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Le débarquement en Normandie à la radio : le poids des mots

Le débarquement en Normandie à la radio : le poids des mots

À une époque où la télé n'existait pas encore, la plupart des Français suivirent le D-Day sur les ondes radio. Celles de la BBC, mais aussi celles de Vichy. Chacune relayant une vision et un message bien différents de l'événement.

Par Florence Dartois - Publié le 30.05.2024
L'ambiance qui règne en Normandie - 2024 - 01:46 - audio
 

La majorité des Français apprirent le D-Day par la radio. À l'époque, chaque foyer possédait un poste de TSF, la télé n'était alors qu'au stade expérimental. Pour suivre l'actualité, restaient donc les ondes radio. Notamment celles de la BBC. En effet, tout au long de la guerre, elle fut le relais des alliés mais aussi des Français qui avaient suivi le général de Gaulle à Londres pour continuer le combat.

Le jour du débarquement en Normandie, les oreilles hexagonales furent informées dès le matin de l'arrivée des alliés sur les plages normandes. Toutes les parties prenantes se sont exprimées sur les antennes, tantôt à la BBC, à Londres, pour les Forces françaises, tantôt sur Radio Vichy, soulignant l'inféodation du gouvernement vichyssois aux Allemands. La première archive audio que nous vous invitons à écouter en tête d'article est l'un des rares reportages radio réalisés ce jour-là.

« Allo BBC ? Ici Pierre Lefèvre qui vous parle de Normandie. Depuis quatre ans, avec mes camarades de la radio de Londres, nous vous avons parlé d'Angleterre. Aujourd'hui, je vous parle du sol normand déchiré par la guerre, mais partiellement libéré. Libéré de la présence du Boche. »

Il ne s'agit pas d'un message officiel, mais du compte-rendu d'un journaliste de « Radio Londres » qui avait suivi les troupes anglaises et débarqué avec elles. Ce journaliste, c'est Pierre Lefèvre, animateur radio et correspondant de guerre français. Son premier reportage sur le sol français témoigne de son talent narratif et est particulièrement touchant. On peut imaginer l'émotion qu'il suscita aussi chez les auditeurs collés à leur poste de TSF. Faute d'images, le journaliste devait décrire ses observations avec méticulosité. C'est avec une profusion de détails et d'images qu'il narrait son retour au pays. Une France rurale et meurtrie, mais toujours debout.

Son bonheur de retrouver ses compatriotes transparaissait dans ses propos. Bonheur réciproque : « Partout, des sourires vers les camions, les tanks qui roulent sans cesse, des plages vers l'intérieur. Le mot "France" sur mon uniforme kaki m'attire des sourires plus affectueux que les Anglais avec qui je voyage. Dans les villages où l'on s'est peu battu, la vie a repris presque normalement. Les vieux aux longues moustaches rousses. Les femmes, un mouchoir sur la tête s'en vont faire les foins. Au bord des rivières. On lave le linge. ».

Il décrivait l'accueil chaleureux réservé aux «Tommies» (soldats anglais) et la liesse de la population, « tandis que sur le pont, les Tommies défilent interminablement, penchés à l'arrière des véhicules, le pouce en l'air. Les petits garçons grimpent sur les motos, demandent gentiment du chocolat, du vrai, se parent des insignes régimentaires que leur donnent les soldats anglais »

Mais le journaliste n'omettait rien de la réalité cruelle qui se déployait sous ses yeux : les combats qui se poursuivaient et les drames qu'ils généraient (le débarquement a causé des milliers de victimes civiles). La mort est personnifiée ici par ces « femmes en noir » qu'il décrivait avec pudeur.

En outre, l'effervescence des combats est très bien décrite par Pierre Lefèvre : « Sans cesse des avions ronflent au-dessus de nos têtes. Les chasseurs qui décollent des terrains normands en rasant les peupliers, les bombardiers qui viennent d'Outre-Manche et qui passent au fond du ciel parmi les flocons de la D.C.A. Le canon qui tonne à longueur de journée. Oui, la guerre est là, toute proche. Et c'est pourquoi, malgré le profond bonheur de la Libération, les gens sont graves. Souriants, mais graves. » La liberté était à portée de main, mais il faudrait la payer au prix du sang.

