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L'incroyable histoire du «trésor de Lava» : plus de 40 ans de mystères et de rebondissements

L'incroyable histoire du «trésor de Lava» : plus de 40 ans de mystères et de rebondissements

Deux sexagénaires viennent de comparaitre devant le tribunal correctionnel de Marseille dans le cadre de l'affaire du « trésor de Lava » pour « recel de vol d'un trésor maritime ». Le parquet a requis de la prison avec sursis et de lourdes amendes. Près de quatre décennies après sa découverte dans la baie de Lava en Corse, ce trésor exceptionnel datant du IIIe siècle romain connait enfin son épilogue. Retour en archives sur une affaire aussi rocambolesque que fascinante.

Par Florence Dartois - Publié le 30.01.2024
 

L'ACTU.

Deux sexagénaires viennent de comparaitre devant la justice marseillaise dans le cadre de l'affaire du « trésor de Lava ». Le parquet a fustigé des « pilleurs » ayant détruit un ensemble inestimable d’objets de l’antiquité romaine qui « aurait pu faire la fierté » de la Corse.

Félix Biancamaria, 67 ans, interpellé en 2010 en possession d’un plat en or incurvé de 25 cm de diamètre pourrait écoper de deux ans de prison avec sursis et 150 000 euros d’amende. Pour son complice présumé, Jean-Michel Richaud, 68 ans, le magistrat a réclamé 10 mois d’emprisonnement avec sursis et 15 000 euros d’amende. Les deux hommes étaient poursuivis pour « recel et détention d’un bien culturel maritime présentant le caractère de trésor national ». Ils étaient également jugés pour son « importation en contrebande ».

Tout a commencé en 1985 lorsque Felix Biancamaria et son frère Ange, partis à la pêche aux oursins dans l’anse de Lava, au nord d’Ajaccio, découvraient un fantastique trésor composé de centaines de pièces d'or rarissimes frappées à l'effigie d'empereurs romains et datant du IIIe siècle après J.C. C'est du moins ce que l'on raconte, mais vous le verrez ce n'est pas si simple...

Or selon la loi, tout trésor découvert sous l'eau, sans que l'on connaisse l'identité du propriétaire, appartient de fait à l’État. Malheureusement pour eux, les pêcheurs ont eu la mauvaise idée de revendre une partie des pièces sur le marché des antiquités. Ce qui leur valu de passer à plusieurs reprises en justice pour recel. Si Felix Biancamaria comparaît à nouveau, près de 40 ans après leur trouvaille, c'est pour un nouveau volet de l'affaire : la détention d'un plat en or qu'il avait dissimulé aux autorités.

Le mystère planant autour du « trésor de Lava » a suscité les passions et les nombreux rebondissements ont été relatés par la télévision.

LES ARCHIVES.

Pour entamer le récit de cette histoire rocambolesque, nous vous proposons de regarder une archive de 1994, diffusée dans le JT de Corsica Sera, disponible en tête d'article. Nous sommes près de 8 ans après la découverte du trésor et à la veille du procès en appel. Dans un premier procès, les frères Biancamaria et leurs complices (amis et des experts parisiens) avaient été condamnés pour détournement d'épave maritime.

Ce sujet résumait l'histoire de la découverte du trésor dans l’anse de Lava au nord d’Ajaccio, qualifié de « caverne d’Ali Baba » par la journaliste.

Au IIIe siècle, un navire romain avait sombré en Méditerranée, à proximité des côtes corses, avec un chargement d'or estimé à plusieurs centaines de pièces. Selon ce reportage, l'existence de ce trésor antique était connu. Une thèse qui sera ailleurs défendue au procès. Pendant 30 ans, de 1950 à 1986, il fit l'objet de recherches systématiques. La précieuse cargaison aurait été retrouvée en 1985 par les frères Biancamaria. Avec des amis plongeurs, ils auraient remonté peu à peu la monnaie d'or pour la négocier discrètement. La journaliste explique ici que l'affaire aurait été dévoilée en novembre 1986, après la dénonciation anonyme d'une vente aux enchères à Monaco de 18 pièces d’or. Vente qui conduisit les policiers sur les traces des découvreurs. Rapidement huit hommes furent interpellés : Félix et Ange Biancamaria, deux amis plongeurs et des experts.

En 1994, après huit ans d'enquête, on espérait découvrir qui avait réellement trouvé le trésor.

