L'ACTU.
Le film La syndicaliste est sorti au cinéma mercredi 1er mars. Il raconte l'histoire vraie de Maureen Kearney, campée par Isabelle Huppert, qui a été agressée à son domicile en 2012, violée avec un manche de couteau et scarifiée. Importante syndicaliste chez Areva et lanceuse d'alerte sur des transferts de technologie entre la France et la Chine, elle a néanmoins été accusée de mensonge concernant cette agression et condamnée en première instance pour « dénonciation de crime ou délit imaginaire ». Elle a été acquittée en appel en 2018.
Suite à la sortie du long métrage, la députée LFI Clémentine Autain a annoncé demander la mise en place d'une commission d'enquête. Elle évoque un « scandale d'État ».
LES ARCHIVES.
« Mettre du rouge sur ses lèvres, se préparer pour la journée. Longtemps, Maureen Kearney a cru qu'elle n'y arriverait plus jamais. » En 2019, le magazine d'investigation « Complément d'enquête » revenait sur l'agression de cette représentante CFDT chez Areva. Dans l'extrait en tête d'article, Maureen Kearney était filmée dans ses occupations matinales. Ces mêmes gestes qui avaient été brutalement interrompus lorsque, le 17 décembre 2012, elle avait été agressée à son domicile.
« J'étais penchée sur le lavabo », racontait-elle, quand un homme en cagoule lui « tombe dessus ». Elle décrivait la scène : « J'ai senti un truc dans le dos, j'étais persuadée que c'était un revolver. Après, il m'a trainée dans le salon et il m'a attachée à une chaise. Je me rappelle que j'ai senti le couteau sur mon ventre et là, je ne sais pas, j'étais plus là, j'ai disparu de ma tête. »
Quelques dizaines de minutes plus tard, en fin de matinée, la femme de ménage découvrit Maureen Kearney, au milieu du salon. « J'étais évanouie quand elle est arrivée. Elle est entrée et a appelé mon nom. Je ne bougeais pas. J'avais toujours la cagoule sur la tête et les deux jambes attachées, les mains derrières le dos et du scotch sur la bouche. Elle pensait que j'étais morte. » Le commentaire concluait : « Sur le ventre de Maureen, un A tracé avec une lame et enfoncé dans son vagin, le manche d'un couteau de cuisine. Une scène de torture et de viol. »
Condamnée pour fausse dénonciation en 2018 puis relaxée
À l'époque, Maureen Kearney était professeure d'anglais, employée chez Areva, le géant du nucléaire. Elle y était, racontait le deuxième extrait de « Complément d'enquête » ci-dessous, « une déléguée syndicale importante, au carnet d'adresse très fourni. » Elle était particulièrement entendue dans les rangs socialistes, le nucléaire étant un « sujet sensible ».
Maureen Kearney, de victime à accusée
2019 - 02:35 - vidéo
Résultat, elle « en est persuadée, c'est son travail de syndicaliste qui a fait d'elle une cible ». « Qui pourrait lui en vouloir ? », interrogeait le commentaire. Après l'agression, elle fut mise sous protection et une enquête fut lancée. Mais, celle-ci finit par se retourner contre elle, expliquait-on : « Problème : ils ne trouvent ni témoins ni trace ADN et le scotch, le couteau et le bonnet proviennent tous de chez elle. Au bout de 5 semaines, les enquêteurs ne croient plus sa version. De victime, Maureen devient suspecte. »
Elle fut alors accusée de « dénonciation de crime imaginaire ayant entraîné de vaines poursuites. » À la gendarmerie, les gendarmes affirmèrent, expliquait le mari de Maureen Kearney, qu'elle s'était attachée elle-même. Improbable selon lui : « Maureen a une douleur à l'épaule depuis des semaines, pas une seconde au niveau physique, je vois Maureen faire ça. »
Dans l'extrait de l'émission « Affaires sensibles » ci-dessous, elle témoignait de cette période, où, épuisée, elle avait fini par reconnaître les faits qu'elle n'avait pas commis. « On me laisse toute seule dans le bureau, quelqu'un entre et me dit : "si vous ne dites pas que c'est vous, le rouleau compresseur de la justice et Areva feront en sorte que ni vous ni votre famille ne vous en remettiez". J'ai tout de suite pensé à ma fille, j'ai pensé à ma petite fille, j'ai pensé à ce que j’ai vécu et qu'ils puissent aussi être une cible comme j’ai pu l'être. (...) j'aurais fait n'importe quoi pour les protéger. »
Maureen Kearney, la syndicaliste
2020 - 05:17 - audio
L'enquête pour viol fut classée sans suite. Maureen Kearney fut condamnée en première instance en 2017 pour « dénonciation de crime ou délit imaginaire ». En appel en 2018, elle fut relaxée. Son avocat, Hervé Temime, témoignait dans l'extrait suivant de « Complément d'enquête » d'une enquête médiocre : « L'étude montrait que le dossier était plein de vide, était plein de zones d'incompréhension, de doutes. Contrairement à ce qui avait été annoncé, on ne pouvait pas dire avec certitude qu'il n'y avait pas d'ADN. Les recherches n’avaient pas été complètes, il y avait des erreurs manifestes. »
Maureen Kearney se défend
2019 - 02:28 - vidéo
« J'avais un devoir à faire, alerter. »
Pourquoi aurait-elle été agressée alors ? Au moment de son agression, elle travaillait sur un « dossier sensible, celui dit des contrats chinois. » La représentante de la CFDT et ses collègues « soupçonnent alors leur employeur, Areva, d'être en train de vendre une partie de sa technologie, de son précieux savoir-faire à leur concurrent chinois », expliquait « Complément d'enquête ». « La direction d’Areva assure que c'est faux. »
Sauf qu'un jour, elle reçut anonymement une photo montrant les dirigeants français et chinois en pleine signature. « J'ai compris que l'accord avait été signé, en off, loin de tout le monde, sans aucun politique. » Sur la photo les PDG d'EDF, d'Areva et de CGNPC, l'entreprise d'État chinoise », racontait Maureen Kearney.
Elle décida, avec ses collègues, d'interroger ou de prévenir les décideurs. « On a envoyé, je ne sais pas, 600 ou 800 courriers, aux députés, aux sénateurs, aux ministres, au président, etc. (...) Personne n'avait l'air au courant de quoi que ce soit. » Elle concluait : « J'avais un devoir à faire, alerter. »
Avec les conséquences que l'on sait désormais. Plus de 10 ans après les faits, dans diverses interviews, Maureen Kearney dit aujourd'hui aller mieux. Dans l'extrait d'un épisode d'« Affaires sensibles » précédent, elle disait à Fabrice Drouelle avoir eu beaucoup de soutien de ses proches et de ses camarades la CFDT, « toujours présents aujourd'hui ». Le procès en appel venait alors d'avoir lieu et elle disait, pour la première fois, avoir « senti du respect dans l’appareil judiciaire. »