La fierté du roi Georges VI

Le « Jour J », la BBC diffusa également plusieurs messages de personnalités. À commencer par celui du roi Georges VI, le père de la future Elizabeth II, relayé dans tout le Commonwealth comme le montre la longue liste des pays énumérés au début du message. Il y rendait un vibrant hommage au courage du peuple britannique, ses pensées allant vers les soldats et les femmes qui souffraient de la guerre. Il demandait enfin à Dieu de bénir son peuple, concluant son allocution par un fervent : « God save the king ». Son discours radiodiffusé complet, en anglais, est à écouter ci-dessous. Nous vous proposons ici sa traduction :

« Il y a quatre ans, notre Nation et notre empire se retrouvaient seuls face à un ennemi écrasant, dos collés au mur. Mis à l’épreuve comme jamais auparavant dans notre histoire, remis à la providence de Dieu, nous avons survécu à cette épreuve. L’esprit du peuple, résolu, dévoué, brûlait comme une flamme lumineuse, sûrement allumée par ces feux invisibles que rien ne peut éteindre.

Maintenant, une fois de plus, nous devons faire face à une dernière épreuve. Cette fois-ci, le défi n’est pas de nous battre pour survivre, mais de nous battre pour gagner la victoire finale pour la bonne cause. Une fois de plus, ce qui nous est demandé, à nous tous, c’est bien plus que du courage et de la force. Nous avons besoin de la renaissance de l’esprit, d’une détermination impossible à conquérir. Après près de cinq ans de tourment et de souffrance, nous devons renouveler cette force de combattre, comme lorsque nous avons démarré la guerre et découvert nos heures les plus sombres. Nous et nos Alliés, sommes certains que notre bataille se joue contre le mal et en vue d’un monde dans lequel bonté et honneur seront les bases de la vie des hommes dans tous les pays.

Pour que nous puissions être en accord avec ce nouvel appel du destin, je désire solennellement appeler mon peuple à la prière et au dévouement. Nous n’oublions pas nos propres faiblesses, passées et présentes. Nous ne demanderons pas que Dieu réalise notre volonté, mais que nous puissions être en mesure de réaliser la volonté de Dieu. Et nous osons croire que Dieu a utilisé notre nation et notre empire comme un instrument pour réaliser son objectif.

J’espère que tout au long de cette crise de libération de l’Europe, seront adressées des prières sincères, continues et répandues partout. Nous qui restons dans ce pays, pouvons le plus efficacement entrer par la prière dans les souffrances de l’Europe assujettie, ce qui nous permettra de renforcer la détermination de nos marins, soldats et aviateurs qui vont libérer ceux qui sont captifs.

La reine se joint à moi pour vous envoyer ce message. Elle comprend bien les inquiétudes et les soucis de nos femmes en ce moment et elle sait que beaucoup d’entre elles trouveront, comme elle le fait elle-même, une force et un réconfort auprès de Dieu. Elle pense que de nombreuses femmes seront ainsi jointes par la vigile, à leurs hommes qui manieront les navires, envahiront les plages et rempliront les cieux.

En ce moment historique, aucun de nous n’est certainement trop occupé, ni trop jeune ni trop vieux pour jouer un rôle dans une veillée de prière nationale, voire mondiale, au moment où la grande bataille se met en place. Si nos intercessions dans chaque lieu de culte, maison et usine, d’hommes et des femmes de tous âges, de nombreuses races et de métiers, puissent se lever, alors Dieu, veuillez réaliser, maintenant ou dans un futur proche ou lointain, les prédictions de cet ancien Psaume : « Le Seigneur donnera la force à son peuple : le Seigneur donnera la bénédiction de la paix à son peuple. »

La combativité du général de Gaulle

Le général de Gaulle, qui dirigeait le Comité français de libération nationale (CFLN) à Alger, revint en Angleterre le 3 juin 1944, sur l'invitation de Winston Churchill, le Premier ministre anglais, pour assister au début des opérations alliées que les alliés avaient préparé sans l'en informer. Le 6 juin 1944, au matin, il s'adressait au pays sur la BBC depuis Londres. Dans son message radiophonique, le général annonçait le début de « la bataille suprême » de la France au cours de laquelle les armées devaient se battre « en bon ordre » - il martèlera cette expression à plusieurs reprises - contre l'oppresseur. C'était pour lui une manière de réaffirmer la légitimité de la France à participer à la libération de ses territoires. Son ton autoritaire visait à s'imposer face aux alliés, en vue de préserver les intérêts de la France, mais aussi d'unir les Français derrière lui pour qu'ils contribuent, au même titre que les alliés, à leur propre libération. Après la guerre, viendrait la reconstruction, et pour le général, elle devrait se faire par le peuple français.

