L'ANNIVERSAIRE.
Du 19 au 25 août 1944, les engagés français de la division Leclerc, les résistants et les Parisiens mirent un point d'honneur à libérer Paris. En 1965, vingt-et-un ans après, le réalisateur René Clément entreprenait le tournage titanesque de la reconstitution de ces journées historiques dans les rues de Paris. Le long-métrage à la gloire de la 2e DB raconte également comment la capitale française a échappé à la destruction commanditée par Adolf Hitler en personne. Ordre qui ne fut pas suivi.
LE TOURNAGE.
Le 24 août 1965, le journal télévisé de la première chaîne consacrait deux longs reportages au tournage de ce film ambitieux, adapté du succès de librairie éponyme de Larry Collins et Dominique Lapierre. Une production internationale à la distribution prestigieuse et internationale. Jugez plutôt.
Du côté français, on retrouve Alain Delon (Jacques Chaban-Delmas), Jean-Paul Belmondo (Yvon Morandat, dit Pierrelot), Charles Boyer (le docteur Robert Monod), Leslie Caron (Françoise Labé), Bruno Cremer (le colonel Rol-Tanguy), Michel Piccoli (Edgard Pisani) mais aussi Jean-Louis Trintignant ou Pierre Vaneck.
Du côté des Américains, citons Kirk Douglas (le général George S. Patton) ou Glenn Ford (le lieutenant général Omar N. Bradley), Anthony Perkins (le sergent américain Warren), George Chakiris (le GI devant Notre-Dame)… Orson Welles joue le rôle de Raoul Nordling, consul de Suède… Cette énumération est très loin d'être exhaustive.
La production franco-américaine, qui allait sortir en 1966, était réalisée par le cinéaste français René Clément à la demande du producteur de cinéma américain d'origine allemande Paul Graetz.
L'ARCHIVE.
L'archive en tête d'article donne la parole au producteur qui évoque ici le caractère universel de cet événement historique et symbolique de la Seconde Guerre mondiale. « La Libération de Paris ne concerne pas seulement les Français, déclare-t-il, mais le monde entier », expliquant pourquoi il a voulu le produire à tout prix, bravant les difficultés de distribution de certains rôles de personnages historiques, dont certains étaient toujours vivants à l'époque.
Le producteur évoque notamment la difficulté à choisir l'acteur qui jouerait le général Leclerc commandant de la 2e DB, et qui n'était pas encore déterminé : « Je n'ai pas voulu choisir sans prendre l'avis de la maréchale Leclerc », précise-t-il encore ici. [Claude Rich décrochera finalement le rôle].
Paul Graetz évoque ensuite le général allemand Von Choltitz qui aurait refusé de suivre les ordres de Hitler lui intimant de détruire Paris, « le général Von Choltitz a certainement, comme n'importe quel être humain, des points constructifs et négatifs, mais il a surtout su que la guerre était perdue. Et la décision qu'il a prise est certainement la conséquencede sa rencontre avec Hitler début août 1944, lorsqu'il a compris qu'il avait affaire à un fou. Ce qu'il m'a d'ailleurs confirmé par écrit ».
Suivent quelques images du tournage avec Gert Fröbe (dans le rôle du général d'Infanterie Dietrich von Choltitz).
Henri Karcher, celui qui arrêta von Choltitz
Le reportage se poursuit avec une interview du conseiller technique du film. Il est celui qui arrêta le véritable général allemand à l'hôtel Meurice, le lieutenant Henri Karcher. Il raconte l'arrestation dans le bureau même où celle-ci intervint.
En 1961, il est chirurgien et détient un mandat de député. Devant le grand hôtel, il se remémore les faits, d'abord son entrée fracassante : « Nous avons d'un bond, avec six ou sept hommes, franchi la porte d'entrée, tirant à la mitraillette et jetant des grenades (…) les hommes tirent à la mitraillette sur les Allemands qui se trouvent dans les salons. Je reste dans le hall pour contrôler l'opération et à ce moment-là, je me fais tirer dessus à la mitraillette par un Allemand embusqué sur le hall du 1er étage. Il me rate et je l'abats de deux balles de pistolet. »
Après cette première mitraillade digne d'un film d'action, les Allemands de la compagnie de défense du QG se rendent rapidement et sont désarmés. Karcher monte les escaliers et part à la recherche du commandant allemand qu'il trouve assis derrière son bureau, entouré de plusieurs de ses officiers d’État-major. « J'ai salué et je me suis annoncé, "lieutenant Karcher de l'armée du général de Gaulle". Je me suis approché du bureau, il m'a répondu : "général von Choltitz, Komandant von gross Paris". Je lui ai dit : "général est-ce que vous vous rendez " ? Il m'a répondu : "Ya ! " »
Les armes étaient déjà déposées sur les tables et bureaux. Un bureau où se trouvent, le jour de l'interview, l'épée et le fanion de commandement du général allemand.