Enquête sur un trésor inestimable

Revenons sur la chronologie des faits. L'affaire sort dans les médias le 14 novembre 1986, un an après la découverte supposée des pièces d'or. Ce jour-là, l'édition de Corsica Sera annonce l'interpellation de 11 personnes dans une affaire de recel de pièces romaines, sans donner l'identité des intéressés.

Le lendemain, le 15 novembre, un nouveau sujet de JT est consacré à ce qu'on nomme le « trésor de la Méditerranée ». On apprend que « 18 pièces ont été récupérées à Paris pour une valeur de 80 millions de centimes » et que d’autres pièces ont été repérées aux États-Unis et à Munich : « Le trésor de la Méditerranée est évalué entre 18 à 100 pièces » annonce le commentaire sans plus de précision. Le journaliste précise qu'à ce stade, seules 8 personnes ont été inculpées par la juge d’instruction pour « détournement et recel d’épave maritime ».

À travers le témoignage d'un enquêteur, le colonel Nicolas Spillman, le reportage permet d'en savoir plus sur l'enquête menée par la gendarmerie dès mai 1986. Le commandant du groupement de gendarmerie de Corse du sud raconte notamment comment son service avait eu vent d'un trafic de pièces antiques, et comment un article de presse locale leur avait permis de remonter la piste et de retrouver les personnes impliquées.

Trésor de Lava : 8 inculpations
1986 - 00:00 - vidéo

Le lieu de la découverte

Trois jours plus tard, le 18 novembre 1986, le JT Corsica Sera consacre un long reportage à la découverte du trésor, en se rendant à bord d'un bateau du Drassm, département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines, pour un état des lieux et une plongée sur zone. À bord, l'archéologue Patrice Pommey donne quelques précisions sur l'épave qui s'est dispersée, mais qui n'a jamais était localisée entièrement. Il aborde la question de la loi en vigueur sur la découverte des épaves maritimes, et les « trafics juteux et florissants » de pièces vendues par le passé.

Selon la loi, toute épave abandonnée dans l’eau et dont le propriétaire n’est pas connu appartient à l’État. Une indemnité est prévue, mais dans le cas de ce trésor, elle n’aurait jamais atteint le centième de la valeur marchande des pièces. C'est peut-être ce qui explique que les possesseurs se soient tournés vers le marché parallèle pour vendre une partie du butin.

Dans son reportage, la journaliste soulève à nouveau la question de la vraie date de la découverte. « Pourquoi tant de bruit en 1986, alors qu’on avait déjà vendu 50 pièces en 1958 et une 20e en 1970, sans problème apparent (...) C’est à l’enquête de déterminer ce qui s’est passé… », s'interrogeait-elle, avant de souligner que les poursuites en cours contre les découvreurs étaient liée à la justice maritime française. Il n'existait pas de loi commune, chaque pays adoptant ses propres règles, des plus strictes (Allemagne, Turquie) aux plus souples (États-Unis). Le Conseil de l’Europe étudiait alors un projet de convention européenne de protection du patrimoine sous-marin qui devait uniformiser la législation en la matière.

Le trésor de Lava
1986 - 00:00 - vidéo

« Selon la loi, toute épave abandonnée dans l’eau et dont le propriétaire n’est pas connu appartient à l’État », « Je n'ai pas à dire si la loi est bien ou mal faite. La loi est la loi et elle doit être appliquée et respectée. Je n’ai pas à porter de jugement public sur la loi elle-même ». (Patrice Pommey)

Après le premier procès qui aboutit à une condamnation pour recel, une demande d'appel relança la procédure pour presque 7 années de plus, jusqu'au procès de novembre 1994. Il confirmera la peine initiale. Quelques mois plus tôt, l'un des frères Biancamaria, Ange, s'était exprimé à la télé. Un témoignage à découvrir dans l'archive ci-dessous.

Un héritage ancien

« Je demande un jugement, c’est tout ce que je demande ». En 1993, quelques mois avant la fin de l'instruction, il donnait sa propre version. Lui parlait d'héritage. Il avait d’abord été inculpé pour détournement et recèle d’épave maritime. Un grief qui avait évolué en juin 92 en « détention de pièces d’or ». Le frère incriminé ne se considérait pas comme un receleur, il réclamait justice et venait de porter plainte contre l’expert numismate parisien pour abus de confiance et escroquerie.

