Aller au contenu principal
Serge Klarsfeld et le Front national : du combat à la validation

Serge Klarsfeld et le Front national : du combat à la validation

Le 15 juin 2024, l’avocat et historien bien connu pour sa traque des anciens nazis a assuré sur LCI qu’il voterait « sans hésitation » pour le RN en cas de duel avec le Nouveau Front populaire, largement liée à La France insoumise, au second tour des élections législatives anticipées. Voilà une position surprenante pour un homme qui durant plusieurs décennies fut un fervent opposant du parti d'extrême droite. Les archives témoignent de son évolution.

Par la rédaction de l'INA - Publié le 18.06.2024
Les époux Klarsfeld au lycée Saint-Exupéry - 2017 - 00:00 - vidéo
 

L'ACTU.

Le 15 juin 2024 sur LCI, Serge Klarsfeld, avocat et historien de 88 ans, rescapé de la Shoah et qui a passé sa vie, avec son épouse Beate, à traquer les anciens nazis (on lui doit l'arrestation de Klaus Barbie, responsable de la mort de Jean Moulin) a déclaré qu’en cas de duel final LFI-RN au second tour des législatives, il voterait « sans hésitation » pour le Rassemblement national. Entre « un parti antisémite et un parti projuif, je voterai pour un parti projuif », a-t-il dit.

« Je n’aurais pas d’hésitation, je voterai pour le Rassemblement national, parce que l’axe de ma vie, c'est la défense de la mémoire juive, la défense des Juifs persécutés, la défense d’Israël et que je suis confronté à une extrême gauche, qui sous l’emprise de la France insoumise, a des relents antisémites et un violent antisionisme et un Rassemblement national qui a fait sa mue ».

Ces déclarations ont surpris une partie de l’opinion publique, qui était habituée à ce que Serge Klarsfeld dénonce l'antisémitisme du Front national, celles de Jean-Marie Le Pen, d’abord, puis de Marine Le Pen. En 2015, face au score du FN aux régionales, Serge Klarsfeld déclarait : « Marine Le Pen serait la destruction de la mémoire de la Shoah. Si elle gagne, je devrais partir. » En 2017, alors que Marine Le Pen était présente au deuxième tour de l'élection présidentielle face à Emmanuel Macron, le couple Klarsfeld et leur fils Arno avaient appelé à voter contre la candidate FN. Il en fut de même en 2022, date à laquelle les Klarsfeld étaient signataires d'une pétition contre Marine Le Pen, qualifiée de « fille du racisme et de l’antisémitisme ».

La bascule intervint l’année suivante, en marge de la marche contre l’antisémitisme à laquelle le RN avait participé. Serge Klarsfeld avait alors déclaré au Figaro qu’il y avait « beaucoup de braves gens au Rassemblement national », avant d'affirmer dans les colonnes du Monde en décembre 2023 : « J’ai constaté une évolution très nette avec l’arrivée de Marine Le Pen en ce qui concerne l’antisémitisme, elle affirme une solidarité vis-à-vis des juifs (…) et de l’État d’Israël. Dans des périodes difficiles, il faut des alliés. Pour moi, un parti d’extrême droite ne peut être appelé d’extrême droite que s’il est antijuif. »

Tel est désormais le postulat du président de l'association des fils et filles des déportés juifs de France. Nous avons cherché à comprendre, à travers les archives, quel cheminement pousse désormais Serge Klarsfeld à encourager le rapprochement de la droite avec le RN. Il semblerait que la longue campagne de « dédiabolisation » menée par Marine Le Pen a porté ses fruits jusque chez cet ardent combattant de l'extrême droite. Un militantisme dont témoignent les archives, certaines sont récentes, à l'image de la première, disponible en tête d’article, qui date de 2017.

LES ARCHIVES.

Il s'agit d'une intervention le 11 mai 2017 devant des lycéens du lycée Saint-Exupéry, à Lyon, dans le cadre de la commémoration des 30 ans du procès de Klaus Barbie. Ce jour-là, 465 élèves admiratifs assistaient à la conférence de Beate et Serge Klarsfeld, un couple mythique de pourfendeurs d'anciens nazis. Leur entrée dans la salle comble avait provoqué un grand moment d'émotion dans l’assistance, comme en témoigne le respect et l'admiration que le jeune public avait pour ces « figures historiques » dont le combat était « entré dans la légende ».