L'ancien résistant fait état de ses impressions de se retrouver au même endroit 21 ans plus tard : « On a l'impression d'un calme étrange étant donné qu'ont connu ces lieux au milieu de péripéties étonnantes (...) au milieu du vacarme, du combat, des rafales de mitraillettes et des explosions de grenades. Mais ce n'est jamais sans émotion que je repasse rue de Rivoli. Parce que je n'ai pas pu m'empêcher de penser qu'à la minute même où le général von Choltitz capitulait, Paris était redevenue libre. Paris était libérée. »
Il évoque pour terminer son rôle de conseiller technique sur le tournage et en particulier sur cette scène en particulier, « ils m'ont demandé de donner des indications précises de manière que la réalité soit respectée. Je crois que l'on est en train de réaliser un film qui correspondra au maximum à ce qui s'est passé et à la réalité des faits », assure-t-il. C'est l'acteur Jean-Pierre Cassel qui incarne le lieutenant Henri Karcher dans le film.
Des chars sur la Concorde
Des images montrent ensuite René Clément et ses techniciens en pleine préparation du tournage de la séquence de l'entrée des chars place de la Concorde. Les rôles des occupants sont tenus par de vrais Allemands. Sur la place, à la pause cigarette, Yves Montand (qui interprète le sergent tankiste Marcel Bizien) s'entretient gaiement avec l'acteur Gert Fröbe. René Clément plaisante, lui aussi, en évoquant l'acteur français, « il ne va pas rester longtemps avec nous. Trois jours. On va le descendre tout de suite ».
Le tournage se poursuit sur des images d'une collision de chars particulièrement impressionnante. « L'histoire demeure et il n'est pas question pour le cinéma de la remplacer, simplement, il obligera les hommes à mieux se souvenir », conclut le reporter.
Un film titanesque
L'archive à découvrir ci-dessous est un second reportage des « Actualités télévisées » du 24 juillet 1965, toujours durant le tournage du film. Sur des images d'archives, le journaliste rappelle le contexte historique du 25 août 1944, lorsque Hitler, fou de rage en apprenant que le centre de Paris était aux mains des Résistants, aurait posé cette question : « Paris brûle-t-il ? ». Il faisait ici référence à l'ordre donné à von Choltitz de détruire la capitale.
Tournage du film "Paris brûle t-il ?"
1965 - 11:05 - vidéo
« La libération de Paris recommence au milieu d'énormes difficultés... ». Sur les Champs-Élysées, on tourne une scène. C'est ainsi que depuis trois jours, au petit matin, les rues et les avenues parisiennes désertes deviennent le décor du film dont le titre reprend la phrase historique du Führer.
Le metteur en scène René Clément, dont le premier long-métrage, La Bataille du rail, mettait déjà en scène la Résistance française, raconte d'abord pourquoi il a accepté la direction de cette gigantesque épopée qui paraissait « presque totalement impossible » à réaliser. Le tournage avait pourtant bel et bien démarré, avec deux équipes, l'une étant chargé de tourner les contrechamps : « Je vais créer une réalité et les caméras vont se jeter dessus. », déclare-t-il.
René Clément souligne le soutien des ministères, de la préfecture de Paris et des « Parisiens de bonne volonté ». Ces Parisiens sont d'ailleurs interrogés dans un court micro-trottoir. Ils sont curieux et émus de retrouver ce Paris occupé, avec les taxis-vélos, les costumes d'époque, que certains ont connus.
Film historique ou œuvre d'art ?
