'ont pas eu le sentiment que les principes devaient parfois céder le pas. »

La ministre décrit les conditions nécessaires pour que la loi soit applicable et examine les modalités et les conséquences.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Le gouvernement a choisi une solution marquant clairement la responsabilité de la femme parce qu'elle est plus dissuasive au fond qu'une autorisation émanant d'un tiers qui ne serait ou ne deviendrait vite qu'un faux-semblant. Ce qu'il faut, c'est que cette responsabilité, la femme ne l'exerce pas dans la solitude ou dans l'angoisse. Tout en évitant d'instituer une procédure qui puisse la détourner d'y avoir recours, le projet prévoit donc diverses consulta­tions qui doivent la conduire à mesurer toute la gravité de la décision qu'elle se propose, de prendre. »

Elle décrit le rôle essentiel d'information du médecin et de dissuasion du corps médical. Le projet prévoit ensuite une consultation auprès d'un organisme social qui aura pour mission d'écouter la femme, de lui proposer des solutions alternatives (comme l'accouchement sous X) ou à l'aider à obtenir des aides le cas échéant. Ce pourra aussi être une nouvelle occasion d'évoquer avec la femme la question de la contraception pour ne plus jamais avoir à prendre la décision d'interrompre une grossesse à l'avenir. Elle aborde enfin les modalités et garde-fous de l'intervention légale accomplie dans de réelles conditions de sécurité, et la notion importante de prise de conscience.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Les deux entretiens qu'elle aura eus, ainsi que le délai de réflexion de huit jours qui lui sera imposé, ont paru indispensables pour faire prendre conscience à la femme de ce qu'il ne s'agit pas d'un acte normal ou banal, mais d'une décision grave qui ne peut être prise sans en avoir pesé les conséquences et qu'il convient d'éviter à tout prix. Ce n'est qu'après cette prise de conscience, et dans le cas où la femme n'aurait pas renoncé à sa décision, que l'interruption de grossesse pourrait avoir lieu. Cette intervention ne doit toutefois pas être pratiquée sans de strictes garanties médicales pour la femme elle-même et c'est le troisième objectif du projet de loi : protéger la femme.

Tout d'abord, l'interruption de grossesse ne peut être que précoce, parce que ses risques physiques et psychiques, qui ne sont jamais nuls, deviennent, trop sérieux après la fin de la dixième semaine qui suit la conception pour que l'on permette aux femmes de s'y exposer. Ensuite, l'interruption de grossesse ne peut être pratiquée que par un médecin, comme c'est la règle dans tous les pays qui ont modifié leur législation dans ce domaine. Mais il va de soi qu'aucun médecin ou auxiliaire médical ne sera jamais tenu d'y participer. Enfin, pour donner plus de sécurité à la femme, l'intervention ne sera permise qu'en milieu hospitalier, public ou privé ».

Simone Veil évoque également les notions de publicité qui sera faite à cette nouvelle loi et qui n'aura rien à voir avec une incitation. Elle explique aussi pourquoi le gouvernement a choisi de ne pas rembourser cet acte. Une décision qui avait été critiquée.

Simone Veil, ministre de la Santé - « De même, le Gouvernement est décidé à appliquer fermement les nouvelles dispositions qui remplaceront celles de la loi de 1920 en matière de propagande et de publicité. Contrairement à ce qui est dit ici ou là, le projet n'interdit pas de donner des -informations sur la loi et sur l'avortement ; il interdit l'incitation à l'avortement par quelque moyen que ce soit, car cette incitation reste inadmissible.

Cette fermeté, le Gouvernement la montrera encore en ne permettant pas que l'interruption de grossesse donne lieu à des profits choquants ; les honoraires et les frais d'hospitalisation ne devront pas dépasser des plafonds fixés par décision administrative en vertu de la législation relative aux prix. Dans le même souci, et pour éviter de tomber dans les abus constatés dans certains pays, les étrangères devront justifier de conditions de résidence pour que leur grossesse puisse être interrompue.

Je voudrais enfin expliquer l'option prise par le Gouvernement, qui a été critiqué par certains, sur le non-remboursement de l'interruption de grossesse par la sécurité sociale. Si l'on s'en tient aux principes généraux de la sécurité sociale, l'interruption de grossesse, lorsqu'elle n'est pas thérapeutique, n'a pas à être prise en charge.

Faut-il faire exception à ce principe ? Nous ne le pensons pas, car il nous a paru nécessaire de souligner la gravité d'un acte qui doit rester exceptionnel, même s'il entraîne dans certains cas une charge financière pour les femmes. Ce qu'il faut, c'est que l'absence de ressources ne puisse pas empêcher une femme de demander une interruption de grossesse lorsque cela se révèle indispensable ; c'est pourquoi l'aide médicale a été prévue pour les plus démunies.

Ce qu'il faut aussi, c'est-bien marquer la différence entre la contraception qui, lorsque les femmes ne désirent pas un enfant, doit être encouragée par tous les moyens et dont le remboursement par la sécurité sociale vient d'être décidé, et l'avortement que la société tolère, mais qu'elle ne saurait ni prendre en charge ni encourager ».

