Les banderoles en manifestation, décryptage d'une action politique, collective et esthétisante

L'ACTU.

Le mouvement social contre la réforme des retraites a été l'occasion d'un renouveau des productions militantes : pancartes, slogans, danses ou encore banderoles. Ces dernières connaissent un nouveau souffle, notamment via les productions de l'ultra gauche selon Zvonimir Novak, journaliste et professeur des arts graphiques. Il est l'auteur de La rue militante. 30 ans d’affiches de combat (2022), un ouvrage dédié à l'iconographie politique. Il revient sur l'usage de la banderole en manifestation.

L'INTERVIEW.

Quelle est la fonction de la banderole en manifestation ?

C’est une façon d’organiser ses troupes. Ça, c'est très syndical. Les banderoles servent à délimiter les espaces, ses troupes, c’est un peu comme des régiments. La spécificité de la banderole, c'est sa dimension, l’aspect compact des gens derrière. Sur les images de manifestation, on voit souvent toutes les personnes avec leur drapeau derrière agglutinées.

Aujourd'hui, au niveau de leur composition graphique, c’est le plus souvent des slogans. Récemment, des méthodes issues du graffiti ont été intégrées mais il y a toujours ce côté self made. Dans le cas de certains collectifs, il y a des jeux autour de la confection, des participations de plusieurs personnes. Cela crée une forme de rituel militant dans la confection.

Je pense par exemple aux mobilisations lycéennes. Dans les années 1970, lors des mouvements contre la loi Debré, il y avait des ateliers banderoles. C’était une manière de dynamiser et de créer la mobilisation, de faire participer à quelque chose de collectif et autour de discussions. La banderole, ce n’est pas qu’en manifestation, c’est aussi la préparation.

Dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites, de grandes banderoles ont pu être aperçues, notamment au niveau des têtes de cortège. Est-ce que ça a toujours été le cas ?

Ce qui est très curieux, c’est que la banderole avait quasiment disparu des manifestations. Les partis politiques ne l'utilisent aujourd’hui que très peu, alors que dans les années 1970 et 1980, il était courant de déployer de gigantesques banderoles. Je me souviens de portraits géants de Lénine ou de Staline, dont le déploiement était généralement assorti à un aspect de cérémonie très martiale, qui en imposait. Ce type de production militante était issu des traditions communistes des années 1930, époque à laquelle il existait également de grandes parades.

Dans les années 1970 et 1980, ces portraits étaient parfois tellement géants qu'ils étaient maintenus avec des cordes et tirés par quatre ou cinq personnes. C’était des éléments vraiment géants ! Ça n'existe plus aujourd’hui ! Ça m'avait vraiment impressionné quand j’étais étudiant. Et puis, ces banderoles ont disparu, on ne sortait plus Mao, on sortait plus de Trotski, on ne sortait plus Lénine ni Staline.

C’était pourtant une tradition ancienne dans les manifestations. Les images d'archive de la Commune de Paris de 1871 en témoignent. Dans les défilés, on pouvait voir de gigantesques productions. Et puis, progressivement, ces éléments ont disparu.

La banderole en 1968, elle existait déjà de moins en moins. Sur les photos de l’époque, il y avait ces étudiants derrière une immense banderole avec des mentions de l’UNEF. Mais en dehors de cela, il n'y avait pas de banderoles vraiment travaillées.

Les banderoles ont-elles connu une évolution particulière d'un point de vue graphique ?

À gauche dans les années 1980 et 1990, l’iconographie était assez classique parce qu’ils reprenaient les schémas du marxisme-léninisme. Il n’y avait pas une grande créativité, on restait sur les schémas habituels de l'imagerie du monde ouvrier.

Mais, il y a toujours eu dans les mouvements libertaires, cette créativité, ce goût pour l'esthétique. Cela peut aussi s'expliquer par la présence de beaucoup d'artistes dans les milieux anarchisant et libertaires.

Du côté du mouvement écologiste pacifiste des années 1970, à ses débuts, on pouvait retrouver cette créativité. Je me souviens des immenses banderoles sur le plateau du Larzac lors de son occupation. J’ai en tête des banderoles plantées dans la terre, c’était du fait main, artisanal. Mais ce n’était pas la même culture jeune que développent les mouvances d’ultra gauche aujourd'hui.

Vous parlez de l'ultra gauche, comment la banderole a-t-elle fait son retour dans les manifestations récentes ?

La banderole est réapparue à partir de la fin des années 2000 dans deux contextes opposés. Le premier et le plus important est, effectivement, l'émergence de l’ultra gauche. Celle-ci est composée de groupes autonomes, ce ne sont pas des organisations structurées, et elle a été extrêmement agissante, cette année, pendant toute la vague contre la réforme des retraites.

