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L'enfer du «devoir conjugal» raconté par des femmes en 1985

L'enfer du «devoir conjugal» raconté par des femmes en 1985

Dans son rapport sur le sexisme rendu public le 23 janvier, le Haut Conseil à l’Égalité met en lumière les situations de harcèlement vécues par les femmes à la maison, avec les relations sexuelles non désirées dans le cadre de ce que l'on appelle encore le « devoir conjugal ». Un carcan pesant, terreau de sexisme et d’humiliation, que décrivait déjà des femmes dans un entretien poignant enregistré dans les années 1980.

Par Florence Dartois - Publié le 23.01.2023
Des rapports sexuels contraints et forcés - 1983 - 01:57 - vidéo
 

L'ACTU.

Le sexisme et les violences sexuelles ne s'exercent pas qu'à l'extérieur, les femmes en sont aussi victimes chez elles. Elles sont souvent le fait de leurs conjoints ou époux. Le rapport annuel publié le 23 janvier sur l’état des lieux du sexisme en France publié par le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) révèle que les violences physiques, sexuelles, psychologiques progressent toujours. Une constatation corroborée, selon ce rapport, par les dernières études officielles constatant une augmentation des violences sexistes et sexuelles déclarées en 2022.

Le sondage de l’institut Viavoice, présenté dans le rapport, a été réalisé avec sur un panel de 2500 personnes âgées de 15 ans et plus. Il évoque pour la première fois les situations de rapports sexuels non consentis : 37 % des Françaises interrogées déclarent avoir déjà étaient confrontées à ces situations de « non-consentement » et avoir cédé face à « l’insistance de leur partenaire ».

Des constatations qui rappellent les propos tenus par les femmes interrogées dans l'archive en tête d'article et qui résonnent avec les résultats de l'enquête.

L'ARCHIVE.

En septembre 1983, le magazine d'antenne 2 « Mœurs en direct » interrogeait des femmes sur la notion d'homme idéal. Les plus âgées, celles qui s'étaient mariées dans les années 1950, décrivaient la transformation de « l'homme idéal » en violeur occasionnel, et accessoirement alcoolisé, sous couvert du « devoir conjugal ».

Cette notion n'est pas expressément prévue par la loi, mais découle d'une autre obligation, prévue par le Code civil (les articles 212 à 226 exposent les droits et devoir du couple). L'article 215 déclare que « les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie ». C'est cette communauté de vie qui implique le devoir conjugal, c'est-à-dire des rapports sexuels réguliers au sein du mariage. L'absence de ces relations pouvant permettre à l'une ou l'autre des parties de demander le divorce.

Pour les femmes interrogées dans notre archive, la communauté de vie s'était progressivement transformée en enfer, entre rapports forcés et grossesses - nombreuses - mais non désirées, faute de contraception. C'est ce que décrivait la première femme interrogée : « J'avais tellement peur de me retrouver enceinte que j'aurais souhaité ne plus avoir de rapports sexuels. C'était devenu des rapports sans tendresse pour moi parce qu'il me dégoûtait. Il sentait le vin, il sentait l'alcool, mais il fallait subir. Sinon, c'était toute la nuit qu'il faisait des comédies ou des sérénades... »

Mêmes termes et même contrainte chez une autre femme : « j'avais souvent des comédies pour cette chose-là parce que, comme souvent, il rentrait ivre ». Et lorsqu'elle refusait, il la frappait, racontait-elle.

Sexisme et soumission

Le sexisme, ces épouses le vivaient au quotidien dans ce foyer où l'esclavage et l'absence de reconnaissance remplaçaient la complicité. Reprenant les mots employés par son mari, une femme se souvenait de l'humiliation qu'il lui infligeait : « toi de toute façon, tu n'es qu'une femme. Tais-toi, tu ne sais pas. C'est moi le maître ici ! » Une absence de dialogue, teintée de violence, de récriminations et de contraintes sexuelles que ces femmes, veuves ou divorcées, décrivaient toutes avec une certaine résignation. Une résignation qui se transmettait visiblement de génération en génération, c'est en tout cas ce qu'expliquait une autre intervenante, à qui sa mère avait déclaré, « Fernande, fais comme moi, sois souple ».

Comment pouvaient-elles tenir tête à leur mari à une époque où l'homme était le seul à ramener « l'argent à la maison » ? La réponse fusait : «fallait être soumise », une autre ajoutant « comment faire ? », « fallait céder et fallait pas se plaindre ». Pour ces dames, dignes, ce qui était clair, c'était que l'absence d'indépendance financière était la principale raison à leur servitude. Elles espéraient que les futures générations de jeunes femmes pourraient s'émanciper et acquérir ainsi l'indépendance et le respect qu'elles n'avaient pas connu.

Ces femmes seraient sans doute déçues de découvrir qu'au XXIe siècle, plus de 40 ans après cette interview, l'émancipation financière n'a pas suffi, selon l'enquête du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes.

QUELQUES CHIFFRES DU RAPPORT.

◗ 33 % des femmes interrogées ont déjà eu un rapport sexuel suite à l’insistance de leur partenaire, alors qu’elles n’en avaient pas envie ;

◗ 12 % ont déjà eu un rapport sexuel non protégé devant l’insistance de leur partenaire (18 % pour les 25-34 ans) ;

◗ 7 % ont déjà eu un rapport sexuel non consenti sous emprise d’alcool ou de drogue (12 % pour les 18-24 ans) ;

◗ 4 % ont déjà eu un rapport sexuel pendant lequel leur partenaire a retiré son préservatif sans demander leur accord (8 % 18-24 ans) ;

◗ Par ailleurs, 7 % ont déjà subi des étreintes, baisers par un collègue ou un homme qu’elles ne connaissaient pas.

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