Elle aborde enfin les risques de l'avortement clandestin pour la santé des femmes, impliquant parfois un risque de stérilité future.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Rares sont les femmes qui ne désirent pas d'enfant ; la maternité fait partie de l'accomplissement de leur vie et celles qui n'ont pas connu ce bonheur en souffrent profondément. Si l'enfant une fois né est rarement rejeté et donne à sa mère, avec son premier sourire, les plus grandes joies qu'elle puisse connaître, certaines femmes se sentent incapables, en raison des difficultés très graves qu'elles connaissent à un moment de leur existence, d'apporter à un enfant l'équilibre affectif et la sollicitude qu'elles lui doivent. À ce moment, elles feront tout pour l'éviter ou ne pas le garder. Et personne ne pourra les en empêcher. Mais les mêmes femmes, quelques mois plus tard, leur vie affective ou matérielle s'étant transformée, seront les premières à souhaiter un enfant et deviendront peut-être les mères les plus attentives. C'est pour celles-là que nous voulons mettre fin à l'avortement clandestin, auquel elles ne manqueraient pas de recourir, au risque de rester stériles ou atteintes au plus profond d'elles-mêmes ».

À la fin de son intervention, Simone Veil donne une preuve de bonne foi à l'égard de ceux qui s'opposaient à la loi en leur proposant une date de réexamen possible après cinq ans.

Simone Veil, ministre de la Santé - « Ceux-là, j'espère les avoir au moins convaincus que ce projet est le fruit d'une réflexion honnête et approfondie sur tous les aspects du problème et que si le Gouvernement a pris la responsabilité de le soumettre au Parlement, ce n'est qu'après en avoir mesuré la portée immédiate aussi bien que les conséquences futures pour la nation.

Je ne leur en donnerai qu'une preuve, c'est qu'usant d'une procédure tout à fait exceptionnelle en matière législative, le Gouvernement vous propose d'en limiter l'application à cinq années. Ainsi dans l'hypothèse où il apparaîtrait au cours de ce laps de temps que la loi que vous auriez votée ne serait plus adaptée à l'évolution démographique ou au progrès médical, le Parlement aurait à se prononcer à nouveau dans cinq ans en tenant compte de ces nouvelles données.

D'autres hésitent encore. Ils sont conscients de la détresse de trop de femmes et souhaitent leur venir en aide ; ils craignent toutefois les effets et les conséquences de la loi. À ceux-ci, je veux dire que si la loi est générale et donc abstraite, elle est faite pour s'appliquer à des situations individuelles souvent angoissantes ; que si elle n'interdit plus, elle ne crée aucun droit à l'avortement et que, comme le disait Montesquieu : "la nature des lois humaines est d'être soumise à tous les accidents qui arrivent et de varier à mesure que les volontés des hommes changent Au contraire la nature des lois de la religion est de ne varier jamais. Les lois humaines statuent sur le bien, la religion sur le meilleur." ».

Et de conclure :

Simone Veil, ministre de la Santé - « Mais nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300 000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours. L'histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d'un nouveau consensus social, qui s'inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays.

Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l'avenir. Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous ; nous les avons nous-mêmes élevé de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême ».

Un débat houleux

Après ce discours, le débat dans l'hémicycle va durer trois jours, soit 25 heures d'échanges houleux. Opposé au projet de loi, Michel Debré proposa, par exemple, d'affirmer « le principe du respect de la vie humaine », « d'accueillir, de soutenir, protéger, de promouvoir une maternité féconde ».

Extrait de l'allocution de Michel Debré au perchoir de l'Assemblée générale.

Simone Veil reçoit aussi des soutiens. En voici un exemple. Le député Jean-Pierre Cot, socialiste, s'adresse à elle, admiratif de son courage et de sa détermination, en tant que femme, « dans cette assemblée d'hommes ». S'il lui témoigne son soutien, il lui demande également d'améliorer son projet et de tenir compte de l'inégalité des moyens financiers des femmes, entre celles qui peuvent aller se faire avorter à Londres et celles qui, faute de moyens, « tombaient aux mains des faiseuses d'anges ».

Dans la nuit du 29 novembre 1974, l'Assemblée nationale adopte finalement le texte en première lecture avec 284 voix pour, 189 contre.

Simone Veil se souvient

En guise de conclusion laissons la parole à Simone Veil. Quelques années plus tard, en 1992 dans le magazine « Géopolis », l'ancienne ministre revenait sur le contexte tendu du vote de la loi sur l'avortement, sur l'opposition majoritaire des hommes et sur le soutien qu'elle avait obtenu des femmes.

« Je crois que ça a été une victoire des femmes même, je dirais même pour celles qui n'étaient pas favorables au projet, qui restent non favorables (...) Et les gens ont senti qu'au-delà du sujet, il y avait une femme qui était seule au milieu de ces hommes, qui étaient d'une agressivité, d'une oppression, je dirais, d'une vulgarité vis-à-vis de la femme. Ils avaient l'impression que c'étaient à eux qu'on arrachait le pouvoir, le pouvoir politique, mais aussi qu'on les atteignait dans leur virilité, dans leur sexualité. Et la femme qui était là, c'était comme si c'était elle qui devenait l'ennemie. Ce qui fait que les femmes sont devenues mes alliées. Et je crois un peu dans ce débat. »

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