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1936 : le Front populaire, l'union de la gauche contre le fascisme et la misère sociale

1936 : le Front populaire, l'union de la gauche contre le fascisme et la misère sociale

Après la victoire du RN aux élections européennes et l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, les leaders de gauche ont décidé de constituer un Front populaire contre l'extrême droite. Il s'agit d'une référence au mouvement de 1936 qui avait permis à la gauche unie de gouverner le pays et d'instaurer certains des plus grands acquis sociaux du XXe siècle. Retour en archives sur cette période historique.

Par Florence Dartois - Publié le 10.06.2024
Ce que fut le front populaire - 1981 - 01:45 - vidéo
 

L'ACTU.

Le dimanche 9 juin 2024, en réponse à la victoire de Jordan Bardella (RN) aux européennes, le président de la République Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale et la tenue d'élections législatives anticipées. Cette annonce a poussé les leaders de gauche ex-Nupes (LFI, PS, EELV et le PCF) à créer une nouvelle alliance susceptible de faire barrage au RN. Dès le soir de l'élection, certains appelèrent à la constitution d'un « Front populaire » contre l'extrême droite. Ainsi François Ruffin déclarait sur TF1 : « L’union est possible avec tout le monde. (...) Est-ce qu’on veut gagner ensemble ou perdre séparés ? (...) L’histoire nous montre que la crise de 1929, elle a abouti au nazisme en Allemagne, mais elle a abouti au Front populaire en France. » Le même soir, sur les différents plateaux, Marie Toussaint (les Écologistes), Olivier Faure (PS) ou Raphaël Glucksmann (Place Publique) évoquaient, eux-aussi, cette stratégie de « front », LFI souhaitant plutôt se regrouper autour du programme commun validé par les partis pour la mise en place de la Nupes.

Dans la nuit du 10 au 11 juin, les différents responsables des partis de gauche, Marine Tondelier, (Écologistes Europe Écologie Les Verts), Olivier Faure, (Parti Socialiste), Fabien Roussel, (Parti Communiste français), Emmanuel Bompard, (LFI La France Insoumise), réunis au siège des écologistes, ont finalement validé le principe de candidatures uniques de gauche pour les législatives.

LES ARCHIVES.

L'utilisation de la référence au Front populaire se réfère à une période clé de l'histoire de France, époque où le pays traversait une crise économique, teintée d'instabilité politique et faisait face à la montée d'un fascisme déjà puissant en Europe. Face au danger fasciste, à la pression du capitalisme et à la précarité sociale, toutes les mouvances de la gauche française décidèrent de s'unir, avec un même credo : renforcer la démocratie, développer la solidarité et rendre sa dignité au peuple.

Le Front populaire permit, pendant l'année où il fut au pouvoir, de mettre en place quelques-unes des grandes réformes sociales et d'obtenir les grands acquis sociaux du XXe siècle, sans toutefois empêcher le fascisme de prendre racine.

L'archive disponible en tête d'article est un sujet diffusé dans le 20h d'Antenne 2, le 24 mars 1981, à l'occasion des 45 ans de l'événement. Il relate les dates à retenir de la victoire du Front populaire.

14 juillet 1935 : face à la menace que représente alors la montée des ligues fascistes et l’accession, en France de Pierre Laval (futur collaborationniste de Vichy) à la présidence du Conseil, cette journée préfigure le Front populaire. 500 000 personnes défilent dans les rues de Paris. Le succès de la « Journée du Front populaire » est tel qu'il encourage communistes, socialistes et radicaux à élaborer un programme commun à l'approche des élections.

Le 17 avril 1936, quelques jours avant le premier tour des élections législatives, Maurice Thorez lance, sur les ondes de Radio Paris, un appel vibrant à l’union des forces populaires. Dans l'extrait audio ci-dessous, le leader communiste de 36 ans évoque la nécessité de s'élever contre deux menaces communes : le fascisme et l’exploitation capitaliste menée par les 200 plus grandes familles jugées responsables de la crise.

