L'ACTU.
Henry Kissinger, figure marquante de la diplomatie mondiale pendant la Guerre froide est mort le mercredi 29 novembre à l'âge de 100 ans. Heinz Alfred Kissinger de son vrai nom, était un Juif allemand né en 1923 en Bavière. Il avait fui l'Allemagne nazie pour les États-Unis, où il avait été naturalisé américain à l'âge de 20 ans. Fils d'instituteur, il avait intégré le contre-espionnage militaire et l'armée américaine avant de poursuivre de brillantes études à Harvard.
Le public le découvre en 1969, époque où le républicain Richard Nixon l'appelle à la Maison Blanche, d'abord comme conseiller à la Sécurité nationale, puis comme secrétaire d'État. Bien qu'il démissionne de ses fonctions après l'éviction du président lors du scandale du Watergate, Henry Kissinger reviendra sous son successeur Gerald Ford jusqu'en 1977. Il deviendra son éminence grise en matière de diplomatie.
Henry Kissinger a été le grand initiateur du rapprochement avec Moscou et Pékin dans les années 1970, mais a été critiqué pour son sens de la « realpolitik » et pour son implication dans des pages sombres de l'histoire des États-Unis, comme le soutien au coup d'État de Pinochet de 1973 au Chili ou l'invasion du Timor-Oriental en 1975. Et, bien sûr, la guerre du Vietnam. Pourtant, la signature du cessez-le-feu lui a valu le prix Nobel de la paix avec le dirigeant nord-vietnamien en 1973. Un Nobel tellement controversé qu'Henry Kissinger n'osa pas se rendre à Oslo pour le récupérer, de peur des manifestations.
La capacité de travail de Kissinger, sa vision des enjeux diplomatiques mondiaux fascinaient autant qu'elles agaçaient. Les journalistes français n'échappaient pas à cette dualité, au point de lui consacrer un long reportage en 1970, dans le magazine « Panorama ». Nous avons choisi trois extraits éclairants de la manière dont il travaillait au quotidien à la Maison blanche, de la façon dont ses collaborateurs le décrivaient et enfin, comment lui-même envisageait la meilleure manière de mener la diplomatie américaine.
LES ARCHIVES.
Le 7 mars 1970, les téléspectateurs français découvraient le quotidien de cet homme massif au visage carré reconnaissable à sa grosse monture de lunettes. Dans la première archive disponible en tête d'article, nous suivons Kissinger en route vers la Maison blanche, une mallette avec des documents « Top secrets » dans une main et son « sac à linge sale » dans l'autre ! Il est décrit par un commentaire off comme « une force de la nature ».
Ces images rarissimes dévoilent son quartier général, niché dans des recoins secrets de la Maison blanche où régnait une « activité fébrile », ou tout était « ultra-secret » et où tout ce qui se passait dans le monde était instantanément transmis par les dépêches qui tombaient sur les téléscripteurs, 24 heures sur 24. « Les crises succèdent aux crises, les rendez-vous se télescopent... » expliquait le commentaire. Ce matin-là, Henry Kissinger avait convoqué pour un petit déjeuner de travail six chercheurs « spécialistes des problèmes militaires russo-américains ». Il sollicitait toujours leur avis technique dès qu'il était question d'un nouvel armement. Mais lui, dans le contexte tendu de la Guerre froide entre les deux blocs, assurait être un partisan de la limitation des armes. Ce qu'il confirmait d'ailleurs, dans un français impeccable, quelques minutes plus tard : « Contrairement à ce que tout le monde pense, je ne consacre pas tout mon temps à la question du Vietnam, mais au problème de la limitation des armements stratégiques ». Il préparait alors des discussions qui devaient se tenir en avril 1970 sur la limitation des armements des deux grands.
Un bosseur exigeant
La seconde archive à regarder ci-dessous donne la parole aux collaborateurs du secrétaire d’État. Ils évoquent sa personnalité complexe, sa manière de travailler et son caractère de bosseur, « un mélange fascinant d’esprit de système allemand, de sensibilité française et d’énergie américaine » déclarera l'un d'eux. Ce portrait s'achève sur quelques mots du diplomate sur sa vision de la diplomatie : « Une affaire de patience, de précision et surtout de conception. Je n’aime pas la dramatisation. »
La personnalité d'Henry Kissinger
1970 - 02:49 - vidéo
Dans ce dernier extrait de « Panorama », Henry Kissinger évoque le rôle diplomatique des États-Unis au niveau mondial, qui devait, selon lui, « encourager les initiatives de chaque gouvernement dans le cadre de structures pacifiques où chacun [devait] pourvoir s’exprimer ». C’est vers cette diplomatie qu'il souhaitait orienter son administration.
Dans la suite de son interview, il décrit son amour de la France qu'il avait découverte en 1944. Il revient sur les relations atlantiques, qui devaient aussi se construire « avec le sens des responsabilités des Européens », dénonçant, de manière étonnante, l'interventionnisme américain. 25 ans après la fin de la guerre, déclarait-il, l’Europe devait jouer un rôle plus fort dans son développement.
Déni de la bureaucratie
Dans la conclusion de cet entretien, Henry Kissinger abordait ce qui avait, à son sens, provoqué la révolte de la jeunesse partout dans le monde. Connu pour son pragmatisme, il l'imputait au problème de l’époque : la bureaucratie paralysante et déshumanisante : « On concentre son énergie à faire marcher cette machine et on a plus le temps de réfléchir aux objectifs. Le grand défi de chaque état moderne est de laisser la place à la spontanéité et la créativité »
Sa conclusion était sans appel, l'agitation de la jeunesse à laquelle on venait d’assister était due à « la sensation de vide » que créait un monde trop bureaucratique qui n’avait pas d’objectifs élevés et n’offrait que de la routine. Rien de bien stimulant, en effet.
Henry Kissinger sur le rôle que doit jouer l'Europe et sur la bureaucratie
1970 - 03:35 - vidéo
De l'influence des États-Unis sur l'Europe
Le 23 juin 1980, Henry Kissinger était l'invité de Jean-Pierre Elkabbach et d'Alain Duhamel dans l'émission « Cartes sur table ». Pour conclure cet article, nous avons choisi un passage où l'ancien secrétaire d’État était placé face à ses contradictions sur la conduite de la politique américaine vis-à-vis de l'Europe. Jean-Pierre Elkabbach lui rappelait notamment que les États-Unis n'avaient jamais laissé beaucoup de marge de manœuvre à l’Europe, notamment quand lui-même était aux fonctions. Il lui demandait d'expliquer le sens d'une phrase qu'il avait prononcée en 1973, dans laquelle il avait dit que les USA jouaient« un rôle global » alors que l'Europe, devait jouer « un rôle régional ».
Henry Kissinger : USA, l'Europe et le traité Atlantique
1980 - 06:20 - vidéo
Sur le même sujet