Lors des échanges, Serge Klarsfeld n'avait pas manqué de faire des liens entre l'histoire passée et l'actualité, avec la montée des populismes et en particulier les dangers de l'extrême droite. Il appelait alors les jeunes à s'engager : « Vous avez une chance formidable et je ne peux pas comprendre qu'il y ait plus dix millions de gens qui ont mis un bulletin Front national, déclarait-il, ajoutant à l'attention des jeunes gens présents devant lui, je crois que vous allez faire reculer toute cette menace qui pèse sur notre société. »

Le combat de l'extrême droite antisémite

Durant plusieurs décennies Serge Klarsfeld a donc incarné l'une des figures emblématiques de l'opposition à la xénophobie, à l'antisémitisme et au racisme de l'extrême droite. Retour en septembre 1987. À l'époque, Jean-Marie Le Pen provoquait le scandale en déclarant que les chambres à gaz était un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Après ces propos choquants, le Parlement européen avait observé une minute de silence à laquelle s'était associé Serge Klarsfeld.

Reçu sur le plateau de FR3 Strasbourg, le président de l'association des fils et filles de déportés juifs de France, réagissait avec fermeté aux propos révisionnistes tenus par le président du Front national. Serge Klarsfeld soulignait que depuis la fin de la guerre les néonazis, ou nostalgiques du nazisme, avaient fait profil bas et tenté prioritairement « d'effacer la tâche la plus noire du nazisme, c'est-à-dire l'extermination systématique du peuple juif en Europe ». Il associait Jean-Marie Le Pen à cette démarche de dissimulation, mais constatait que son antisémitisme réapparaissait ponctuellement à travers ce genre de déclaration, il ajoutait que malgré les « avances (qu'il avait) faites aux communautés juives, à Israël, il n'a pas pu s'empêcher de dire sur le fond ce qu'il pensait. »

Pour Klarsfeld, la nature profonde du Front national était l'antisémitisme, mais pas seulement comme il le soulignait dans cet avertissement : « Les gens doivent être conscients qu'il y a une extrême droite, nationaliste certes, mais surtout raciste, xénophobe et antisémite. »

« Il est évident que pour moi qui suis président de l'Association des fils et filles des déportés juifs de France, eh bien, c'est toujours un choc. C'est toujours une douleur que d'entendre des propos tels que ceux de Jean-Marie Le Pen qui reprend, qui appuie les thèses révisionnistes quand il lance le doute sur l'existence des chambres à gaz, également le doute sur le nombre de victimes, en parlant des centaines de milliers, peut être des millions (...) »

En faveur de l'interdiction du Front national

Mars 1997. Nous retrouvons dans l'archive ci-dessous Serge Klarsfeld dans une grande manifestation organisée contre la tenue du congrès du Front national à Strasbourg. La perspective de ce congrès avait provoqué un large mouvement contestataire en Alsace et dans la France entière. Ce 29 mars, plus de 50 000 personnes manifestaient leur refus de l'extrême droite dans les rues de la capitale alsacienne, répondant à l'appel d'associations, de syndicats et des partis de gauche.

Dans le cortège, parmi les manifestants, se trouvaient plusieurs leaders politiques : Catherine Trautmann, maire de Strasbourg, Robert Hue, secrétaire national du PCF ou Lionel Jospin, premier secrétaire du PS qui parlait d'une « vague démocratique, pacifique, civique qui recouvrerait le congrès du Front National de façon à ce que l'on entende plus les slogans de haine ».

Serge Klarsfeld, quant à lui, allait beaucoup plus loin dans ses propos, appelant à une interdiction de Front national.

Manifestation anti FN à Strasbourg
1997 - 00:00 - vidéo

« Nous luttons pour que le Front National diminue son influence et puis, qu'on l'interdise si besoin est, étant donné sa nature profondément néofasciste. » (Serge Klarsfeld)

L'antisémitisme opportuniste du FN

Janvier 2005. Dans l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol, Jean-Marie Le Pen déclarait que la Seconde Guerre mondiale n'avait pas été « si inhumaine que cela ». Cette déclaration avait provoqué un véritable tollé, Dominique Perben, le Garde des Sceaux de l'époque, demandant l'ouverture d'une enquête. L'occasion pour Serge Klarsfeld de réagir à cette nouvelle provocation du président du FN, alors qu'il effectuait une visite au camp de concentration d'Auschwitz avec des adolescents. Selon lui, chaque nouveau débordement de Jean-Marie Le Pen était un moyen de rallier de nouveaux partisans de l'extrême droite à son parti.

