Le tournage du film s'est déroulé en 1962. L'horrible assassin était joué par Charles Denner, un acteur alors méconnu. Maquillé et habillé, il ressemblait à s'y méprendre au vrai tueur en série, qui fut guillotiné en 1922.
C'est ce personnage sulfureux que Claude Chabrol a choisi de traiter dans son long-métrage, avec le concours de Françoise Sagan au scénario et aux dialogues. Le film retrace la vie de Henri Désiré Landru, surnommé "le Barbe-Bleue de Gambais". Pendant la Première Guerre mondiale, il séduisait des femmes esseulées ou veuves et fortunées. Après les avoir séduites et leur avoir extorquées une procuration, il les assassinait dans sa maison de campagne puis faisait disparaître leurs corps en les brûlant dans son fourneau.
Les débuts de Charles Denner au cinéma
Le journal télévisé du 13 juillet 1962 nous entraîne sur le tournage où Charles Denner, magnifiquement grimé, et le cinéaste évoquent le personnage et le choix du sujet du film.
"Ainsi, c'est vous Landru ?" L'acteur assis sur un banc dans un décor de parc acquiesce, "oui, monsieur, pour vous servir."
Puis le commentaire dresse le portrait de l'un des tous premiers serial killers de l'histoire criminelle française. "Henri Désiré Landru, l'un des criminels les plus étonnants de l'histoire, son procès à Versailles en 1921, occupa vingt audiences. Il ne fit jamais toute la lumière sur ses crimes. Pourtant, en l'espace de quelques années, dix femmes et le fils de l'une d'entre elles, disparurent corps et biens après un dernier voyage vers la sinistre demeure de Gambais. C'est là que ce scientifique de l'assassinat aurait fait disparaître ses victimes en brûlant leurs corps dans une banale cuisinière à charbon. Mais jamais il ne fut possible de le prouver. C'est donc sur un faisceau de présomptions extrêmement graves que Landru fut envoyé à la guillotine. Ce personnage hors-série à l'humour féroce qui fit la joie de ses contemporains, avait de quoi séduire écrivains et cinéastes. On l'a déjà reconnu sous les traits de Quinette de Jules Romains et du Monsieur Verdoux de Chaplin. Aujourd'hui, le revoilà".
"Vous vous appelez également Charles Denner, vous interprétez le rôle de Landru dans le film de Claude Chabrol. Je crois que c'est votre premier film ?"
L'acteur confirme avec un bémol, "comme rôle important, oui. Auparavant, j'ai tourné dans trois films, de petites choses".
Le journaliste poursuit, "donc, c'est votre premier rôle, vraiment digne de ce nom. Auparavant, vous avez fait beaucoup de théâtre?" Ce qu'il confirme à nouveau, "Oui, surtout du théâtre. Disons que la majorité des pièces que j'ai jouées, j'ai joué avec Jean Vilar avant qu'il soit directeur du TNP et après…"
"j'ai surtout essayé de rassembler des faits..."
Nous retrouvons à présent le réalisateur. "Dîtes-moi Claude Chabrol, comment avez-vous trouvé votre Landru? Vous avez eu du mal ?" Cheveux courts, petites lunettes sombres et costume clair, le cinéaste a pris place de son comédien dans le décor de jardin bucolique. "Non, mais je n'ai pas eu tellement de mal. Voilà comment ça s'est passé. J'ai vu Charles au TNP dans le rôle de Gori dont il a parlé tout à l'heure, où il avait une perruque rousse. Il était énorme, une espèce de clown inquiétant. Et alors j'ai voulu le voir et j'ai vu arriver un garçon mince, brun-noir comme un corbeau. Cet individu est capable de devenir un gros rouquin, il doit être capable de devenir un chauve barbu et c'est ce qui m'a donné l'idée de le prendre dans Landru. Alors j'ai fait des essais avec lui, avec d'autres, et c'est lui sans hésiter que j'ai choisi en définitive".
Pour jouer ce rôle, le comédien raconte qu'il n'a pas vraiment joué l'identification, "j'ai surtout essayé de rassembler des faits, des faits surtout. Quant à son étonnante ressemblance avec le tueur, " mais c'est surtout le maquilleur qui s'en occupe. Le résultat est très bien". Le journaliste confirme le malaise ressenti et se demande si la personnification de l'acteur s'est arrêtée à la transformation physique, "assez troublant. C'est le moins qu'on puisse dire. Mais est ce que moralement, vous tentez de lui ressembler, pas dans la vie bien sûr. Mais est-ce que vous n'essayez pas de vous introduire dans le personnage psychologiquement parlant ?"
Charles Denner insiste, il s'agit surtout d'un travail d'équipe, "Oui, pour essayer de le comprendre, par exemple, je ne sais pas ? Ben oui, je crois, avec l'aide de mon metteur en scène".
"L'histoire de Landru est pleine de choses étonnantes..."
Le journaliste interroge ensuite Claude Chabrol sur le choix du sujet plutôt atypique, "C'est pourtant une idée bizarre de vouloir porter à l'écran les aventures d'un grand criminel. Comment est-ce que cette idée vous est venue ? Ou à qui est-elle venue ? A Françoise Sagan, je crois ?"
Là aussi, il s'agit d'un travail d'équipe à quatre mains, "Elle nous est venue ensemble. On était en train de... On était partis sur George Sand, aussi bizarre que cela puisse paraître, et on trouvait, vous voyez, c'est bizarre, on trouvait que l'histoire de George Sand était assez désagréable, sordide, sale par moments. Pas tellement intéressante. Par contre, l'histoire de Landru est pleine de choses étonnantes. À savoir que George Sand était un personnage qui n'était pas très sympathique à ses contemporains, alors que Landru, lui, avant qu'on connaisse ses crimes, il l'était par définition. Sans cela il n'aurait pas pu les commettre.
Charles Denner fini par reconnaître le caractère ambigu du meurtrier, "je crois que c'est un personnage qui, même à l'époque où il a été jugé, enfin connu et jugé, a étonné les gens. Même, je ne sais pas s'il les a bouleversés, enfin, il les a étonnés. D'abord par l'ampleur des crimes et ensuite sa façon de se conduire devant les juges, puis devant la mort je crois."
"On s'est efforcé de coller le plus à la réalité"
Le journaliste demande au réalisateur s'il a pris beaucoup de libertés avec l'histoire du véridique Landru? "Pas du tout. Pas du tout. Au contraire, on s'est efforcé de coller le plus à la réalité. À tel point que, alors qu'on démarre dans la fantaisie, on démarre avec un personnage que l'on fabrique pratiquement puisqu'on le fait toujours. On termine avec les minutes du procès qui sont authentiques. Enfin, je veux dire que dans le dernier quart du film, il n'y a pas une phrase qui ne soit pas historique". Le journaliste précise sa pensée, "Si l'on voulait se servir de la référence habituelle pour les réalisateurs, c'est davantage tout de même à double tour que les godelureaux".
Une remarque que décline le cinéaste, "Oh, ni l'un ni l'autre. C'est sans rapport. Vraiment, c'est Landru lui-même !" finit-il par déclarer dans un rire taquin.
Le commentaire conclut sur le mystère du personnage et la distribution féminine prestigieuse, "même maintenant, ce diable d'homme est difficile à définir. Quant à Landru, alias Charles Denner, il est fort bien entouré puisque Michèle Morgan et Danielle Darrieux, entre autres, lui donnent une bien agréable réplique. Tout fini toujours par recommencer, les bonnes histoires comme les autres".