Claude Lelouch est un cinéaste atypique, toujours en mouvement. Curieux, il laisse l'imprévu bouleverser ses tournages car pour cet homme superstitieux : rien n'est jamais vraiment une coïncidence.
"Etre superstitieux, c'est accepter l'irrationnel. Le 13 est devenu l'ami de la famille. Le hasard déteste les tricheurs".
Lorsqu'il se lance dans le cinéma, au début des années 60, c'est sous l'influence de ce chiffre 13 qu'il fonde sa propre maison de production, Les Films 13. Un chiffre porte-bonheur qui l'accompagnera tout le long de son parcours.
Du scopitone à l'Oscar...
Avant de se lancer dans les longs métrages, Claude Lelouch a d'abord tourné de nombreux courts-métrages et des … scopitones, l'ancêtre des vidéoclips (environ 200). De cette expérience enrichissante, il conservera, la souplesse, la rapidité et le goût de l'improvisation. "C'est un rodage formidable pour un réalisateur" .
Claude Lelouch à propos des scopitones, 1965 (audio)
Le succès le cueuille en 1966, avec Un homme et une femme, avec Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée. Tourné avec un tout petit budget - en trois semaines - cet ovni : un film romantique à souhait, relate la naissance d'un couple et va enflammer la planète... à la grande surprise du réalisateur lui-même.
En 1981, il revenait sur sa genèse.
Emporté par le tourbillon de la gloire, il obtient la célébrité et l'argent en une nuit! Le jeune cinéaste de 28 ans est couronné la même année d'une palme d'or à Cannes et de deux Oscars pour ce film (Meilleur film étranger et meilleure musique de film).
"Tout l'argent gagné sera investi dans d'autres films" déclare-t-il.
Mais ce succès a un revers, il le raconte sur le plateau de Catherine Ceylac en 2010. "Trop, c'est trop des fois… à 28 ans j'avais tout eu, un succès planétaire. C'est vrai qu'on me l'a fait payer très cher… j'étais devenu l'homme riche à abattre. Je suis passé de la pauvreté à la richesse en une nuit".
La formidable légèreté de l'imprévu
"J'ai voulu donner de l'importance à la figuration… à tous les personnages qui font évoluer le couple principal". Claude Lelouch, c'est un style, un rythme, un regard. Son cinéma est spontané, pris sur le vif. Bien souvent les comédiens ne connaissent ni le scénario, ni même leur texte. Du premier rôle au figurant, chacun possède une place essentielle dans le canevas de son récit.
Claude Lelouch à propos de son film "Le Propre de l'homme", 1961
Glissons-nous sur le tournage scène de Vivre pour vivre avec Yves Montand et Annie Girardot. "C'est parti pour vingt minutes sans couper…"
Sur le tournage de Vivre pour vivre 1967
"On ne dirige pas un comédien. Il faut le mettre dans une situation telle, que ce qu'ils font, ils le font naturellement. Des fois, je ne dis pas tout au comédien. Il l'apprend en tournant. Ce qui fait qu'il conserve sa spontanéité."
La direction d'acteur spécifique à Claude Lelouch, 1967
Avec sa formation de cadreur, Claude Lelouch filme le plus souvent lui-même, avec une caméra légère.
Claude Lelouch nous explique ici les avantages à être son propre cameraman, pour "saisir au vol les émotions qui passent sur le visage des acteurs". "En fait, quand je filme, j'ai les deux yeux ouverts. J'ai un œil qui cadre et un œil qui regarde tout ce qui se passe autour de mes personnages… Ça me permet d'avoir ce que j'aime le plus… ces instants très courts qui ne durent qu'une seconde".
Cameraman et réalisateur, 1967
L'importance du quotidien et des hasards nécessaires
Lorsque Claude Lelouch parle de cinéma, il évoque la vie, l'amour, la mort et l'inexorable. Pour lui, pas de hasard ou de chance mais une symphonie brillamment orchestrée par la vie. Il restera toujours fidèle à sa grande thématique, celle du destin et des coïncidences… qui n'en sont pas… Filmer le sens de la vie est le credo du cinéaste.
Un credo qu'il va décliner dans toutes sortes de genres, de la comédie sociale (Smic, Smac, Smoc) à la fresque historique (Toute une vie) en passant par le polar (Le Voyou en 1970).
Ses "petites histoires" rejoignent souvent la grande histoire, comme dans le film Les uns et les autres.
Claude Lelouch aime s'ancrer dans le quotidien. "Je crois que le quotidien est beaucoup plus fort si on le film avec des événements qui ont une grande importance".
Reconnaissance et traversée du désert
Engagé dans la création, Claude Lelouch n'a jamais tourné de film politique à proprement parler. Pour lui, c'est l'argent qui brise les rêves.
"Je n'ai jamais fait de film politique. Je pense qu'il y a un seul problème, c'est l'argent et que tous les problèmes d'argent débouchent sur des problèmes politiques. Alors moi, je m'attaque à l'argent. J'ai peur que mon fils hérite un jour de ma fortune. C'est la chose qui me fait le plus peur, c'est pour ça que je vais tout faire pour la dépenser avant de mourir, parce que je ne voudrais pas que mon fils soit invalide avec l'argent. L'argent est une chose formidable pour ceux qui l'ont gagné parce qu'ils savent comment le dépenser. Le système capitaliste … a une faille terrible qui est l'héritage."
Politique et argent, 1974
La vie ne l'a pas épargné et son succès précoce lui a valu bien des déboires, jalousies et autres trahisons, mais Claude Lelouch n'est pas amer et tire les leçons de ses traversées du désert. L'important pour lui, c'est sa relation au public : "C'est le public qui apprend mes films aux critiques…"
Passeur d'histoires...
"Le cinéma a commencé par me sauver la vie…". Autodidacte, sa passion du cinéma, l'artiste aime la partager. A travers ses films, bien-sûr, mais également à travers ses expériences… comme lors de cette master class dans un lycée. Face aux élèves, il revient sans faux semblants sur ses réussites et ses échecs.
Pour aller plus loin
Une journée avec Claude Lelouch : Thé ou café, 2010
Un homme et une femme 50 ans après
Leçons de cinéma par Claude Lelouch
A propos du documentaire de Claude Lelouch : d'un film à l'autre, 2011
Interview de Claude Lelouch par André Chanu, 1967 (audio)
Lelouch, producteur de films, 1976. Conversation avec François Ceyrac, président du CNPF (audio).
Votre jardin secret, 1972. Entretien avec Claude Lelouch sur le cinéma et la poésie. (audio)
Florence Dartois