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L’histoire des zoos humains, du début du XIXe à l’entre-deux-guerres

L’histoire des zoos humains, du début du XIXe à l’entre-deux-guerres

Des descendants de Kali’na, Amérindiens de Guyane et du Suriname exhibés comme des sauvages à Paris en 1892, réclament la restitution des restes de leurs ancêtres conservés au musée de l’Homme. Comme eux, des dizaines de milliers de personnes ont été ainsi exposées dans des zoos humains dans le monde, du début du XIXe siècle à l’entre-deux-guerres. Pour l’INA, l'historien spécialiste du fait colonial, Pascal Blanchard, décrypte ce phénomène.

Par Léa Beaudufe-Hamelin - Publié le 22.10.2024
 

Il y a un peu plus d'un siècle, à Paris, les zoos humains étaient encore une réalité. Entre 1877 et 1931, une trentaine d’« expositions anthropozoologiques », comme on les appelait à l’époque, eurent lieu au Jardin d’Acclimatation à l'ouest de Paris. De nombreuses personnes exhibées dans ces expositions tombèrent malades, jusqu'à en mourir. « [Le Jardin d’Acclimatation] était un des lieux majeurs, entre 1877 et 1931, où ont eu lieu quasiment tous les ans une grande exhibition, qui ramenait beaucoup d'argent », explique l’historien spécialiste du fait colonial, Pascal Blanchard, dans le montage d'archives en tête d'article.

Le cas du Jardin d’Acclimatation est loin d’être isolé. Pendant plus d’un siècle, du début du XIXe à l’entre-deux-guerres, 30 à 40 000 personnes, majoritairement issues de populations colonisées, furent exhibées, en Europe, mais aussi en Amérique et au Japon. Selon Pascal Blanchard, ces zoos humains avaient trois fonctions essentielles. « La première, c'était divertir. C'est du spectacle. On montre aux gens des choses qu'ils ne pourront pas voir. La deuxième, c'est de légitimer la race. On rend le racisme populaire. La différence, vous la voyez, vous venez voir la différence. À partir du moment où vous croyez que l'autre n'est pas comme vous, vous croyez qu'il y a des races différentes et donc à la hiérarchie des races, puisque s'il y a un visiteur et un visité, le visiteur se sent supérieur. Et puis troisième dimension, vous légitimez les empires coloniaux. D'abord parce que ces exhibés étaient souvent présents dans des grandes expositions universelles et coloniales, mais aussi parce que vous démontrez qu'il y a un travail de civilisation, donc de mission civilisatrice. »

Le succès d'un spectacle colonial

Les zoos humains avaient un grand succès à l’époque, jusqu'à réunir au total près d'un milliard et demi de spectateurs à travers le monde. Affiches, cartes postales… la presse se faisait aussi l’écho de la venue de ces populations. Le 26 février 1892, Le Petit Parisien annonçait par exemple la présence d’une trentaine de Kali’na, Amérindiens de Guyane et du Suriname, au Jardin d’Acclimatation : « La chair rouge-cuivre, les cheveux très noirs, l’œil vif, le visage ovale, le nez légèrement épaté, les Caraïbes sont admirablement bâtis ; leurs femmes, sans être aussi jolies que nos Parisiennes, ne manquent point cependant d’un certain charme, malgré l’affreuse habitude qu’elles ont de se tatouer le visage. »

Les conditions de vie de ces personnes exhibées étaient rudes. Si à l'époque les critiques sont rares, le 13 avril 1892, le journal La Cocarde, quotidien nationaliste, s’insurgeait du traitement des Kali’na : « Le spectacle est navrant. Ayant à peine la force de marcher, tous leurs services se bornent maintenant à faire une ou deux fois le tour de leur campement, toussant, crachant, geignant ; ce ne sont plus que des squelettes propres à aller enrichir les collections ethnographiques et les galeries anthropologiques du Muséum d’histoire naturelle. »

De nombreuses victimes

Le tribut humain est lourd, comme le rappelle Pascal Blanchard : « Aujourd'hui sur les 30 à 40 000 exhibés, on sait qu'il y a dû y avoir entre un millier à deux milliers de morts en exhibition. Froid, maladies pulmonaires, tout simplement se confronter à des maladies, à des microbes qui n'existaient pas ». Huit Kali’na moururent à la suite de leur passage à Paris. Devenues objets de sciences, leurs dépouilles sont alors étudiées. Les corps de six d’entre eux se trouvent encore aujourd’hui au musée de l’Homme à Paris.

Après plus d’un siècle de prospérité, le phénomène des zoos humains a fini par se déliter dans les années 1930. « Les zoos humains vont s'arrêter pas du tout pour une raison morale, détaille Pascal Blanchard. Il y a beaucoup plus puissant que le zoo humain : c'est le cinéma. Quand le cinéma arrive, le temps des zoos humains s'éteint. Il s'éteint parce que les histoires de King-Kong sont beaucoup plus puissantes que les histoires que vous pouvez avoir dans un zoo humain. Il s'éteint aussi parce que le système colonial n'a plus besoin des zoos humains. (...) On ne pouvait plus montrer des cannibales quand vous êtes en train de les civiliser, on passe à une nouvelle dimension. Et puis le public s'est lassé. »

De nos jours, expositions, livres, documentaires et films diffusent la mémoire de cette page de l’histoire. Aujourd’hui, les descendants des Kali’na réclament le retour des restes de leurs ancêtres en Guyane. Promulguée en décembre 2023, une loi facilite la restitution à des États étrangers de restes humains conservés dans des collections publiques. Mais celle-ci ne prévoit rien s’agissant des territoires d’outre-mer.

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