L'ACTU.
Mercredi 3 mai 2023, Éric Dupond-Moretti a présenté le nouveau projet de loi « anti-casseurs » destiné a remplacer celui que le gouvernement avait présenté en janvier 2023 et qui avait été retoqué. Sur RTL, le garde des Sceaux a réussi à obtenir 7,5 milliards d'euros pour la mise en place de ses réformes. Parmi les 60 mesures, une « familiarisation des citoyens » au droit et à la justice dès le collège, une « simplification et une accélération des procédures », tout comme un « un renforcement de la justice des mineurs » ou encore un « accompagnement des agents dans leur service ». Le ministre a également annoncé l'embauche massive d'agents pénitentiaires et l'inauguration d'une dizaine de nouvelles prisons. Concernant les violences exercées à l'occasion des manifestations, Éric Dupond-Moretti a déclaré qu'il fallait « une vraie fermeté, ajoutant qu'il y a les manifestants qui manifestent, c'est une liberté que la Constitution leur reconnaît et puis il y a les casseurs et ceux-là, il ne faut pas leur faire de cadeaux ». Son souhait : que la justice sanctionne plus fermement lorsqu'on s'en prend aux forces de l'ordre.
En mars 2023, après les violences contre la réforme des retraites, le précédent projet de loi « anti-casseurs » avait connu un point d'ogue quand Olivier Véran, le porte-parole du gouvernement, avait déclaré que le gouvernement était « le rempart à la violence illégitime et dangereuse ». Il faisait alors référence en creux à la notion de « violence légitime », une référence sociologique du début du XXe siècle.
Depuis plusieurs années, la légitimité de la violence d’État revient dans l'argumentaire des hommes politiques, notamment comme justification des « violences policières ». Ce débat entre « violence légitime » et la violence qualifiée d'« illégitime » était abordée de manière implicite en avril 1970, lors de l'étude du projet de loi « anti-casseurs » à l'Assemblée nationale. Avec cette loi, le gouvernement s'attaquait à ce qu'il considérait comme de la violence illégitime, celle des révoltes de rues capables selon lui de mettre à mal la République.
LES ARCHIVES.
Deux ans après les événements de 1968. L’État, après avoir accordé un certain nombre d’avancées sociales aux travailleurs, avec les accords de Grenelle, estimait qu’il était temps de rétablir l’ordre, ou en tout cas, de se munir d’outils juridiques capables d'étouffer toute velléité de révolte et d'empêcher toutes nouvelles manifestations violentes. C’est dans cette optique que le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas présentait devant les députés le texte de loi « anti-casseurs ». L’archive en tête d’article se déroule précisément le 30 avril 1970, alors que le texte est débattu dans l'hémicycle.
En ouverture, le Premier ministre précisait que l'utilité de ce texte s'était imposée comme à tout « gouvernement démocratique » exerçant le pouvoir. Il avait justifié ce texte en ces termes : « il s'agit bien de la défense des libertés, collectives et individuelles, de la défense des personnes et des biens contre les tenants de la violence et les ennemis de la République ». Le Premier ministre évoquait la notion de violence, l'illégitime, celle des révoltes intolérables.
Un texte liberticide ?
Cette loi jugée trop restrictive des libertés par la gauche pénalisait toute participation aux manifestations violentes en intégrant la notion de « casseur/payeur ». À la tribune, François Mitterrand, alors député FGDS (Fédération de la gauche démocrate et socialiste), opposé au projet de loi, dénonçait un texte liberticide, et expliquait pourquoi son groupe voterait contre, reprenant de manière subtile la notion de violence illégitime ou légitimée, aujourd’hui si souvent citée par les dirigeants politiques. C'est cette archive que nous vous invitons à regarder en tête d'article.
Le leader de gauche interrogeait sur le rapport entre l'usage de la violence et l'absence, ou non, de respect du droit, pointant du doigt la responsabilité de l’État : « Nous sommes contre la violence et nous sommes pour le droit. Et il nous semble qu'en voulant atteindre la violence, vous avez manqué au droit. Certes, il faut que ceux qui sont violents payent leur violence et soient réprimés, mais il ne faut pas que les innocents soient frappés. Et c'est parce que l'amalgame a été fait entre le coupable et la victime que nous refusons votre loi ».
La veille de cette intervention, le 29 avril, François Mitterrand s'était déjà adressé aux Français dans le journal de 20 heures, une archive à regarder ci-dessous. Il dénonçait la mauvaise foi du gouvernement, qui sous prétexte de défendre la démocratie contre « les commandos, les agitateurs, la violence », aller la museler. Il déclarait gravement : « s’il s’agissait de cela, on pourrait en discuter, encore faudrait-il maintenir les garanties du droit… ». Le leader socialiste accusait le gouvernement d'avoir « saisi l’occasion », « profité des circonstances », pour interdire « le droit de manifester, le droit de se réunir ».
Avec cette loi, déclarait-il, toutes les organisations ou mouvements tombaient sous le coup de la loi. Il soulignait qu'il s'agissait d'une première dans l'histoire du pays et que même à des « époques extrêmement rudes » (1830, 1934, 1936), « on n’était jamais allé aussi loin ». À ses yeux, l’État n'avait ni fait son devoir, ni pris sa responsabilité et demandait à présent « aux députés de la prendre à sa place ». Il concluait : « c’est une mauvaise loi ! »
François MITTERRAND à propos du projet de loi "anti-casseurs"
1970 - 01:38 - vidéo
Dès son arrivée au pouvoir en 1981, François Mitterrand a fait abroger cette loi, remplacée en 1982 par une nouvelle loi au titre explicite : « Sécurité et liberté », cette dernière notion jugée absente de la loi de 1970.