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Patrick Brion, le seul homme de télévision dont on ne connaissait que la voix

Patrick Brion, le seul homme de télévision dont on ne connaissait que la voix

Le présentateur iconique de l'émission «Le cinéma de minuit» diffusé depuis 48 ans sur France 3 quitte le petit écran. Si son nom et son programme sont célèbres, lui n'apparaissait (presque) jamais à l'écran. Une discrétion qui n'avait pour but que de laisser la place d'honneur au cinéma.

Par Florence Dartois - Publié le 20.12.2024
Patrick Brion sur sa voix - 1995 - 01:33 - vidéo
 

Après 48 ans de présentation de l'émission « Le cinéma de minuit », Patrick Brion, historien du cinéma et spécialiste du cinéma américain quitte le petit écran le 20 décembre 2024. À 83 ans, il se retire après avoir présenté plus de 2 000 films et suscité des vocations de cinéphiles, à n'en pas douter.

Grâce à sa connaissance encyclopédique du cinéma, des générations de spectateurs ont pu découvrir grâce à lui de grands classiques du 7ème art, rares parfois même oubliés. Du muet au western en passant par les films de gangsters ou d'auteurs. Aucun genre cinématographique n'échappait à sa sagacité.

« Le cinéma de minuit » c'était un ton, un univers et une musique, celle de Francis Lai, Les étoiles du cinéma.

Une voix pour un écran

Et c'était aussi une voix reconnaissable entre toutes. En effet, avant la diffusion du film, très tard dans la nuit, (à ses débuts, l’émission était programmée le dimanche soir à 22h30, se terminant aux alentours de minuit), le spectateur profitait du grand moment de l'émission : se laisser porter par la présentation éclairante et érudite du film par Patrick Brion.

Sans jamais apparaître à l'écran, dans un monologue de plusieurs minutes, il donnait les principales clés de compréhension qui permettrait ensuite aux spectateurs de savourer les finesses du long métrage proposé.

En dévoilant une foule d'informations précises et d'anecdotes plus légères, ce puits de science offrait à son auditoire captivé la possibilité de s'approprier le film et de se faire sa propre opinion sur le résultat. Pour Patrick Brion, le public était plus intelligent que n'importe quel critique de cinéma.

L'immersion dans l'univers du film, avant même d'en avoir vu une seule image, passait par un seul medium : sa voix monocorde ponctuée d'envolées presque lyriques. Ainsi, allant jusqu'au bout de ses convictions, Patrick Brion s'est toujours effacé derrière le cinéma, n'apparaissant jamais à l'écran, pour mieux l'offrir en partage au public.

Humilité et érudition

Cette invisibilité étonnante dans un monde d'images, ses confrères s'en amusaient souvent, ne manquant jamais de l'interroger sur l'origine de son humilité. Dans l'interview à écouter ci-dessous, extraite de l'émission radio « Sur le Pont » du 5 septembre 1987, le producteur décrit très bien cette volonté de laisser le spectateur faire son cheminement personnel vers le film. Il évoque l'intelligence du public et l'importance de la qualité des films et de l'exigence.

« Mon souhait, c'est de faire partager aux téléspectateurs les goûts et peut-être les connaissances qu'on peut avoir en leur donnant, en leur apportant des films de qualité. Moi, ce qui m'a toujours gêné en tant que spectateur du cinéma, c'est souvent de ne pas pouvoir regarder les films. Et je crois que là où la télévision est importante, ce n'est pas de passer les films trop rapidement, mais de permettre à des films, qui ont tout simplement quelques années, de continuer à revivre et donc de permettre aux gens de les revoir ».

« Je crois que c'est ça. En se disant toujours que le public a toujours bien meilleur goût qu'on ne le croit. La devise du patron de la Paramount, c'est de dire que le public n'a jamais tort. Donc, je crois qu'on a toujours tort à vouloir le flatter en se disant : "le film n'est pas bon donc il aura de l'audience, il en trouvera encore plus". Je crois que meilleurs seront les films, meilleure sera leur qualité, plus le public, y prendra goût ».

 

Lors de ses rares apparitions sur un plateau, en général pour promouvoir son dernier livre consacré à un acteur ou un cinéaste, on ne manquait pas de le taquiner sur sa diction si particulière. L'archive disponible en tête d'article est un bon exemple de cette « fascination » médiatique.

L'ARCHIVE.

