La filière de la moutarde alerte. Le condiment jaune et amer est en crise. En cause, le réchauffement climatique qui affecte la production de graines de moutarde essentiellement cultivées au Canada, associée à un deuxième facteur : la pandémie, qui provoque des pénuries de matières premières (aluminium, verre, carton) indispensables à la fabrication des contenants du condiment.
Dans une interview accordée à France bleu Dijon fin décembre 2021, Luc Vandermaese, le dirigeant de Reine de Dijon, une société installée depuis 1840 dans la région dijonnaise, estimait la pénurie de graines à 50%, sachant que son fournisseur principal de graines de moutarde, établi à l’Ouest du Canada, avait souffert durant l’été 2021 d’un dôme de chaleur inédit qui avait détruit les récoltes. « Nous ne sommes pas en capacité d'obtenir les livraisons des contrats passés qui ne peuvent donc pas être honorés. », précisait-il.
Si la production de moutarde est aujourd’hui largement industrialisée, il fut une époque où les moutardiers travaillaient artisanalement. L’archive en tête d’article n’a pas été filmée dans le Dijonnais mais en Normandie. Pourtant la moutarde fabriquée dans l’atelier de Georges Tabouelle portait bien le nom de moutarde de Dijon. Voici le portrait de l’un des derniers artisans moutardiers de la région. Installé à Caudebec-les-Elbeuf, ce maître moutardier de 65 ans fabriquait sa moutarde artisanale depuis 1945, date à laquelle il avait repris la tête de l’entreprise familiale. Au moment du reportage, en juin 1990, il cherchait à vendre sa fabrique et racontait avec passion les ficelles de son métier.
Une fabrication artisanale
« Ça fait 123 ans que l’on fabrique de la moutarde au même endroit », déclarait-il un sourire éclairant son visage. Prendre la relève n’avait pas été difficile pour lui : « J'ai été élevé dans la moutarde », plaisantait-il. Sur les 200 moutardiers qui exerçaient dans la région en 1945, il était l’un des rares à encore travailler : « Je suis l’un des derniers à fabriquer de la moutarde jaune forte et à avoir encore des petites meules de gré en état de travail. » Penché sur ses meules et malaxant ses pâtes avec gourmandise, il témoignait. A l’époque, la graine de moutarde n’était déjà quasiment plus cultivée en France, elle venait du Canada. Mais Georges fabriquait tout de même une moutarde traditionnelle, sans colorants ni acides chimiques. Une fierté pour lui. Installé sur ses sacs de graines, Georges Tabouelle décrivait les étapes de fabrication de la pâte : « Les graines passent dans un broyeur et deviennent farine de moutarde (…) elle a une particularité, c’est qu’elle ne sent rien. »
La caméra filmait ensuite l’opération finale réalisée avec minutie par l’artisan : le mélange du « vert jus » à la farine. Un mélange d’eau, de vinaigre et d’épices qui donnerait à la moutarde son goût enlevé. Georges Tabouelle fabriquait encore deux types de moutardes, une jaune et une brune : « Si je fabrique la moutarde avec les graines telles qu’elles se présentent, vous obtenez une moutarde brune comme celle-ci », expliquait-il brandissant un pot rempli du mélange brun. Le truc pour obtenir une moutarde blanche : « Eliminer l’écorce du grain. »
En conclusion, le magicien des saveurs ajoutait fièrement : « A ceci près, c’est que les moutardiers sont plus forts que les boulangers, parce qu’ils ne font quasiment pas de pain avec le son, alors que les moutardiers récupèrent l’écorce, la remélange au vert-jus, agrémentent le tout de l’extrait d’estragon, et vous obtenez la moutarde douce aromatisée. »
Petite histoire de la moutarde
Les origines de la moutarde remontent à la nuit des temps. Les peuples de l’Antiquité la connaissaient déjà et consommaient la « Mustum ardens » (moût ardent), composée de graines de moutarde, anciennement sénevé, amères et adoucies au miel. La moutarde une plante digestive et antiseptique était toujours présente en accompagnement des repas du Moyen Age. Broyée dans du moût de raisin, le goût ardent du condiment doré a ainsi traversé les temps.
En France, partout où l’on trouvait des vignes, du vin et du vinaigre, on fabriquait de la moutarde. Les statuts des vinaigriers et moutardiers de Dijon remontent ainsi à 1634. Leur devise, reprise au duc de Bourgogne Philippe le Hardy, était « Moult me tarde ». Au XXe siècle, les nombreux moutardiers se sont raréfiés pour être rachetés par de grands groupes industriels. Les usines ont remplacés les ateliers artisanaux.
La moutarde de Dijon est une recette dont le procédé de fabrication a été fixé par décret en 1937. Ce n’est donc pas une appellation à la différence de la moutarde de Bourgogne, devenue une indication géographique protégée attribuée par l’Europe en 2009. Elle est produite avec des graines locales et du vin blanc sous appellation d’origine de Bourgogne. En 2019, la filière de 300 producteurs cultivait 6 000 hectares de terres protégées.
Reine de Dijon
2019 - 04:18 - vidéo
Histoire de la moutarde et de la société Reine de Dijon. Si la moutarde de Dijon n'est qu'une recette, la moutarde de Bourgogne est bel et bien une appellation.
Pour aller plus loin :
L’industrie condimentaire de Bourgogne. (1975)
La disparition d'une fabrique de moutarde à Dijon. (1985)
Historique de la moutarde et explication de la fabrication chez Amora. (2000)
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