« Je soignais des gens le matin, je refaisais les pansements, et ces mêmes blessés Tutsis me disaient : “Mais docteur, ça a aucun sens ce que vous faites, parce que cette nuit, ils vont venir, ils vont prendre un certain nombre d'entre nous, ils vont nous tuer.” » C’était il y a 30 ans, le 6 avril 1994, le président rwandais Juvénal Habyarimana est assassiné. Dès le lendemain débutait le génocide des Tutsis. Sur place, le docteur Jean-Hervé Bradol, responsable de programme pour Médecins sans frontières, soigne les victimes.
Un mois après le début génocide, le docteur Bradol rentre en France, et alerte sur la gravité de la situation sur place à la télévision : « Depuis un mois, la ville de Kigali a été complètement quadrillée, les maisons sont fouillées une par une pour en extraire toute la partie de la population suspectée d’être hostile au courant le plus extrémiste de l’armée et les gens qui sont suspects de cette hostilité sont exécutés avec toute leur famille, c’est-à-dire l’exécution, ça veut dire les bébés, les vieillards, les femmes, tout le monde. »
En plus d’alerter sur le génocide en cours, Jean-Hervé Bradol met en cause la France : « Les gens qui massacrent, qui mettent en œuvre cette politique planifiée systématique d’extermination, sont financés, entraînés et armés par la France. Et ça, c’est quelque chose qui ne transparaît absolument pas en ce moment, on a entendu pour l’instant aucun responsable français condamner clairement les auteurs de ces massacres. »
« Dédouaner la France »
Aujourd'hui, il précise : « Mon raisonnement, à tort ou à raison, c'était que, en mettant la France devant ses responsabilités en tant qu'allié du pouvoir rwandais, ça pouvait déclencher un arrêt des massacres. » L’armée française finira par intervenir le 22 juin 1994, dans le cadre de l’Opération Turquoise. « Nouvelle intervention qui aboutira quand même au sauvetage de quelques milliers de Tutsis qui restent vivants dans le sud ouest et l'ouest du pays. Ce qui n'est pas négligeable vu le côté exhaustif du génocide. »
En 2021, le rapport Duclert, commandé par Emmanuel Macron auprès d’historiens, dénonce la lourde responsabilité de la France, mais écarte toute « complicité de génocide ». « C'est quand même une double opération : apporter des éléments d'histoire tout à fait intéressants, tout en exonérant la France de la pire des qualifications, c'est-à-dire d'avoir été complice d'un génocide. Donc il y a une partie historique intéressante et une partie d'opérations politiques pour dédouaner la France de l'accusation la plus grave. »
En trois mois de massacres, entre 800 000 et un million de Tutsis et de Hutus modérés ont été assassinés.