Ange Biancamaria : « Pour moi, c’est un héritage familial. C’est mon père qui me les avait léguées, vu qu’il les détenait de son oncle. Maintenant, on me demande les preuves de la provenance. J’en ai pas ! Je n’ai pas les pièces nécessaires pour prouver ma bonne foi. C’est tout ».

Réapparition du plat en or

La fin du procès de novembre 1994 n'a pas vraiment élucidé ce point. L'affaire du trésor de Lava aurait être oubliée si, en 2010, elle n'avait connu un nouveau rebondissement. Cette fois, c'est Félix Biancamaria qui est interpellé à Roissy, à la descente d'un train en provenance de Bruxelles. Il était en possession d'une pièce maîtresse du trésor qui n'avait jamais été retrouvée : un plat en or. Fin 1986, les pêcheurs et leurs complices avaient été arrêtés, les monnaies saisies, mais une pièce du trésor restait introuvable : un plat de 916 grammes d’or dont il ne subsistait qu’un croquis présenté dans le reportage ci-dessous. Cet objet romain est alors estimé entre 1 et 2 millions d’euros. Les frères ne l’avaient pas restitué.

Dans l'interview présentée ci-dessous Felix Biancamaria assumait cet acte illégal avec aplomb : « Il n’y a que 1 % de fadas, comme on dit à Marseille, qui auraient été le déclarer ! »

Felix relatait aussi toute l'aventure. Lui ne parle pas d'héritage, mais affirmait que les pièces avaient bien été découvertes en 1985 lors d'une pêche aux oursins en eau peu profonde. Il confiait de nouveaux détails : en quelques semaines, le pêcheur et deux amis plongeurs, avec qui il remonta la monnaie, amassèrent un véritable trésor, « environ 140 pièces ». Armés de couteaux, ils enlevèrent patiemment les pièces incrustées dans les rochers, plus de 600 pièces, selon lui, à l’effigie de différents empereurs romains.

Dans la suite de son interview, il raconte qu'ils se rendirent ensuite chez les numismates du quartier de la Bourse, à Paris, pour les écouler. Les trois premières pièces leur auraient rapporté 80 000 euros. De quoi mener la belle vie : casino, voitures de luxe et montres de marque. Félix Biancamaria confie qu'il dépensait chaque semaine entre 200 et 300 000 francs (45 euros), « on ne comptait pas (...) On allait sur le site, on se servait et on revendait, et puis voilà ». Mais cette belle inconscience allait s’arrêter brutalement, car selon la loi, cette pêche miraculeuse était complètement illégale. On connait la suite.

Le trésor est estimé à 32 millions d’euros, car certaines des monnaies étaient complètement inconnues, comme une pièce de Gallien, des multiples de Claude... un trésor patrimonial magnifique également décrit dans cette archive par Michel Amaudry, conservateur en chef du cabinet des médailles.

Le trésor de Lava
2010 - 00:00 - vidéo

Michel L'Hour, directeur du Drassm : « Il constitue certainement le trésor le plus important au monde pour le IIIe siècle ap. J.C. »

Après ce rebondissement, Félix Biancamaria a été mis en examen pour recel. C'est son procès et celui de l'intermédiaire, Jean-Michel Richaud, qui s'est tenu les 29 et 30 janvier. Aujourd'hui, le prix du plat en or est estimé entre 6 et 8 millions d'euros. Depuis le début de l'affaire, la loi a changé. Selon, Me Anna-Maria Sollacaro, une des avocates de Félix Biancamaria, la législation qui couvrait à l'époque les découvertes maritimes ne prévoyait que le détournement d'épave. Ensuite, « on a participé à un mouvement précipité pour créer une nouvelle législation postérieure à la découverte pour pouvoir s'approprier le trésor » en introduisant une notion de « bien culturel maritime », a-t-elle expliqué à l'AFP.

Elle a défendu la thèse que le trésor provient très probablement « de l'occupation romaine de l'époque que d'un naufrage » et dénonce une violation du principe de « non-rétroactivité de la loi pénale ». Ce qui changerait tout, car si le trésor de Lava se trouvait à l'origine sur terre, son découvreur a le droit à 50% de sa valeur. Aujourd'hui, le plat en or et une partie du trésor est conservé par le département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (Drassm).

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