L'ACTU.
Le rapport annuel 2024 de l'association Les Petits frères des pauvres alerte sur l'augmentation du nombre de personnes âgées vivant sous le seuil de pauvreté. Une précarité qui touche particulièrement les femmes et les personnes seules qui se retrouvent encore plus isolées.
Selon l'association, ce chiffre correspond aux personnes de 60 ans et plus qui vivent sous le seuil de pauvreté monétaire, un niveau relatif fixé à 60% du niveau de vie médian (soit 1 216 euros par mois pour une personne seule, 1 824 euros pour un couple). L'association caritative a constaté une augmentation du nombre d'anciens sous ce seuil : la pauvreté touchait 10,6% des 65-74 ans en 2022 contre 7,5% en 2017, selon l'Insee. Les seniors sont toutefois moins touchés que la population générale par la pauvreté, avec neuf millions de personnes en France vivant sous le seuil de pauvreté, soit 14,4% de la population.
L'association constate que les femmes sont particulièrement fragiles économiquement : carrières hachées, temps partiels pour s'occuper des enfants, ont pour conséquences des pensions de retraite plus faibles que celles des hommes. Il faut ajouter à cela la solitude dans le grand âge pour celles qui vivent plus longtemps sans leurs compagnons décédés. Cette situation, si elle semble s'amplifier selon le rapport des Petits frères des pauvres, est ancienne comme le montre l'archive à regarder en tête d'article.
L'ARCHIVE.
La pauvreté des « vieillards », notamment celle des femmes, a toujours représenté l'un des combats des Petits frères des pauvres. C'est ce que montre bien l'archive diffusée en mai 1966 dans le magazine de la première chaîne « Panorama ».
« Un jour de 1946, un 15 mai, un homme installe son quartier général dans une ancienne loge de concierge du 11ᵉ arrondissement à Paris. Il s'est juré de combattre la misère et la pièce étroite qu'il habite lui servira longtemps de cuisine, de chambre à coucher et de bureau. Il a choisi de servir les pauvres, de demeurer laïque et de lutter de toutes ses forces contre la faim. C'était il y a 20 ans. Armand (Marquiset, 1900-1981) venait de créer Les Petits frères des pauvres. » Ainsi commence cette enquête sur les actions caritatives des Petits frères comme les appellent les anciens qu'ils aident.
Le comte Armand Marquiset est né à Gagny le 29 septembre 1900. Issu de l’aristocratie française, il concilie sa foi à son désir de se rendre utile pour la société. Son combat se portera essentiellement sur les pauvres esseulés. Le 19 avril 1946, il crée Les Petits frères des pauvres. Malgré l'engagement religieux de son fondateur, l’association caritative est laïque et a pour objectif d’accompagner les personnes souffrant de pauvreté, de solitude ou de maladie, en particulier les plus de 50 ans. La vieillesse commençait bien plus tôt alors.
La Fondation des Petits frères des pauvres a depuis été reconnue d’utilité publique, « elle facilite et améliore durablement les conditions de vie des personnes âgées démunies et/ou isolées, notamment en matière de logement ».
Voilà comment le commentaire décrivait la mission de l'association : « Chaque jour, ils vont côtoyer la misère. Ils vont écouter pour la centième fois peut-être, l'histoire d'une vie qui se termine dans la solitude et dans le dénuement. À ces pauvres qu'il doit écouter, qu'il doit aider, le petit frère ne demandera ni leur race, ni leur religion, ni leur opinion politique. "Des fleurs avant le pain", c'était la devise du petit frère Armand, le fondateur. Vingt ans après, le mot de passe demeure le même ». À l'occasion des 20 ans des Petits frères, la télévision avait suivi le quotidien de ces bénévoles, notamment celui du jeune Yves qui passait son temps libre à livrer des colis alimentaires aux personnes âgées isolées. Les images montrent déjà clairement que les femmes étaient majoritaires.