Voici sa retranscription intégrale :

« La bataille suprême est engagée ! Après tant de combats, de fureurs, de douleurs, voici venu le choc décisif, le choc tant espéré. Bien entendu, c'est la bataille de France et c'est la bataille de la France ! D'immenses moyens d'attaque, c'est-à-dire pour nous, de secours, ont commencé à déferler à partir des rivages de la vieille Angleterre. Devant ce dernier bastion de l'Europe à l'ouest fut arrêté naguère la marée de l'oppression allemande. Voici qu'il est aujourd'hui la base de départ de l'offensive de la liberté.

La France, submergée depuis quatre ans, mais non point réduite, ni vaincue, la France est debout pour y prendre part. Pour les fils de France, où qu'ils soient, le devoir simple et sacré est de combattre par tous les moyens dont ils disposent. Il s'agit de détruire l'ennemi, l'ennemi qui écrase et souille la patrie, l'ennemi détesté, l'ennemi déshonoré. L'ennemi va tout faire pour échapper à son destin. Il va s'acharner sur notre sol aussi longtemps que possible. Mais, il y a beau temps déjà qu'il n'est plus qu'un fauve qui recule.

De Stalingrad à Tarnapol, des bords du Nil à Bizerte, de Tunis à Rome, il a pris maintenant l'habitude de la défaite. Cette bataille, la France va la mener avec fureur. Elle va la mener en bon ordre. C'est ainsi que nous avons, depuis quinze cents ans, gagné chacune de nos victoires. C'est ainsi que nous gagnerons celle-là. En bon ordre ! Pour nos armées de terre, de mer, de l'air, il n'y a point de problème. Jamais elles ne furent plus ardentes, plus habiles, plus disciplinées. L'Afrique, l'Italie, l'océan et le ciel ont vu leur force et leur gloire renaissantes. La Terre natale les verra demain !

Pour la Nation qui se bat, les pieds et les poings liés, contre l'oppresseur armé jusqu'aux dents, le bon ordre dans la bataille exige plusieurs conditions. La première est que les consignes données par le Gouvernement français et par les chefs français qu'il a qualifiés pour le faire soient exactement suivies. La seconde est que l'action menée par nous sur les arrières de l'ennemi soit conjuguée aussi étroitement que possible avec celle que mènent de front les armées alliées et françaises. Or, tout le monde doit prévoir que l'action des armées sera dure et sera longue. C'est dire que l'action des forces de la Résistance doit durer pour aller s'amplifiant jusqu'au moment de la déroute allemande. La troisième condition est que tous ceux qui sont capables d'agir, soit par les armes, soit par les destructions, soit par le renseignement, soit par le refus du travail utile à l'ennemi, ne se laissent pas faire prisonniers.

Que tous ceux-là se dérobent d'avance à la clôture ou à la déportation ! Quelles que soient les difficultés, tout vaut mieux que d'être mis hors de combat sans combattre. La bataille de France a commencé. Il n'y a plus, dans la Nation, dans l'Empire, dans les armées, qu'une seule et même volonté, qu'une seule et même espérance. Derrière le nuage si lourd de notre sang et de nos larmes voici que reparaît le soleil de notre grandeur ! »

La soumission du maréchal Pétain

Le 6 juin 1944, le maréchal Pétain s'adressait également aux Français sur « Radio nationale Vichy ». Le ton est bien différent de celui de Londres et le message évidemment orienté pour ne pas offusquer les occupants. En complète opposition avec l'appel au combat lancé par de Gaulle, Pétain invitait les Français à rester disciplinés et à accepter les dispositions spéciales de l'armée allemande dans les zones de combat.

Voici la teneur de son discours :

« Français, les armées allemandes et anglo-saxonnes sont aux prises sur notre sol, la France devient ainsi un champ de bataille. Fonctionnaires, agents des services publics, cheminots, ouvriers, demeurez fermes à vos postes pour maintenir la vie de la Nation (...) Français, n'aggravez pas nos malheurs par des actes qui risqueraient d'attirer sur vous de tragiques représailles. Ce serait l'innocente population française qui en subirait les conséquences (...) que chacun reste face à son devoir (...) respectent les dispositions spéciales de l'armée allemande (...) Je vous adjure Français, de penser avant tout au péril mortel que courrait notre pays si ce solennel avertissement n'était pas entendu. »

Son allocution se concluait par la Marseillaise.

Appel du Maréchal PETAIN du 6 juin 1944
1944 - 02:35 - audio

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