« (...) la réponse est simple, plus de 11 000 enfants déportés vers des abattoirs tels qu'Auschwitz. 11 000 enfants juifs déportés de France, c'est quand même un bilan qui montre que c'était un régime inhumain. Inhumain peut-être pas pour tout le monde, mais en tout cas pour diverses catégories de la population française. Mais je considère que chaque fois qu'il est en perte de vitesse, il revient à cette période de l'Occupation pour créer un scandale et pour rassembler autour de lui, ce noyau de l'extrême-droite, dont il a absolument besoin. »

La condamnation du négationnisme

Avril 2008. Lors de la Journée nationale de la déportation, Jean-Marie Le Pen faisait encore parler de lui en déclarant dans un journal breton : « J'ai dit que les chambres à gaz étaient un détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, ça me parait tellement évident... ». Cette nouvelle provocation était pour Serge Klarsfeld un retour à l'ADN du FN. Ses propos à l'encontre du parti de Jean-Marie Le Pen étaient à nouveau sans concessions.

Journée nationale de la déportation
2008 - 00:00 - vidéo

« Finalement, il revient à ses premières déclarations, c'est-à-dire un antisémitisme qui s'exprime par un négationnisme très clair et qui doit être condamné par la justice et doit aller jusqu'à la prison. » (Serge Klarsfeld)

Le revirement de Marine Le Pen

L'arrivée de Marine Le Pen, à la tête du FN, rebaptisé Rassemblement national (RN) et sa politique de dédiabolisation du parti aboutirent à un infléchissement des déclarations du défenseur de la cause des déportés juifs concernant l'extrême droite. Un événement en particulier : la reconnaissance par Marine Le Pen de la responsabilité de la France dans la rafle du Vel d’Hiv de juillet 1942, qui avait causé l'arrestation de près de 13 000 juifs français.

En avril 2017, en pleine campagne électorale, Marine Le Pen avait provoqué la polémique en déclarant qu'elle ne considérait pas que la France puisse être tenue responsable de la Rafle. Elle s'opposait aux propos tenus par Jacques Chirac en 1995, qui lui avait publiquement reconnu cette responsabilité.

« Je pense que la France n'est pas responsable du Vel d'Hiv, voilà. Je pense que de manière générale, s'il y a des responsables ce sont ceux qui étaient au pouvoir à l'époque. Ce n'est pas la France ! » (Marine Le Pen, devant le Grand Jury RTL, 9 avril 2017)

Juillet 2020. À l'occasion des commémorations, la présidente du RN revenait sur ses propos antérieurs. Sur Twitter, elle rendait hommage aux victimes de la plus grande arrestation de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale en France. « Elle nous oblige à la plus ferme et intraitable détermination dans le combat jamais terminé contre ce fléau et ces nouveaux prêcheurs de haine qui, aujourd’hui en France, ciblent et s’en prennent à nos compatriotes juifs », avait-elle ajouté.

Cette déclaration fut immédiatement saluée par Serge Klarsfeld, qui déclarait, le 17 juillet, qu'en saluant la « mémoire » des victimes de la rafle du Vel d’Hiv, la présidente du RN, Marine le Pen, avait « fait un pas en avant pour s’aligner sur les valeurs républicaines ».

En abandonnant publiquement les positionnements antisémites de son père et de nombre de partisans historiques du FN, Le Rassemblement national de Marine Le Pen devenait à nouveau fréquentable pour l'historien, défenseur de la cause des déportés juifs.

Une extrême droite pacifiée

Octobre 2022. Cette date marque un virage dans le rapprochement entre Serge Klarsfeld et le RN. Ce mois-là, Serge Klarsfeld et son épouse Beate devinrent citoyens d'honneur de la ville de Perpignan, tenue par le maire RN Louis Aliot, ancien directeur du cabinet de Jean-Marie Le Pen et candidat à la présidence du RN. Cette décoration suscita l'émoi dans l'opinion publique. Suffisamment pour que Serge Klarsfeld soit invité sur France Inter pour s'expliquer sur cette remise de médaille, orchestrée en sous-main par un Perpignanais, Philippe Benguigui, président d’une association mémorielle, certes, mais également fervent partisan d'extrême droite.

Dans l'extrait à regarder ci-dessous, c'est sur cet émoi et sur ce personnage décrié que Sonia Devillers interrogeait le vieil homme de 87 ans, quelques jours après les faits, le 22 octobre 2022. « Est-ce que vous comprenez l'émoi que ça a suscité ? Est-ce que vous comprenez la polémique née depuis le weekend dernier ? » Et Serge Klarsfeld de répondre, qu'il comprenait très bien le choc que cela avait pu causer, « mais moi, je tiens compte aussi de l'intérêt général. Je tiens compte de l'avenir », argumentait-il.