Mais s'agit-il d'une reconstitution fidèle ou d'une interprétation des faits ? Le cinéaste insiste sur le fait que le film est une adaptation allégée du roman qui inspira le scénario, « s'il fallait refaire le livre sur un film, ça aurait duré une semaine. Ça aurait duré presque autant que la Libération de Paris, plaisante-t-il. Et cela n'aurait pas été possible. Ça aurait coûté un prix épouvantable » ! « Faire un film historique. Pour moi, c'est sûrement faire un film ennuyeux ».
Le réalisateur insiste, son film n'est pas un film historique, mais une fresque dont il développe l'intérêt cinématographique : « Qu'est-ce qui est caractéristique dans la fresque ? C'est que, à un moment donné, d'une façon vraiment passionnante, vous voyez une action se transformer et devenir autre, sans aucun rapport avec une réalité naturaliste et détestable, mais se transformer et prendre un autre corps, par des voies plus nobles de l'art. Et ça, c'est intéressant et c'est plus passionnant et beaucoup plus dramatique. »
Personnages passionnants et défis inédits
En revanche, ce qui l'a beaucoup intéressé dans ce récit de guerre, c'est l'aspect humain et psychologique révélé par la guerre, ce « bain révélateur ». Il précise sa pensée : « Voyez-vous, c'est classique, c'est bien connu, on voit apparaître des caractères, des visages, des tempéraments, des beautés de conscience qu'on ne soupçonnait quelquefois pas. Et exactement l'inverse aussi, bien entendu. On est quelquefois horrifié par certaines choses. »
Justement, intervient ensuite le comédien Jean-Louis Trintignant qui joue un collaborateur. « Je joue le rôle du capitaine Serge. Le capitaine Serge est un faux FFI qui en réalité est à la solde de la Gestapo et qui a vendu les 35 jeunes gens qui ont été fusillés à la cascade du Bois de Boulogne. C'est un ignoble personnage. » Un rôle de composition difficile, mais qui satisfait son âme de comédien : « C'est difficile parce qu'humainement, c'est un ignoble personnage. Mais enfin, du point de vue de l'acteur, moi, c'est intéressant parce que je n'ai pas tellement une tête de salaud, alors je suis beaucoup plus libre de jouer un salaud. Ça m'intéresse de jouer des personnages qui ne me ressemblent pas. »
Réalisateur aguerri, René Clément n'en reste pas moins sujet au trac, comme il l'explique plus tard. Chaque nouveau film est un recommencement, une remise en question des acquis. Même pour lui. « C'est le premier. C'est toujours le premier. C'est terrifiant. C'est toujours terrifiant et on a l'impression qu'on ne sait plus rien, qu'on a tout à refaire, tout à réapprendre. Toutes les difficultés sont nouvelles. Quand vous avez fini un film et quand c'est le énième, vous vous dites : "Bon, maintenant, quand même, je suis paré pour beaucoup de choses." Et puis finalement, vous vous apercevez que le nouveau vous apporte des problèmes complètement différents, des difficultés auxquelles vous ne vous attendiez pas et qui de nouveau vous demandent d'autres expériences. Alors ces expériences, une fois acquises, vont vous servir pour le prochain, qui vous demandera d'autres encore. C'est une énorme encyclopédie de cinéma ! »
Le sujet montre ensuite René Clément brieferJean-Paul Belmondo avant une scène. Il lui décrit son contexte et l'action qu'il devra jouer. Jean-Paul Belmondo incarne Yvon Morandat, dit Pierrelot, homme politique et résistant français. Le 21 août 1944, il s'emparera de l'hôtel de Matignon avec sa secrétaire Claire.
Le reportage se conclut sur le tournage de cette scène.
Pour aller plus loin :
1964, von Choltitz raconte comment il sauva Paris en août 1944.
Journal Les Actualités Françaises : Et Paris n'a pas brûlé : Le Général Von Choltitz, commandant du « Grand Paris » est mort à Baden Baden. Reportage réalisé à l'occasion de son décès sur celui qui avait choisi de désobéir à l'ordre de Hitler de brûler Paris. (9 novembre 1966)
JT 20H : Paris brûle-t-il ? Interview de Jacques Chaban Delmas par Léon Zitrone. Il dit se reconnaître dans Alain Delon qui joue son rôle. Il déclare que le film rend bien compte de cette époque si particulière. Puis l'ancien résistant revient sur la Libération de Paris et son côté irréel. (23 octobre 1966)