« Le peuple de France répugne à l'esclavage et à la servitude, à la discipline du troupeau soumise à la dictature d'un seul qui parle au nom des maîtres capitalistes, car le fascisme, c'est en effet l'avilissement, l'anéantissement de l'individu. C'est l'impossibilité pour le savoir et le talent, de donner leur pleine mesure dans le plein épanouissement de la liberté assurée à chacun et à tous. C'est le refoulement de tout esprit d'initiative et de progrès. Le fascisme, c'est aussi à l'extérieur, une politique d'aventure et de provocation. Le fascisme, c'est la guerre. Nul honnête homme n'en peut douter. »

 

L'épreuve du pouvoir

L’événement politique est d'importance car de l'unité d'action déjà réalisée depuis 1934 contre les ligues fascistes, Maurice Thorez (parti communiste), Léon Blum (parti socialiste) et Édouard Daladier (parti radical) décident de passer au stade supérieur pour constituer la gauche unie. Après le premier tour des élections, le 26 avril 1936, les désistements réciproques des communistes et socialistes permettront le 5 mai 1936, la victoire électorale du Front populaire. Plus nombreux, les socialistes assumeront le gouvernement.

L'archive ci-dessous est une archive radio du 5 mai 1936. Il s'agit de l'allocution de Léon Blum, le nouveau président du Conseil (il a été nommé président du Conseil par le président de la République Albert Lebrun le 4 juin 1936). Il y rappelle les grandes lignes du programme du Front populaire : la semaine de quarante heures, les « contrats collectifs» et les congés payés. Il s'engage, au nom du nouveau gouvernement, à tenir tous ses engagements, soulignant que sa confiance réside dans celle du peuple. Il affirme que l'action du gouvernement, pour être efficace, nécessitera la sécurité publique. Pour ce faire, il appelle à la discipline de chacun « dans le respect de la loi » et d'expliquer que la panique et la confusion serviraient « les desseins obscurs des adversaires du Front populaire ». Blum conclut en demandant au patronat d'examiner les revendications « dans un large esprit d'équité ».

« La victoire des 26 avril et 3 mai 1936 est aujourd'hui consacrée. Un grand avenir s'ouvre devant la démocratie française, je l'abjure comme chef de gouvernement, de s'y engager avec cette force tranquille qui est la garantie des victoires nouvelles ».

Pour beaucoup de Français, cette arrivée de la gauche au pouvoir représentait avant tout une immense attente sociale. Mais leur impatience se heurta dans un premier temps à l'inertie gouvernementale. Les communistes, hésitant à participer au gouvernement, choisiront finalement de ne pas y entrer, préférant un soutien sans participation. Un mouvement de grève commença dès le mois de mai, malgré la victoire dans les urnes, et s'étendit très rapidement à l'ensemble du milieu ouvrier, paralysant le pays.

Le 11 mai 1936, la première grève ouvrière éclatait. L'agitation s'alimentant tant de l'espoir de changements rapides promis par les leaders du Front populaire que du succès électoral. Pour la première fois, les ouvriers occupaient leurs usines jour et nuit.

Des accords historiques

Dès le 7 juin 1936, Blum convoquait patrons et syndicats. Rencontre qui allait rapidement aboutir aux (premiers) Accords de Matignon. Signés dans la nuit du 7 au 8 juin 1936 à l'hôtel de Matignon, sous la présidence du Conseil de Léon Blum. Les accords de Matignon furent établis entre la Confédération générale du Travail (CGT) et le patronat.

Courtoisie et vérité. Rappel croisé sur les accords de Matignon en 1936 avec le représentant du patronat de l'époque Lambert Ribot et le représentant des ouvriers Benoit Frachon, « nous avions avec nous la force et nous pouvions parler très haut ».