Ce jour-là, le 17 mars 1995, Patrick Brion est l'invité du magazine « Faut pas rêver » présenté par Sylvain Augier. Pour les 100 ans du cinéma, l'animateur rend hommage aux Frères Lumière et reçoit la voix du « Cinéma de Minuit » qui a dédié sa vie au cinéma : « (pour le cinéma), j'ai sacrifié deux choses. Je n'écris pas sur la littérature. Je connais très mal la musique. Je ne m'occupe pas de peinture, donc au moins, je peux approfondir le cinéma. »

Et comme souvent, il est question de sa voix parlée, différente selon Sylvain Augier de sa voix de « Cinéma de minuit », plus « affectée ». Dans sa réponse, on sent une pointe d'exaspération chez Patrick Brion qui en profite pour décrire la manière dont il enregistre ses textes introductifs : « Non, elle n'est pas affectée, car je suis incapable d'affecter ma voix (...) Si, c'est presque la même ! Quand je parle, là, j'ai quelqu'un en face de moi, donc nous dialoguons. Quand je fais mes présentations du « Cinéma de minuit », je suis tout seul dans un petit studio, devant un micro, je ne vois personne. Il n'y a personne pour me relancer. Donc la voix est peut-être, je ne sais pas, ce n'est pas le trac, parce que depuis 20 ans, je n'ai plus le trac. Mais elle est comme ça. Et je lis un texte que j'ai écrit, donc elle est comme ça. Alors c'est vrai que parfois, elle s'arrête un peu en haut, mais ça, ce n'est pas volontaire. Elle ne peut pas être autrement. »

Donner envie d'avoir envie

Ses introductions passionnantes donnaient immanquablement envie de regarder le film présenté. Ce talent, son confrère Eddy Mitchell y faisait parfois appel en invitant Patrick Brion dans sa propre émission consacrée au cinéma, « La dernière séance ». Nous sommes le 15 mars 1983 et Patrick Brion, visage découvert, présente le film Life boat d'Alfred Hitchcock. Il en résume l'intrigue se déroulant pendant la Seconde Guerre mondiale et sa réception à sa sortie.

Autodidacte compulsif

Sa connaissance encyclopédique du cinéma permit à Patrick Brion d'écrire une cinquantaine de livres sur le cinéma. Ses ouvrages, à l'image de son éclectisme en matière de 7ème art, couvrent une variété de genres et de personnalités du cinéma, incluant des encyclopédies, des biographies et des études. Parmi ses œuvres les plus notables, on trouve des encyclopédies sur le western, le film noir, et la comédie musicale, ainsi que des biographies de figures emblématiques comme Alfred Hitchcock, Greta Garbo, ou Tex Avery.

Ce savoir qui fera de lui un historien du cinéma, Patrick Brion l'accumulait depuis ses 14 ans. Nous avons dans nos archives une interview incroyable réalisée chez lui alors qu'il était âgé de 24 ans. En janvier 1966, « Démons et merveilles du cinéma » avait rencontré le jeune homme qui était présenté comme un collectionneur d'affiches de cinéma.

À l'époque, déjà cinéphile boulimique, il voyait déjà une vingtaine de films par semaine et collectionnait tout ce qui concernait les films sortis en salle : photos, affiches, revues... Il présentait surtout son incroyable fichier en bois contenant des milliers de fiches manuscrites dans lesquelles il consignait toutes les informations possibles sur les longs métrages.

Pour se justifier, le passionné de cinéma expliquait que faute de pouvoir revoir les films (les K7 vidéos n'existaient pas encore), il était obligé de consigner un maximum d'informations pour pouvoir s'en souvenir. C'est cette mine d'informations que Patrick Brion mit à profit 10 ans plus tard en lançant sur FR3 sa cinémathèque idéale dans l'émission « Cinéma de minuit ».

Le fichier d'une vie

À travers son émission, Patrick Brion a réussi à diffuser près de 200 films par an, continuant à fréquenter assidûment les salles obscures. Dans « Faut pas rêver », en 1995, il évoquait ses fameuses fiches cartonnées qu'il continuait à rédiger. Dans cette interview, il confiait voir 1000 films par an. Pendant la projection, il prenait encore des notes sur des fiches cartonnées. Il en possédait alors 140 000, chez lui.

Comme il revoyait régulièrement certains films qu'il affectionnait, comme Scaramouche, il continuait à enrichir et à rajouter des notes sur certaines de ses fiches. Seule concession à la modernité, il utilisait à présent une photocopieuse, mais n'était toujours pas passé à l'ordinateur.

« J'ai toujours un stylo et une fiche... je note plusieurs fiches, des dialogues, ce dont je veux me souvenir... »

L’émission a su s’adapter à l'évolution du cinéma tout en restant fidèle à l'objectif de son producteur de promouvoir le cinéma classique et ambitieux. Malgré le départ de Patrick Brion, « Le cinéma de minuit » devrait rester à l'antenne en 2025, cependant le nom de son successeur n'est pas encore connu.

Après avoir présenté sa dernière émission le 20 décembre 2024, le passionné de cinéma n’a pas encore annoncé ses projets pour l’avenir. À 83 ans, il se retire de la télévision après une carrière impressionnante, mais il est probable qu’il continuera à partager sa passion du cinéma d’une manière ou d’une autre, peut-être à travers l’écriture ou peut-être en profitera-t-il pour numériser ses fameuses fiches cartonnées... qui sait ?

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