« Génie du marketing », « un crédo : ancrer la marque dans les yeux et dans les esprits »... Dans les archives de l'INA, Paul Ricard, le fondateur de la célèbre marque de boisson anisée, est souvent décrit comme un patron visionnaire dans la promotion de l'image de sa marque. Et pour cause, aujourd'hui Ricard est la marque référence lorsque l'on évoque le pastis, cette boisson dont on lui attribue la paternité.
Lorsqu'il était interviewé comme dans l'archive en tête d'article, ce chef d'entreprise innovant racontait l'histoire suivante : « Pourquoi l'idée de fabriquer cette boisson ? Eh bien, c'est parce qu'il y avait ici un braconnier (...) qui connaissait toutes les herbes de la montagne, des garrigues qui nous entourent. Et, il m'avait donné une première formule, que j'ai modifiée après ». Cette légende du père Espanet fera partie intégrante de la communication de l'entreprise, basée sur la mise en scène du Midi et de ses traditions.
Inventeur du pastis ou inventeur d'une recette de pastis ?
Qu'en est-il vraiment ? Paul Ricard est né en 1909, dans le quartier de Saint-Marthe, à Marseille, là où il installa sa première usine. Autour des années 1930, après avoir rejoint l'entreprise de commerce de vin de son père, il s'intéresse au pastis. Dans son article universitaire dédié à Paul Ricard, l'historien Jean Domenichino raconte comment cet apéritif anisé était, à l'époque, « produit pour une grande part clandestinement et circulant sous le manteau dans toute la Provence sous différentes appellations – pastis, pataclé ou lait de tigre – et ce à la satisfaction des nostalgiques des temps anciens, en fait avant l’interdiction de l’absinthe ».
En effet, dans la famille des anisés, l'alcool le plus commun au XIXe et début du XXe siècle était l'absinthe. Vendue à prix accessible, elle fut soupçonnée de faire des ravages chez ses consommateurs - comme Zola l'a décrit à plusieurs reprises dans Les Rougon-Macquart -, voire de rendre fou. Elle fut donc interdite en Suisse à partir de 1910 et en France à partir de 1915.
L'absinthe en Haut Doubs et en Suisse
1979 - 05:17 - vidéo
À cette époque, les distilleries d'absinthe existaient partout en France, mais c'était en Franche-Comté qu'on trouvait la plus grande densité. Et ce, notamment autour de Pontarlier, où le distilleur suisse Henri-Louis Pernod participa à l'essor de cette boisson.
En parallèle, une autre famille de Pernod, Jules-François Pernod et ses fils, avait lancé sa propre production d'absinthe à Monfavet près d'Avignon. Avec l'interdiction de cet alcool phare, l'entreprise se met à vendre, dès 1918, sous la marque Anis Pernod, un anisé plus léger, très similaire à ce qu'on appellera très peu de temps après pastis. Après un procès entre les deux entreprises Pernod, celles-ci fusionnèrent.
Le premier pastis tient donc autant ses racines des absinthes du XIXe siècle, qui n'étaient pas particulièrement produites dans le sud de la France, que d'un marché de l'anisé fortement entravé par la loi à partir de 1915. Cette conjoncture mena à la fabrication plus ou moins officielles, un peu partout en France d'alcools anisés plus légers - on peut citer par exemple, le... Pontarlier - un peu partout en France. Et à la commercialisation par une entreprise avignonnaise d'un premier alcool anisé contenant de la réglisse.
Quant à Paul Ricard, il établit sa recette du « vrai pastis de Marseille » en 1932. Le pastis, avec son degré d'alcool tel qu'on le connait aujourd'hui, n'a pu être commercialisé qu'après l’abrogation en 1951 d'une loi interdisant les boissons à trop grande proportion d'alcool. De là, l'essor de Ricard et la création du pastis Pernod 51. En 1975, les deux entreprises fusionnaient pour devenir Pernod-Ricard.