Contre toute attente, les concessions accordées par les patrons allèrent bien plus loin que le programme de Front populaire ne l'avait demandé. Les accords aboutirent à la semaine de 40 heures, une augmentation de salaires de 7 à 15 % selon les branches, l'instauration de conventions collectives et surtout : deux semaines de congés payés. Dans les témoignages, c'est cette dernière mesure qui revient systématiquement comme quelque chose d'extraordinaire, « de phénoménal ».

Les congés payés révolutionnent le monde du travail

Les grèves de 1936
1981 - 06:27 - vidéo

Jean Wroblewski, un ancien mineur du Nord, évoque tout particulièrement la liesse générale et les premiers congés payés : « Y'avait douze jours de congés, alors ça, c'était vraiment phénoménal ! »

En 1976, madame Boissière, ancienne ouvrière, parle des avancées des accords de Matignon sur sa vie au travail : « Mon salaire avait été doublé... on avait des cadences infernales et après elles ont été réglées, on ne faisait que 40 heures ! Pour moi, ça a été davantage de loisirs. Ne travaillant pas le samedi, on avait davantage de temps pour sortir un peu... » Et bien-sûr, les congés payés : « on n'arrivait pas à imaginer que c'était possible, partir 15 jours en vacances et toucher la paye en revenant... »

Comme l'illustre bien le témoignage de madame Boissière ci-dessus, de toutes les réformes du Front Populaire, l'instauration des congés payés fut la plus symbolique. Si les congés existaient déjà, ils étaient réservés à certaines catégories professionnelles. Les salariés les prenaient à leur frais. Or la loi octroyait désormais deux semaines (12 jours) à tout salarié travaillant depuis au moins un an dans l'entreprise, et sans suspension de salaire.

Voici un autre témoignage, celui de Marcelle Provins, 91 ans, en 2006. Ancienne ouvrière à Vitry-sur-Seine, elle commentait des photographies de Vitry en 1936, de la grève dans l'usine, de l'occupation des lieux par les ouvriers. L'occasion pour cette nonagénaire de revenir sur les conditions de travail dans l'usine d'isolants de câbles électriques et de se remémorer ses premières vacances à la mer.

Dossier Front populaire
2006 - 03:27 - vidéo

« J'habitais en Bretagne, à 20 km de la mer et je ne l'avais jamais vu la mer ! », « L'usine des isolants, c'était le bagne... »

Partir en vacances devenait réalité et ouvrait l'ère de la société des loisirs. Mais malgré ces avancées sociales, les grèves continuèrent encore un temps. Dans le sujet ci-dessus, l'historien Michel Winock expliquait qu'il s'était passé « quelque chose qui n'était pas prévu, un formidable mouvement social de grèves sans précédent, qui n'a pas été programmé ni lancé par la CGT ni par le Front populaire, mais qui a éclaté ici et là ». Pour Marcelle, cet épisode marquait le début de l'engagement syndical d'une vie.

Le 11 juin, il y avait deux millions de grévistes. Le gouvernement et les syndicats semblaient impuissants à ramener le calme. À tel point que le 12 juin 1936, Maurice Thorez, secrétaire du PCF, déclarait : « Tout n'est pas possible. Maintenant, il faut savoir arrêter une grève. »

L’été 1936 fut le premier été au cours duquel de nombreux ouvriers partirent pour la première fois de leur vie en vacances (environ 600 000 travailleurs bénéficient du billet de congés payés, ils seront 1 800 000 l'été suivant).

Mais l'euphorie fut de courte durée. Malgré ces avancées sociales, la crise économique, la croissance en berne et l’augmentation du chômage mirent à mal l'enthousiasme de 1936. Des conflits internes au sein du gouvernement obligèrent Léon Blum à faire une pause dans ses réformes et à mettre un terme à sa politique réformatrice. Il fut contraint de démissionner de ses fonctions l’été suivant, le 20 juin 1937. Quelques mois plus tard, en avril 1938, alors que la menace d'une nouvelle guerre mondiale planait sur l'Europe, Édouard Daladier, l'un des promoteurs du Front populaire, s'alliait à la droite pour créer un nouveau gouvernement.

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