Un désintérêt général
Le reportage débutait dans l'une des quarante antennes qui existaient alors, réparties sur les cinq continents. À Paris, la journée d'un bénévole commençait par un brin de ménage dans la petite chambre qu'il occupait, suivi d'une messe et d'un petit-déjeuner commun où chacun évoquait son programme et ses visites à venir. Pour Yves, il s'agira de personnes isolées vivant dans le 11e arrondissement.
Avant de le suivre, un responsable décrivait la situation des « vieillards » et énumérait les différentes actions menées par l'association. En 1966, comme il le précisait, les plus de 65 ans représentaient 17 % de la population, soit 7 millions de personnes (en 2020, selon l'Insee, elles représentaient 20,5 % de la population). Au milieu des années 1960, leur situation financière était plus que précaire. La plupart recevaient la « retraite des vieux travailleurs » ou des ressources encore plus minces.
Les besoins étaient grands, mais l'association n'intervenait que dans les villes où elle était implantée. Faute de bras, elle limitait son action aux plus faibles, « les plus âgés, les plus isolés et les plus pauvres ». Soit environ 5000 personnes dans toute la France (3000 à Paris).
Ce responsable expliquait que l'association ne bénéficiait d'aucune subvention, ne fonctionnant qu'avec des dons épisodiques, notamment à Noël ou pendant les vacances. Il regrettait l'insuffisance des dons critiquant le désintérêt général pour cette question du grand âge. Cette cause qui n'intéressait personne leur permettait tout de même de financer les colis alimentaires qu'ils livraient « aux vieillards » toutes les semaines ou tous les mois selon l'urgence
Et de conclure que malgré les efforts des pouvoirs publics, cette question serait longue et difficile à résoudre : « La proportion de personnes inactives en France est trop forte pour qu'on puisse espérer des miracles dans ce domaine, mais on peut quand même améliorer la situation. On peut aussi améliorer la question des maisons de retraite, qui est dramatiquement insuffisante en France. Sensibiliser l'ensemble de la population française au problème de l'isolement des vieillards est certainement plus difficile. » Concluait-il.
Une solidarité appréciée
Le reportage s'intéressait ensuite à Yves « petit frère » depuis neuf mois. Cet ancien étudiant dans le textile se consacrait à sa tâche avec abnégation, « c'est quelque-chose qui nous dépasse, expliquait-il, on est dedans, on y travaille ». Il parlait de vocation, « j'aurai pu dire non, mais j'ai dit oui ». Un engagement total aussi bien personnel que vis-à-vis des personnes âgées : « À partir du moment où on a pris une personne en charge, c'est jusqu'à son dernier jour. » Et même au-delà, puisque l'association s'occupait aussi de leurs funérailles et de leur fournir une sépulture convenable pour éviter « la fosse commune ».
Parmi les personnes à qui il rendait visite chaque semaine, il y avait Rose, une très vieille dame coincée chez elle dans un étage élevé d'un immeuble parisien et que ses jambes ne portaient plus. Chaque visite d'Yves était l'occasion de bavarder et de récupérer son paquet de vivres. Elle tenait le coup parce qu'elle était économe, expliquait-elle, même si son loyer avait augmenté de manière inexplicable.
Sans cette visite hebdomadaire, Rose incapable de sortir de chez elle, serait restée seule, sans doute dans l'incapacité de s'alimenter. Son seul regret, c'était la brièveté de leurs échanges, « ils sont toujours pressés les pauvres petits frères, ils emportent les colis chez les uns et les autres ». Ses derniers instants de bonheur, elle le devait à une fête organisée par l'association (sans doute à Noël). Des étoiles dans les yeux, elle évoquait une fête merveilleuse où ils l'avaient fait danser : « Ils m'ont fait le ver les bras et c'était épatant. Pendant un moment, j'ai cru que j'étais guérie, et puis le lendemain, je n'étais pas ankylosée. Pas du tout. »
Les Petits frères des pauvres représentent aujourd'hui en France un réseau de plus de 12.000 bénévoles et 600 salariés sur plus de 300 lieux d'action.