L'ACTU.
Entre le 14 et le 22 septembre 2024, une délégation d'Amérindiens de Guyane et du Suriname a été à Paris. Leur déplacement a pour objectif de demander le rapatriement de restes de six Kali'nas* - du nom de l'ethnie autochtone d'Amérique - morts de froid et d’embolie pulmonaire après avoir été exposés dans un «zoo humain» du Jardin d'acclimatation à la fin du XIXe. Ces ossements sont actuellement conservés au Musée de l'homme.
Il s'agit de l'aboutissement d'années de recherche sur l'histoire de la cinquantaine de Kali'na emportés à Paris pour être exhibés au Jardin d'acclimatation de Paris en 1882 et 1892. Ces faits, partie intégrante de l'histoire coloniale de France, est très peu connue, y compris en Guyane. C'est ce que raconte la chaîne La Première dans un article très complet sur les travaux de Corinne Toka Devilliers et de son association dédiée à la mémoire de ces Kali'na, Moliko Alet+po. Elle-même a découvert l'histoire de Moliko, son ancêtre, en visionnant un documentaire sur les zoos humains en 2018.
Depuis, elle a travaillé à l'identification des déportés et à la restitution des restes humains des Kali'na décédés à Paris. Un premier mémorial a été inauguré début août en Guyane, à Iracoubo. Deux statues rendent hommage aux 47 Kali’na et Arawak, exhibés en 1882 et 1892, au Jardin zoologique d’acclimatation à Paris.
Un combat mémoriel qui semble avoir débuté dans le sillage de Félix Tiouka, représentant amérindien Kali'na et longtemps président de l'Association Amérindienne de la Guyane Française (l'AAGF). Comme il le présente dans les archives de RFO, les premières reconstitutions grand public de cette histoire datent du début des années 1990. À l'occasion des dix ans de l'AAGF et du centenaire de l'exposition de 1892, des expositions avaient lieu en Guyane et à Paris.
LES ARCHIVES.
À l'époque coloniale, on les appelait spectacles ethnographiques, aujourd'hui les spécialistes parlent plutôt de « zoos humains » : jusqu'aux années 1930, la France a régulièrement tenu, lors d'expositions universelles, des exhibitions humaines, mises en scène du « sauvage » extrêmement populaires. Parmi ces centaines de personnes originaires des territoires colonisés et présentées dans leur « quotidien », 47 représentants Kali'na et Arawak furent exposés au Jardin d’acclimatation de Paris, en 1882 et 1892. Lors de ce second voyage en plein hiver, huit d'entre eux moururent de froid, d'épuisement ou de maladie. Une histoire dont la mémoire tient principalement aux récits des journaux de l'époque et aux photos « anthropologiques » du prince Roland Bonaparte, photographe et petit-fils de Lucien Bonaparte, le frère de Napoléon Ier.
De premiers travaux grand public sur l'histoire des Kali'na à Paris furent présentés sous forme d'expositions au début des années 1990. À cette occasion, la mémoire collective des natifs guyanais fut récoltée. Ainsi, le chercheur Gérard Collomb, dans l'ouvrage de référence sur le sujet et publié en 2002, Zoos humains. Au temps des exhibitions humaines, pouvait-il affirmer : « Alors que le voyage de 1882 n’avait, semble-t-il, guère laissé de traces dans la mémoire collective, celui de 1892 représente un événement important dans la construction que les Kali’na de Guyane et du Surinam font de leur histoire récente ».
« Raconter sa propre histoire »
« Pendant 100 ans, ils ont voyagé dans la mémoire des villages. Mais, samedi à travers la photo, les 32 Galibis, parti pour la France en 1892, se sont révélés pour la première fois à leurs descendants. » La première exposition, qui eut lieu en décembre 1991, à Awala-Yalimapo en Guyane, s'intitulait « Des Galibis à Paris en 1892 » et était organisée pour le 10e anniversaire de l’Association des Amérindiens de Guyane française. Elle se basait sur les photographies de Roland Bonaparte.
Dans l'archive de RFO Guyane en tête d'article, Félix Tiouka racontait comment l'exposition avait été construite : « Nous avons travaillé sur le terrain avec des anciens qui nous ont retracé l'histoire, de comment leurs parents, leurs grands-parents leur ont raconté ces histoires. Et à partir de ces témoignages du terrain, nous avons essayé de faire cette exposition ». Un travail mémoriel complexe, mais important pour la reconstruction de ces faits historiques. « Raconter sa propre histoire, dans les conditions dans lesquelles les choses se sont passées, c'est quand même quelque chose de douloureux et c'est peut-être ce point sensible qui nous a, au début, un petit peu arrêté dans la poursuite de cette exposition. Et je crois aussi que la communauté a tout de suite compris qu'il faut quelquefois permettre que se révèle la vérité. (...) Je crois que c'est ce voyage est aussi l'histoire de la communauté. »
Une histoire coloniale et parisienne
Un an plus tard, cette exposition se tenait à Paris au Musée national des arts et traditions populaires (ce musée a fermé en 2005, NDLR). Cette fois, Félix Tiouka ajoutait à ses explications l'émotion que renfermaient les photos de Roland Bonaparte. « Cette exposition est avant tout une histoire. L'histoire de la communauté Galibi et Arawak qui ont été emmenés il y a 100 ans. (...) La première fois qu'on a vu les photos, c'était dans les années 70 déjà et au début, ça nous a un peu touché. » Il concluait sur l'importance de cette exposition pour l'histoire Kali'na : « Je crois qu'il faut être fier de ce qu'on est. Et je crois que les Amérindiens du monde entier, par le sens de résistance, de survie qu'ils ont manifesté et je crois qu'ils doivent être fiers. Et nous, nous sommes aussi fiers de ce que nous sommes. »
Galibis au musée des arts et traditions populaires
1992 - 01:53 - vidéo
*Les Kali'na furent jusqu'a récemment appelés Galibis par les Européens.
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