Le 6 juin 1944, parmi les troupes américaines à débarquer sur les côtes françaises, il y avait 1700 soldats noirs. Plusieurs dizaines de milliers d'autres soldats vinrent les rejoindre les jours qui suivirent, souvent en support, loin de la première ligne et cantonnés à des tâches subalternes. Aujourd'hui, 143 d'entre eux reposent à Omaha Beach. Et même lors de la visite du président Obama pour le 65e anniversaire du débarquement, en 2009, il n'avait pas été question de leur participation au débarquement ni de leur héroïsme.
Cet aspect du débarquement est rarement évoqué dans les archives mais nous avons retrouvé un témoignage poignant enregistré en 1994, année du cinquantenaire du débarquement en Normandie. Interrogé par FR3 Normandie, le jazzman américain Jon Hendicks (1921-2017), ancien vétéran du D-Day qui revenait pour la première fois sur les lieux, décrivait le sort qui fut réservé aux soldats noirs en juin 1944. Le reportage est illustré d'images d'archives et d'extraits de son concert.
L'ARCHIVE.
« Lutter contre le nazisme dans l'armée ségrégationniste d'un pays démocratique était mieux qu'être esclave ! C'était drôle. C'était bizarre » ! L'archive en tête d'article est d'autant plus intéressante qu'elle est rarissime. Ses propos sont forts, sans filtre et décrivent une réalité peu reluisante de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Comme tous les alliés, il n'avait qu'un seul idéal : combattre le nazisme. Mais à cause sans doute de la couleur de sa peau, on ne lui avait pas donné beaucoup de responsabilités...
En 1994, à 74 ans, ses souvenirs de guerre et d'humiliation le hantaient toujours. Venu pour participer au festival du cinquantenaire comme artiste, il revivait aussi un épisode de sa vie, lorsqu'il avait débarqué à Utah Beach pour sauver la monde. Si le reportage débutait sur un ton badin, le jazzman évoquant avec ses filles, les bribes de mot français dont il se souvenait, la suite de son témoignage prenait une tournure plus grave. Il évoquait « la propagande » de l'armée américaine et la manière dont on traitait les combattants noirs dans ses rangs : « On avait l'impression d'être utilisés comme ces camions qu'ils avaient et auxquels, peut-être, ils portaient plus d'attention. »
Jon Hendricks avait combattu ce racisme à l'armée, ce qui lui avait valu trois ans sous les verrous. Revenu aux États-Unis, il avait continué à défendre la cause des Noirs, mais cette fois avec un statut de juriste. Lorsqu'il évoquait l'encadrement militaire, ses propos se faisaient implacables : « Tous nos officiers étaient blancs et racistes. Le simple fait de nous dire bonjour était insultant pour eux. Ils étaient incapables d'humanité. Seule la haine comptait. Héréditaire et enseignée dès le plus jeune âge. Les Blancs du Sud surtout étaient bien éduqués en la matière », ironisait-il. Cette blessure que l'on sentait toujours vive, il espérait bien l'apaiser avec ce voyage.
Jon Hendricks
1994 - 02:56 - vidéo
Version plus courte de l'interview : « Déjà en Angleterre, où nous nous préparions, c'était de dire aux populations locales de nous ignorer. Ensuite, ce fut une période barbare, vicieuse, et le premier geste d'humanité, c'est la France qui me l'a donné. »