L'ACTU.
Le 6 juin, Sotheby's Londres a mis en vente l'esquisse d'une toile célèbre de Graham Sutherland, un portrait de Winston Churchill qu'il lui avait été offert pour ses 80 ans. Cette étude de 61 sur 51 centimètres, peinte à l’huile en 1954, était estimée entre 580 000 et 927 000 euros et a été vendeur pour 660 000 livres. Cette ébauche est reliée à une histoire incroyable qui a d'ailleurs été racontée dans un épisode de la série « The Crown » en 2016.
L'HISTOIRE DU TABLEAU.
En 1954, pour fêter les 80 ans du « vieux lion » passionné de peinture et peignant lui-même à ses heures perdues, les membres du Parlement britannique décidèrent d'offrir à Winston Churchill un portrait de lui. Le choix de l'artiste se porta sur Graham Sutherland, artiste réaliste, très bien côté à l'époque. La préparation du tableau débuta à l'été 1954 et l'artiste visita à plusieurs reprises Churchill, à Chartwell, dans son cottage. Au cours de leurs rencontres, il dessina quelques croquis préparatoires, au fusain, puis des esquisses à l'huile. Les deux hommes sympathisèrent, jouant aux cartes et devisant joyeusement. Winston Churchill découvrit l’œuvre finale le 30 novembre 1954, au Parlement, lors d'une cérémonie officielle ponctuée d'un gâteau d'anniversaire.
Mais la réaction de l'octogénaire ne fut pas celle qu'on attendait. Le portrait dévoilé provoqua la stupéfaction, puis la colère « noire » du Premier ministre, vexé de se voir apparaître avec les traits vieillissants et durs. Graham Sutherland l'avait représenté assis, crispé sur son fauteuil, le corps massif et la figure renfrognée. Churchill qualifiera la toile de « dégoûtante » et de « malveillante ». Il ajoutera qu'on pouvait le prendre pour « un ivrogne » surpris sur le trône !
Gentleman, et pour ne pas humilier l'artiste en public, le Premier ministre ne montra rien de son courroux devant les caméras. C'est cette cérémonie, et surtout ce tableau de la colère, que nous vous proposons de découvrir en tête d'article.
L'ARCHIVE.
Il s'agit d'un reportage réalisé ce jour-là pour les « Actualités françaises ». Si Winston Churchill sourit, ne laissant rien paraître de son déplaisir, le commentateur, lui, très perspicace, déclarera que le Premier ministre était « peu satisfait » du résultat.
La légende raconte que le tableau fut remisé à Chartwell, avant de disparaître définitivement. Churchill aurait demandé à son épouse de le détruire, ce qu'elle aurait fait en le brûlant. Cette scène a été reprise dans la série The Crown.
Qui était Graham Sutherland ?
Le Britannique Graham Sutherland (1903-1990) était à la fois peintre, lithographe et graveur. Dans les années 1950, il était considéré comme l'un des principaux maîtres de la peinture anglaise moderne. Il n'est donc pas étonnant que les représentants du Parlement britannique aient fait appel à lui. Pendant le conflit mondial, il avait obtenu le titre officiel de peintre de guerre et avait parcouru la Grande-Bretagne pour immortaliser le pays de son trait précis. En 1944, après le débarquement, il avait visité Paris puis le sud de la France, dont il tomba amoureux et où il séjourna ensuite chaque année.
L'œuvre picturale de Sutherland s'articule autour de trois thématiques principales : le paysage, le portrait et la peinture religieuse qu'il a largement déployé à travers ses œuvres (tableaux, retables, tapisseries...) pour des édifices religieux britanniques.
Exposition du peintre Graham Sutherland
1969 - 00:34 - vidéo
Vidéo muette qui présente des œuvres exposées par le peintre en 1969. Un reportage en noir et blanc de « Côte d'Azur Actualités ».
Un tableau trop réaliste ?
Graham Sutherland était connu pour sa méticulosité, procédant à de nombreuses recherches et esquisses préparatoires. À l'instar de celle qui était vendue chez Sotheby's le 6 juin 2024, fidèle au tableau tant détesté de Churchill. La toile qui avait disparu était restée célèbre et les journalistes ne manquaient jamais d'interroger l'artiste sur ce flop retentissant. C'est ce qu'illustre bien l'archive ci-dessous. Il s'agit d'une interview réalisée en septembre 1961, par Claude Tabet, pour le magazine de la RTF « Douceur de vivre ». Le journaliste était allé débusquer le peintre chez lui entre Menton et Castellar. Une maison « à flanc de colline », bien cachée, avec vue sur la Méditerranée. C'est dans son jardin, noyé de soleil, que le reporter avait surpris l'artiste, en plein travail, exécutant, cette fois, un portrait de bélier.
Sans surprise, la première question concernait le fameux portrait de Churchill. S'exprimant dans un français très compréhensible, Graham Sutherland, revenait sur ce désaveu avec beaucoup d'humour. L'artiste donnait sa propre version de l'origine du rejet du vieil homme : « peut-être qu'il n'aime pas le réalisme du portrait (...) c'est curieux avec les hommes très renommés, vous savez, peut-être qu'ils n'aiment pas la vérité ».
La suite de l'interview concernait le projet qui le tenait alors, une tapisserie monumentale destinée à la cathédrale anglicane de Coventry, dans les Midlands de l'Ouest, en Angleterre.
Rencontre avec le peintre Graham Sutherland
1961 - 03:35 - vidéo
1968 : Graham Sutherland devient citoyen d'honneur de Menton
À cette occasion, l'artiste accordait une interview à « Côte d'Azur Actualités ». À l'époque, il travaillait sur un bestiaire, dont les lithographies avaient été imprimées en France. L'entretien, illustré d'images de ses œuvres, s'achevait sur son choix de vivre à Menton, où le soleil était plus fort, lui semblait-il : « J'aime travailler sous le soleil », concluait-il.