Le 1er février 1979, après 15 ans d’exil, l’ayatollah Khomeyni rentre à Téhéran. Près de 4 millions d’Iraniens l’attendent à sa sortie d’avion. La foule est en liesse. C’est une journée historique, pour l’Iran, mais aussi pour le monde musulman, qui voit l’avènement de l’islamisme comme nouvelle force politique majeure. Pour bien comprendre l’importance de cette journée, il convient de revenir quelques jours en arrière, au moment où se joue la succession du pouvoir du Shah d’Iran.
Si l’ayatollah Khomeyni est acclamé par cette immense foule, c’est que le pays rejette le pouvoir de son roi, le Shah, sur le trône depuis la Seconde guerre mondiale et soutenu historiquement par les Occidentaux.
Les excès de sa police politique, la redoutée Savak, son dédain pour les droits de l’homme, la fragilisation économique d’un pan entier de la société, et son aveuglement face aux aspirations traditionalistes et religieuses d’un nombre important d’Iraniens amènent une contestation de plus en plus forte à son égard.
En 1978, les manifestations contre son régime sont réprimées dans le sang. Le Shah finit par perdre ses soutiens. Il doit partir.
Le 16 janvier 1979, son Premier ministre et ancien opposant Shapour Bakhtiar lui conseille l’exil momentané, pour rétablir l'ordre dans les rues. Mais tout le monde en Iran a compris que c’est un départ définitif.
Cependant, malgré le départ du Shah, le régime reste en place, l’Iran est toujours gouverné par son Premier ministre Shapour Bakhtiar qui entend garder le pouvoir pour éviter que l’Iran ne tombe aux mains des religieux et des communistes, les deux grandes forces d’opposition au pouvoir.
Face à lui, un homme, qui symbolise de plus en plus la révolution iranienne en cours depuis 1978 : l’ayatollah Khomeyni. Exilé en 1964 en Turquie puis en Irak, il s’installe en 1978 dans la région parisienne, à Neauphle-le-Château.
C’est de cette petite localité francilienne qu’il continue à prêcher sa révolution : l’Iran doit se débarrasser du Shah et retourner aux fondements de l’Islam afin de couper l'assujettissement du pays à l'Occident. Sa parole est diffusée sur des cassettes, distribuées par milliers dans les villes iraniennes.
Le 16 janvier, réagissant au départ du Shah, l’ayatollah, depuis sa maison de Neauphle-le-Château, annonce son retour en Iran à une date indéterminée. Il annonce : « la vraie victoire, ce sera la fin de la domination étrangère sur le pays ».
Plus tôt dans la journée, il précisait que « le gouvernement Bakhtiar est illégal, de même que le Conseil de régence installé par le Shah, seul reconnu est le gouvernement provisoire de la Révolution islamique qui va former un gouvernement provoisoire ».
A Téhéran, le pouvoir détenu par le Premier ministre est donc ouvertement menacé. Le 20 janvier, soit quatre jours après la déclaration de Khomeyni à son égard, le journaliste Edouard Lor recueille les réactions du Premier ministre dans son bureau de Téhéran.
La question que les journalistes et les hommes politiques du monde entier se posent à ce moment est celle de savoir si le pouvoir va permettre à Khomeyni de rentrer en Iran. Sachant le soutien du peuple à l’Ayatollah, c’est en effet un choix crucial pour le Premier ministre, qui risque de perdre le pouvoir.
Pendant ce temps là, les manifestations à Téhéran continuent, et l’armée contient toujours par la répression les mouvements de foule qui réclament à présent le départ du Premier ministre Bakhtiar et le retour de Khomeyni. Une manifestation dégénère plus que les autres et fait 30 morts parmi la population.
Bakhtiar perd donc la partie. Ayant décidé de soutenir l’armée pour garder son soutien coûte que coûte, il perd celui des Iraniens, excédés par les violences militaires et policières. L’ayatollah Khomeyni peut donc rentrer à Téhéran, où le face-à-face avec Bakhtiar s’annonce explosif.
Le 1er février, Bakhtiar n’apparaît pas à l'aéroport, et laisse toute la lumière sur le retour de Khomeyni, qui rassemble ses millions de fidèles au grand cimetière de Behesht-e Zahra où sont enterrés les « martyrs » des répressions du Shah.
Le 3 février, l’ayatollah Khomeyni tient sa première conférence de presse depuis son retour à Téhéran. S'il se montre dur vis-à-vis du Premier ministre, il semble encore laisser la porte ouverte au compromis. L’armée détient la clé qui décidera du succès final pour emporter le pouvoir.
Le 4 février, Khomeyni nomme son propre Premier ministre, Mehdi Bazargan. L’Iran a deux Premier ministres. La lutte se poursuit et la tension monte entre les deux camps, le camp révolutionnaire islamique et le camp loyaliste.
Les manifestations se succèdent dans la capitale, et l’armée, qui conserve pour le moment son soutien au gouvernement de Bakhtiar, observe la situation tout en nouant des contacts avec Khomeyni.
Le 9 février, des combats éclatent au sein des casernes, l'armée est, elle-aussi, comme l'ensemble de la société, partagée. Le soutien au gouvernement loyaliste s'affaiblit considérablement. Le couvre-feu n'est alors plus respecté et de nouveaux combats de rue éclatent à Téhéran dans la nuit du 10 février.
Tout se joue le 11 février, lorsque l'armée annonce qu'elle restera neutre, et qu'elle ne réprimera donc pas les partisans de Khomeyni. Le soir, la révolution islamique prend définitivement le pouvoir à Téhéran.
Thierry de Scitivaux, envoyé spécial à Téhéran, rend compte de ce moment historique qui voit les radios et télévisions passer dans le camp révolutionnaire, l'ayatollah Khomeyni définitivement devenir maître de l'Iran. Cette date marque la fin de la Perse impériale.
Pour Shapour Bakhtiar, la partie est définitivement terminée. Il se cache à Téhéran, et parvient dans la confusion générale à quitter la ville et à se rendre à l'aéroport. Là, il s'embarque clandestinement dans un avion à destination de la France.
Depuis la région parisienne (il réside à Neuilly puis Suresnes), il mène l'opposition politique au régime des Mollahs qui se met en place à Téhéran. Il meurt assassiné dans son domicile de Suresnes le 6 août 1991.