Dans son allocution du 21 septembre 2022, Vladimir Poutine a assuré que l'utilisation de l'armement nucléaire dans le conflit ukrainien n'était « pas du bluff » : « Nous utiliserons certainement tous les moyens à notre disposition pour protéger la Russie et notre peuple», a-t-il indiquant, insistant : « Je dis bien tous les moyens ». En brandissant la menace du recours à l'arme nucléaire contre les pays occidentaux et l'Otan, qu’il accuse de vouloir « détruire » la Russie et d’avoir eux-mêmes recours au « chantage nucléaire », le maître du Kremlin remet en question la protection symbolique impliquée par la dissuasion nucléaire qui est censée protéger la planète d'un conflit atomique généralisé.
Cette notion de dissuasion était née au cours de la Guerre froide alors que les grandes puissances s'armaient dans le but d'éviter la guerre. Elle consistait alors à accumuler les armes de destruction massive, nucléaire de préférence, en espérant qu'aucun pays n'appuierait sur « le bouton » qui déclencherait une apocalypse atomique. Toute utilisation d’une arme nucléaire entraînant immanquablement une riposte proportionnelle. Le débat était clos, en tout cas le pensait-on alors. A la fin des années 1960, cette politique avait abouti à la prolifération d’un armement atomique dangereux. Pour stopper ce processus mortifère, les grandes puissances militaires s’étaient mises d’accord pour établir un traité international sur la non-prolifération des armes nucléaires. Signé en 1968 par de nombreux pays, dont les Etats-Unis, l'URSS et la Chine, il devait endiguer le risque de prolifération de l'arme nucléaire. Entré en vigueur en 1970, il ne concernait que l’armement nucléaire excluant d’autres technologies guerrières, telles que les bombes orbitales ou supersoniques.
De l'impossibilité de concevoir l'inconcevable
L’archive que nous vous présentons en tête d’article est extraite du magazine « Point contrepoint ». Diffusé le 9 décembre 1969, il était consacré à la dissuasion nucléaire. Dans ce volet intitulé « La paix par la peur », le magazine s'interrogeait sur le poids réel de cette dissuasion. Questionné sur cette notion, Gaston Bouthoul, un sociologue français spécialisé dans l'étude du phénomène de la guerre, allait remettre en question l'efficacité de ce bouclier théorique présenté comme imparable.
Après la diffusion d'une animation explicative, le sociologue revenait sur ce postulat de la peur de la riposte, selon lequel l’agresseur ne pourrait jamais « porter le premier coup, même dévastateur, sans être sûr d'en recevoir aussitôt un plus dévastateur encore ». Il s'agissait du principe de l'« équilibre de la terreur ». Mais le spécialiste précisait que cet « équilibre » théorique se heurtait à une incapacité humaine à appréhender les conséquences concrètes de ces « inventions de plus en plus épouvantables et effrayantes ». Il ironisait : « On a l'impression de vivre un mauvais roman de science-fiction lorsqu’on lit les compte-rendus sur les armes qui se préparent ».
La suite de l’extrait présentait les expériences menées sur un atoll du Pacifique où les USA élaboraient leurs armes de contre-offensive. Le commentaire décrivait l’engrenage destructeur qui découlerait de leur utilisation : « Mais quelle serait alors cette apocalypse atomique dans l'atmosphère de centaines du fusées explosant ensemble »? Un potentiel enchaînement mortifère avait de quoi inquiéter, mais pour Gaston Bouthoul, il n’était pas seulement question de conjectures.
Dans l'extrait ci-dessous, le sociologue livrait sa réflexion pessimiste de l'escalade plausible d'un conflit nucléaire généralisé. Selon lui, l’homme n’ayant jamais vécu de telle « situation horrible et inconnue », se heurterait à un verrou psychologique qui l’empêcherait le moment venu de l'envisager comme possible : « Nous ne savons pas ce qu'est une guerre atomique (…) la puissance grandissante de ces armes, la complication grandissante de leur emploi, et même de leur non-emploi (...) tout cela fait qu'on ne peut pas être optimiste », alertait-il.
Sa conclusion était encore plus sombre et sonnait comme un avertissement : « Je ne suis pas prophète mais je suis inquiet. J'ai peur ! Nous sommes à la merci d'une folie, d'une erreur ». Une erreur qui n’épargnerait personne.
Gaston Bouthoul pessimiste
1969 - 01:11 - vidéo