L'ACTU.
Depuis les élections législatives anticipées du 7 juillet, l'Assemblée nationale est divisée en trois blocs de taille similaire. Arrivé en tête, le Nouveau Front populaire espère proposer un gouvernement à Emmanuel Macron. L'enjeu est de taille, car il faut à la fois que les ministres nommés puissent engager les réformes souhaitées tout en recevant l'aval d'une majorité de députés dans une Assemblée nationale désormais tripartite.
De son côté, le chef de l'État voudrait construire une coalition large pour gouverner, estimant que « personne ne l'a emporté » aux élections législatives. Par ailleurs, le président LR du Sénat, Gérard Larcher, a rappelé que son parti n'avait pas « l'intention d’entrer dans un gouvernement pour le moment, ni de faire partie d’une coalition décidée arbitrairement d’en haut ». Et de préférer des échanges texte par texte entre l’exécutif et le législatif.
Si dans la Ve République, la situation est inédite, certains épisodes parlementaires peuvent donner une idée de ce à quoi s'attendre. Retour en 1988, avec le gouvernement d'ouverture de Michel Rocard qui dura trois ans, du 28 juin 1988 au 15 mai 1991.
LES ARCHIVES.
« Je rêve d'un pays où l'on se parle à nouveau, je rêve de villes où les tensions sont moindres, je rêve d'une politique où l'on fait attention à ce qui est dit plutôt qu'à qui le dit. » Nous étions le 29 juin 1988, Michel Rocard venait d'être reconduit au poste de Premier ministre par François Mitterrand. Devant une Assemblée nationale récemment élue, le chef de gouvernement présentait son discours de politique générale. L'archive du «Soir 3» en tête d'article en rapportait un extrait.
Sauf que face à Michel Rocard et pour la première fois de la Ve République, son groupe politique ne disposait pas de la majorité absolue des sièges. Avec ce premier discours, le Premier ministre espérait donc enjoindre au dialogue.
L'absence de majorité absolue
Quelques semaines plus tôt, le 8 mai 1988, après deux années de cohabitation entre Jacques Chirac (RPR) et François Mitterrand (PS), ce dernier avait été réélu président. Parmi ses promesses de campagne : l'ouverture. Dans sa Lettre à tous les Français du 7 avril, il avait affirmé sa capacité à gouverner malgré une Assemblée nationale aux couleurs RPR et UDF :
« Certains, je ne sais pourquoi, présentent les lendemains de cette élection sous de sombres couleurs. (...) Bref, il n'y aurait pas de majorité pour soutenir l'action du gouvernement que j'aurais mis en place. Face à une circonstance beaucoup plus difficile, en mars 1986, j'ai entendu la même excommunication énoncée par d'autres bouches. Je m'en suis arrangé. De même qu'il s'est trouvé, à l'époque, des hommes politiques prêts à assumer la responsabilité des affaires du pays, de même les républicains ne manqueront pas, au mois de mai prochain, pour contribuer au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. »
Si son Premier ministre était empêché d'agir, ajoutait François Mitterrand, il dissoudrait l'Assemblée. À l'époque, les présidents de la République effectuaient encore des septennats tandis que les députés étaient élus pour cinq ans. L'Assemblée n'était donc pas renouvelée automatiquement quelques semaines après l'élection du président. Si la couleur politique du président et de l'Assemblée était différente, il était de tradition que le chef d'État procède à une dissolution après son élection.
Un gouvernement de « fermeture »
Le premier gouvernement nommé après l'élection présidentielle en mai 1988, avec à sa tête Michel Rocard, semblait largement décevoir la classe politique. Dans l'archive ci-dessous, François Léotard (UDF) dénonçait un « gouvernement de la grande fermeture », par opposition à l’ouverture promise. Jacques Toubon (RPR) y voyait une occasion manquée pour François Mitterrand de se mettre « à la hauteur de sa victoire » à la présidentielle. Chez les communistes, on dénonçait une ouverture à droite.
Plateau : Jean François Poncet
1988 - 07:38 - vidéo
Le Premier ministre Michel Rocard déclarait, dans l'archive du 16 mai 1988, disponible ci-dessous, avoir espéré pouvoir former une « majorité républicaine » composée des socialistes et de « tous ceux qui se reconnaissent dans les valeurs républicaines ».
Un appel resté vain, qui laissait ainsi présager une nouvelle dissolution de l'Assemblée. Car, disait Michel Rocard, un gouvernement sans majorité à l'Assemblée, n'était « ni conforme aux intérêts de la France, à sa réputation internationale et surtout pas à l'esprit de la République ».
