Les Français découvrent le concept de la « préférence nationale » par la voix du leader du FN au milieu des années 1980. Dans un monde en plein marasme après deux chocs pétroliers et l'envolée du chômage, Jean-Marie Le Pen propose d'appliquer une recette simple, celle d'exclure les étrangers des aides sociales et des logements publics, avec un double effet : des économies pour l’État et une réduction du déficit et surtout, le départ massif des migrants quittant une France moins attractive. Quant à ceux déjà présents dans l’Hexagone, sans emploi ni toit, ils quitteraient eux-aussi rapidement le pays. « Il va bien falloir reconduire chez eux un certain nombre de millions d’étrangers qui se trouvent chez nous », déclarait d'ailleurs Jean-Marie Le Pen dans « L'Heure de vérité » en 1985.
Dans l'archive en tête d'article de 1988, le co-fondateur du FN, en lice pour la présidentielle, décrit les grandes mesures qu'il prendrait s'il accédait à la fonction présidentielle. Au journaliste Paul Amar, il explique : « Je coupe la pompe à finances (…) j’établis le principe de préférence nationale », dans le travail, dans les services sociaux, dans l'attribution des HLM. Il conclut qu’avec ces mesures, « les gens n'auront plus de raisons de rester car ils ne seront plus entretenus par les contribuables français ».
L'homme derrière le concept
Mais cette idée, le leader frontiste n'en est pas l'inventeur. Cette notion est apparue quelques années plus tôt, dans un ouvrage intitulé La Préférence nationale : réponse à l’immigration publié chez Albin Michel en 1985, et écrit par Jean-Yves Le Gallou, inspecteur général de l’administration et cofondateur du Club de l’Horloge, un cercle de réflexion fondé en 1974 par de jeunes élèves de l’École nationale d’administration (ENA). L'auteur ne rejoindra le FN que quelques mois après la parution de son ouvrage.
Dans cet essai écrit en réaction à celui de Bernard Stasi intitulé L’Immigration, une chance pour la France (Robert Laffont, 1984), son ambition est de montrer qu’il y aurait des « solutions au problème de l’immigration » et qu’on pourrait « maîtriser ce phénomène avec humanité mais aussi fermeté », comme il le déclarait lui-même, ci-dessous, lors d'un débat-dîner du Front national à Marseille en décembre 1985.
Dîner débat du Front national à Marseille
1985 - 01:47 - vidéo
Dans une France affaiblie par la crise économique, son livre se place du point de vue des Français qui, à ses yeux, se sentent tel des « indigènes dans leur propre pays ». Il dresse un tableau sombre de la France, menacée selon lui par l’islam, l’invasion migratoire. Une immigration qu'il rend responsable de tous les maux, de l’insécurité à la banqueroute, voire d'une menace pour « l'identité nationale », la culture, l'histoire et le passé. Autant de craintes qu'il exprimait dans « Les Dossiers de l'écran » en 1987.
Gérard Fuchs et Jean-Yves Le Gallou sur l'immigration
1987 - 02:42 - vidéo
La seule solution pour sortir de ce marasme serait selon Jean-Yves Le Gallou était d’appliquer la « préférence nationale ». L'idée sera ensuite reprise à chaque nouvel enjeu électoral du FN. En 2002, Jean-Marie Le Pen se présente une nouvelle fois à la présidentielle. La « préférence nationale » est désormais une proposition-clé de son programme.
Dans l'archive ci-dessous, face à Gilles Leclerc et Olivier Mazerolle, il reprend l'idée et justifie le sentiment d'injustice ressenti par de nombreux Français. Il explique qu'ils « sont moins bien traités que les étrangers dans une série de domaines (...) comme par exemple dans le travail, l'embauche, le logement, les allocations familiales, pour les avantages sociaux ». Pour faire cesser l’immigration, le leader du FN ajoute que dès son élection « l’autorité de l’État » devra « faire voter des lois », et « rétablir les frontières, fermer les frontières, contrôler l'entrée des étrangers, refouler ceux qui ne sont pas autorisés à rentrer sur le territoire ».
Jean Marie Le Pen et la préférence nationale
2002 - 02:09 - vidéo
La « préférence » devient une « priorité »
Marine Le Pen remplace son père à la tête du parti, mais les concepts restent les mêmes et changent d'appellation. En 2013, dans « Des paroles et des actes », elle évoque la « priorité nationale ». Dans l'archive ci-dessous, elle décrit la manière dont elle envisage sa mise en place dans des domaines concrets comme la santé, avec la suppression de « l’aide médicale d’Etat » pour « couper court certaines filières », ou dans les aides au logement (APL) « réservées aux Français ». Face au développement de la pauvreté chez les Français, elle l'affirme : « il faut que charité bien ordonnée commence par soi-même ». Enfin, concernant les places en crèches, elle explique que « les Français devraient avoir un avantage » et qu’elle mettrait en place « une priorité d’accès. Les Français d’abord. »
Marine Le Pen décrit "la priorité" nationale
2013 - 03:15 - vidéo
La préférence devient économique
En 2017, Marine Le Pen fait une annonce choc. Elle souhaite inscrire la « préférence nationale » dans la Constitution en passant par un référendum. Autre nouveauté, cette mesure ne serait plus cantonnée aux prestations sociales mais également à l’emploi. La priorité aux Français serait alors donnée au niveau économique (taxation des contrats de travail pour tous les étrangers y compris de L'UE). A l'époque, Florian Philippot est vice-président du parti, il explique que le parti souhaite privilégier l’emploi français « y compris vis-à-vis des intra-communautaires pour que les employeurs aient un intérêt à embaucher des Français ».
Cette mesure fait bondir les employeurs qui la trouvent pénalisante. Dans ce pan économique, d'autres mesures visent à accorder en priorité les marchés publics aux entreprises françaises et à limiter l’accès des travailleurs étrangers à la Sécurité sociale, qui ne pourraient en bénéficier qu’après 2 ans de cotisations.
Marine Le Pen : une priorité nationale à l'emploi
2017 - 01:56 - vidéo
Dans le programme 2022 de Marine Le Pen, la « préférence nationale » reste présente. La candidate entend toujours l'inscrire dans la Constitution, qui dès lors qu’on vit en France, garantit jusqu'à présent une égalité des droits pour tous, qu’on soit Français ou étrangers. Cette légalisation balayerait l’héritage de la philosophie des Lumières, comme celui de la Révolution française, avec sa notion d'égalité inscrite dans l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Pour aller plus loin
Les dossiers de l'écran. Dialogue entre un Français d'origine algérienne et Jean-Yves Le Gallou : « la France est un pays d'accueil... mais ce que vous nous proposez là Monsieur Le Gallou, c'est un pays d'étriqués, peau de chagrin, repliés sur eux-mêmes ». (3 novembre 1987)
20 heures de France 2 : CQFD : Faut-il une préférence nationale ? Reportage consacré aux programmes politiques des deux candidats à la présidentielle 2017, et sur un point précis de leurs programmes qui les oppose tous les deux. (2 mai 2017)