Il expliquait qu'il était l'un des rares encore en vie à avoir connu la guerre et la Gestapo et qu'il ne pouvait pas rester insensible aux efforts de ceux qui, comme Louis Aliot (et Marine Le Pen), se ralliaient à ses valeurs, en condamnant les responsables de la rafle du Vel d'Hiv, par exemple. Constatant qu'ils s'opposaient au « Grand remplacement et à la ligne identitaire des purs et durs du Rassemblement national, et qu'ils s'orientaient vers ce qu'il qualifiait d'« évolution pacifique », il se sentait obligé de faire « un pas en avant » et de prendre acte de leur évolution républicaine.

« Ce que je souhaite dans le monde, et en France en particulier, c'est qu'il y ait moins de négationnistes, moins d'antisémites. Et pour moi, le marqueur de l'extrême droite, c'est l'antisémitisme. L'ADN de tout parti d'extrême droite, c'est l'antisémitisme. Or, quand je vois qu'il y a eu une évolution chez certains... et je pousse à cette évolution pacifique » (Serge Klarsfeld)

Dans cet extrait, Serge Klarsfeld expliquait encore que pour lui, le marqueur de l'extrême droite avait toujours été l'antisémitisme et le négationnisme, qu'il avait fermement combattu. Mais, l'époque avait changé, il dressait le constat qu'en 1967, au début de son combat, il n'y avait que 1% de sympathisants d'extrême droite en France et qu'ils étaient à présent plus de 40 %. Jugeant que son action n'avait pas été efficace, il déclarait que dans un monde de violence, il essayait à présent de trouver la voie de l'unité. Cette voie le poussait, l'obligeait, insistait-il, à participer à l'« évolution pacifique » du RN.

Vers l'avènement d'une extrême droite républicaine

La journaliste l'interrogeait ensuite sur sa légitimation de Louis Aliot, potentiel futur président du Rassemblement national (c'est finalement Jordan Bardella qui emportera le poste). L'historien répondait par cette phrase marquante : « Je préfère que la droite extrême se droitise, évolue vers le camp républicain, plutôt que de voir la droite passer du côté de l'extrême droite. Donc, il faut faire des efforts dans ce sens... »
Sonia Devillers soulevait ensuite un autre aspect du programme du RN, tout aussi contestable que l'antisémitisme qu'il avait si longtemps combattu et qui aurait dû l'interpeller : le racisme et la stigmatisation de l'immigration. À cet effet, elle diffusait l'extrait d'une interview de RMC du 18 septembre 2022, dans lequel Louis Aliot avait évoqué, lui aussi, la notion « d'immigration de peuplement et de colonisation », proche de celle du « Grand remplacement », pourtant rejetée par Serge Klarsfeld. Restant impassible, l'octogénaire minimisait la portée des propos de Louis Aliot, préférant le qualifier de « conservateur » plutôt que de réactionnaire, avant de conclure : « Aujourd'hui, il devient un adversaire politique et pas un ennemi politique. » Enfin, l'ancien chasseur de nazis dédouanait également Philippe Benguigui, l'instigateur de sa décoration.

Dans le prochain extrait de ce même entretien, à regarder ci-dessous, Sonia Devillers lui demandait si l'extrême droitisation de la communauté juive de France, qui selon une étude de Jérôme Fourquet de l'Ifop, était beaucoup plus rapide que les autres communautés, le préoccupait ? Bien qu'il répondit par l'affirmative, en déclarant qu'il avait soutenu la candidature d'Emmanuel Macron au moment de l'élection présidentielle, il ajoutait qu'il avait fait son devoir à l'époque, mais qu'à présent, il faisait aussi son devoir en « essayant de faire en sorte qu'une ligne plus républicaine s'impose au Rassemblement national ».

La journaliste concluait en lui demandant si, en épousant ainsi le discours du Rassemblement national, qui se présentait comme le nouveau parti gaulliste, il ne favorisait pas la fusion entre l'extrême droite et la droite ? Le défenseur de la cause des déportés juifs répondait en se défaussant, « on verra l'évolution », concluant en réaffirmant son idée conductrice : « Le mieux, c'est quand même que l'extrême droite devienne la droite, plutôt que la droite devienne l'extrême droite. Ça me paraît tout à fait logique et favorable. »

S'orienter dans la galaxie INA

Vous êtes particulier, professionnel des médias, enseignant, journaliste... ? Découvrez les sites de l'INA conçus pour vous, suivez-nous sur les réseaux sociaux, inscrivez-vous à nos newsletters.

Suivre l'INA éclaire actu

Chaque jour, la rédaction vous propose une sélection de vidéos et des articles éditorialisés en résonance avec l'actualité sous toutes ses formes.