L’ultra gauche a une production qui est vraiment une forme d’esthétique, qui appelle à l’émeute. Ça, c'est assez frappant pour moi, car au contraire, dans les organisations politiques standards, on retrouve des propositions plus redondantes.

On peut observer que les banderoles sont par exemple utilisées par les antifascistes dans des marches au flambeau. Cela a été le cas à Nantes, Paris, Bordeaux ou encore Marseille. Il y a aussi les membres du black bloc qui, souvent, se mettent derrière les banderoles dans un mouvement martial, presque guerrier. Ce mouvement émerge depuis déjà quelques années. C’est un courant qui existait déjà à la marge à la fin des années 1980 et qui vient des mouvements autonomes d’Allemagne.

Ces groupes produisent beaucoup d’images, dans lesquelles il y a toujours une forme de provocation et d’humour, voire de sarcasme. Ces mouvements ont vraiment une production décalée. Cela peut être, par exemple, des propositions absurdes comme « La retraite à 18 ans », que j’ai pu voir dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites.

Par ailleurs, aujourd'hui, l’ultra gauche est spécialisée dans une recherche esthétisante de la révolte. En particulier, depuis quelques années, il y a une utilisation du graphe. Ce type de graphisme devient même classique aujourd'hui. Ce ne sont pas des lettres qui sont bien préparées ou faites par des agences ou imprimeries, ce sont parfois des peintures. L'utilisation du graffiti, c'est aussi l’intention de casser les codes. Maintenant, il y a même des artistes qui confectionnent les banderoles comme le collectif Black Lines.

Quel objectif y a-t-il, pour l’extrême gauche, et notamment les membres du black bloc, à mobiliser cette esthétique dont vous parlez ?

Ça accroche les nouvelles générations, avec ce côté décalé. C’est sûrement aussi pour ça que les banderoles sont confectionnées par des artistes urbains, des graffeurs. C’est un peu plus dans l’air du temps. Ils aiment beaucoup se faire photographier. C’est quelque chose qu'on observait déjà en Allemagne. Selon moi, l’ultra gauche se sert des manifestations pour attirer.

Il n'y a que l'extrême gauche qui mobilise par la banderole ?

Un point intéressant, c'est que le renouveau de la banderole vient aussi avec le football. Dans les tribunes des stades, pour certains matches, on observe d'immenses banderoles avec des messages. Le football est un phénomène de masse, il y a l’envie de créer une fête collective. Je pense que les mouvements d'ultra gauche s'inspirent beaucoup de la culture du football et des supporters. Ils vont piocher là où il y a de la masse, de la foule.

Sur la banderole, il y a un autre phénomène. Depuis quelques années, les identitaires d’extrême droite l'ont réemployée. Et ça, c'est paradoxal. Ils les accrochent sur les bâtiments, sur les mosquées. Il y a une notion de spectaculaire et de réactionnaire. Génération identitaire, qui a été dissous, utilisait pas mal la banderole pour se montrer. Comme sur le chantier de la mosquée à Poitiers en 2012. Peut-être parce qu’ils avaient un peu peur d'entrer en conflit en utilisant de façon classique les banderoles, alors, à la place, ils l'utilisent dans le cadre d’actions spectaculaires, médiatiques.

Ce que vous dites, c'est que quelque part, la banderole, parce qu'elle est spectaculaire, n'impose pas forcément la mise en avant de militants et peut aussi être accrochée sur les lieux de manifestation ?

Pour les identitaires, c’est tout à fait ça. C’est faire un objectif médiatique, faire un spectacle pour attirer les caméras. Ils l’avaient fait par exemple pendant une manifestation contre les violences policières, sur un immeuble donnant sur la place de la République en juin 2020. Ils l’ont fait plusieurs fois, notamment pour exprimer une pensée contradictoire.

Mais accrocher des banderoles géantes se fait aussi chez les antifascistes puisque. Par exemple lors du 1er mai, il y en avait une immense, accrochée par la Jeune Garde et Attac, où était inscrit : « Contre le fascisme et la misère, la lutte sociale est nécessaire. L’extrême droite est l’ennemie des travailleuses et travailleurs ! » Autre exemple, dimanche 4 juin à Paris, une immense banderole a été déroulée sur la façade d'un immeuble à Paris en hommage au militant antifa Clément Méric, tué en 2013 lors d'une bagarre avec des militants d'extrême droite.

Est-ce que la banderole n’a pas une dimension plus fortement collective que les autres productions militantes, parce qu'elle est portée et assumée par plusieurs personnes ?

Oui. La pancarte, c'est individuel, ce n'est pas un fait collectif, on met sa rage sur la pancarte. Pendant le mouvement des Gilets Jaunes et où chacun mettait son idée derrière son gilet jaune, chacun développait individuellement sa petite créativité, comme ça. Alors que la banderole, soit elle est réalisée collectivement, soit elle est faite par une institution politique, une association, un mouvement, un collectif.