Un paysage politique inédit
François Mitterrand dissolvait l'Assemblée nationale le lendemain et des élections législatives se déroulèrent les 5 et 12 juin 1988. Avec 275 élus socialistes, le président socialiste n'obtint toujours pas la majorité absolue, puisqu'il lui manquait une quinzaine de sièges. Une première, que rapportait l'archive ci-dessous : « En ce lundi 13 juin 1988, nous nous réveillons, vous vous réveillez dans un paysage politique nouveau : il n'y a pas de majorité à l'Assemblée nationale ! »
Plateau Michel Rocard
1988 - 09:05 - vidéo
Invité en plateau, l'historien René Rémond analysait la situation. Une archive à regarder ci-dessous.
René Remond : les résultats des élections législatives et le nouveau paysage politique
1988 - 03:30 - vidéo
« Qu'est-ce qui est possible ? Gouverner avec un gouvernement minoritaire ? C'est probablement la solution d'attente, la plus vraisemblable. » Et d'estimer : « Les deux blocs, qui font jeu à peu près égal et qui sont l'un et l'autre, minoritaires, ne sont pas tout à fait homogènes. (....) C'est surtout du côté de l'URC (Union du rassemblement et du centre) qu'il peut y avoir des changements, car c'est un bloc qui va de positions très proches du Front national (...) jusqu'à des gens tout à fait disposés à collaborer empiriquement avec les socialistes. »
Ainsi, selon René Rméond, le prochain gouvernement serait « obligé d'émousser probablement les coins de beaucoup de ses projets ». Et de gérer le pays en ralliant sur chaque projet de loi des « majorités d'idées » plutôt que des « majorités de personnes ».
Le 14 juin 1988, le président se montrait pour autant confiant et affirmait : « Même relative, la majorité parlementaire existe ».
Fin juin 1988, l'ancien président Valéry Giscard d'Estaing proposait son analyse de la situation politique. Les Français avaient, selon lui, choisi le plus rassembleur des deux candidats à la présidentielle.
Valéry Giscard D'Estaing à propos de l'ouverture
1988 - 07:22 - vidéo
« Ils ont en fait voté pour l'ouverture, ils n'ont pas voté pour le socialisme, mais pour celui qui peut être leur donnerait une chance d'ouverture. »
Pour forcer cette ouverture, l'ancien président de la République concluait que les Français avaient choisi de ne pas donner tous les pouvoirs à François Mitterrand en lui refusant une majorité absolue à l'Assemblée.
Un gouvernement « original »
« C'est un gouvernement plutôt original qui s'est réuni ce matin à l'Élysée pendant près d'une heure et demie. » Au terme des élections législatives, Michel Rocard était reconduit par François Mitterrand. Il nommait alors un nouveau gouvernement avec la nécessité, pour ne pas se faire renverser, de plaire aux députés.
Le 29 juin, autant de socialistes que de personnalités venues d'autres horizons se réunissaient pour leur premier Conseil des ministres. « Une sorte de cocktail vraiment inédit décrivait l'archive ci-dessous, à la fois dense et contrasté entre des socialistes purs voire durs, mais ils ne sont que 26 sur 49, et un plateau aussi surprenant que brillant de personnalités représentatives d'une double ouverture ».
Conseil des ministres
1988 - 01:42 - vidéo
En effet, 13 ministres sont sans parti politique, issus de la société civile comme Léon Schwartzenberg et Alain Decaux, et six proviennent de la droite-centriste, comme Jean-Pierre Soisson et Jean-Marie Rausch. Un reflet de l'ouverture et de la « France unie », promesses de campagne de François Mitterrand ? La garantie pour Michel Rocard de pouvoir travailler en confiance avec l'Assemblée ?
Trois ans de négociations
Malgré ce gouvernement d'ouverture et d’âpres négociations, portées notamment par Guy Carcassonne, agrégé de Droit public et membre du cabinet du Premier ministre, Michel Rocard passa ses trois années à Matignon avec une majorité fluctuante à l'Assemblée. Constamment forcé de faire des concessions à droite ou à gauche pour faire adopter ses textes, le chef de gouvernement utilisera un nombre record de fois l'article 49.3.
Ainsi, pour la seule session parlementaire de 1988 expliquait l'archive ci-dessous, seul, parmi les textes importants, le Revenu minimum d'insertion (RMI) sera voté à la quasi-unanimité. « Pour le reste, comme l'impôt de solidarité sur la fortune, les différents budgets, leur approbation s'est faite au gré des abstentions des centristes, véritables vedettes de cette session ou des communistes. »
Bilan de la session parlementaire
1988 - 02:16 - vidéo
Président du groupe Union du centre, Pierre Méhaignerie se félicitait alors : « le parti socialiste est minoritaire, nous avons la capacité d'agir sur les choix gouvernementaux. Alors utilisons-la, cette possibilité. »
Malgré ses difficultés à obtenir une majorité et son fréquent recours au 49.3, le gouvernement Rocard ne fut pas renversé par les différentes motions de censure déposées par les députés. À la demande du chef de l'État, Michel Rocard quitta ses fonctions en mai 1991.