L'ACTU.
Le 10 janvier 2023, la Fondation Jean-Jaurès a célébré le 27e anniversaire de la mort de l'ancien président de la République en ressortant des extraits inédits d'un meeting que l'homme politique avait enregistré à Lille en 1986. Dans ces vidéos, le leader socialiste justifiait le passage de l'âge de la retraite à 60 ans par la nécessité de mettre à bas la « pénibilité des travailleurs manuels » et la nécessité qu’ils puissent « vivre enfin ».
Un discours qui fait écho aux mobilisations contre le projet de réforme des retraites du gouvernement d’Élisabeth Borne, alors que mardi 31 janvier a lieu une deuxième journée de grève en France.
L'ARCHIVE.
Ces thématiques sont anciennes et ont été défendues par le socialisme dès le XIXe siècle. C'est ce qu'expliquait François Mitterrand, alors candidat à la présidence, en avril 1981, lors de la campagne présidentielle. L'archive en tête d'article est extraite d’un meeting public organisé à Metz le 7 avril 1981. Dans cette intervention, François Mitterrand revenait sur le combat de la gauche pour conquérir « plus de temps de vivre et du bien-être ». À l’époque, le candidat à la présidence défendait la réduction de la semaine de travail à 35 heures, ce qui représentait à ses yeux l’un des « moyens de la relance » de la France et une avancée sociale s’inscrivant, selon lui, dans une longue tradition socialiste : « c’est toute la bataille menée depuis le XIXe siècle qui se trouve ainsi résumée : la bataille pour le temps de vivre, énonçait-il en appuyant sur chaque mot, la conquête du temps de vivre ».
Pour étayer sa démonstration, l'orateur décrivait la vie d'un prolétaire au milieu du XIXe siècle : « c’était à 7 ou 8 ans le travail pour le compte des autres. C’était le travail jusqu’à la mort et sans repos. Il n’y avait pas de retraite à la fin de la vie ! », soulignait-il, ajoutant, qu’il n’y avait pas « d'arrêts, de vacances ou de week-end, il n’y avait pas de journée de repos ». Sur un ton volontairement dramatique, il insistait sur le destin tragique du prolétaire qui était « voué jusqu’à la mort à subir cet état sans aucune chance d’y échapper ».
Le candidat poursuivait sa démonstration en abordant la question de la retraite, à cette époque où l'espérance de vie était moindre qu'aujourd'hui, ironisant : « quand l’âge de la retraite a été fixé à 65 ans, la moyenne de vie des travailleurs étaient de 55 ans ». Il rappelait ensuite tous les acquis gagnés par la gauche malgré l’opposition de la droite, qui s'opposait aux progrès sociaux pour « gagner la bataille industrielle » : le travail des enfants, les congés maternité à 3 jours (1847), l'école primaire gratuite (1981), puis plus tard la semaine de travail à 60 heures, « à 48 heures même débat, à 40 heures, la même discussion qu'aujourd'hui a eu lieu... comme si nous n’en étions pas la quatrième révolution industrielle »
Révolution technologique et temps de travail
Cette quatrième révolution industrielle, technologique était l'un des arguments phare du candidat qui inscrivait sa volonté de diminuer le temps de travail dans une logique de « mutation technologique ». Il dénonçait une organisation du travail écrasante, une volonté incohérente de continuer à surexploiter les travailleurs, tout en jetant les autres au chômage : « pourquoi ce serait l'homme qui serait victime de cette transformation ? », interrogeait-il, alors que la robotique pouvait « se substituer à la peine et à la fatigue ». Il ajoutait sur un ton grave : « C'est finalement la machine qui commande dans le circuit capitaliste et l'homme qui doit apporter ou son travail ou son chômage. C'est la machine qui commande ».
Cette nouvelle révolution industrielle basée sur le développement des machines et des robots devait à son sens libérer l'homme de l'asservissement du travail. François Mitterrand s'étonnait de l'absence de réflexion des classes dirigeantes sur cette question. Malgré l'augmentation du travail des machines, la cadence et les heures de travail des hommes augmentaient. Elles devraient au contraire diminuer : « je veux que les hommes s'arrêtent au bout de 35 heures, avec un salaire égal à celui qu’ils avaient... mais je veux que les machines continuent de tourner. »
Retraite : la « paix » après le travail
Réduction du travail, retraite, autant de thèmes dont François Mitterrand aimait débattre avec ses opposants. Cette autre archive, beaucoup plus ancienne, date du 13 juin 1972. Dans le magazine politique « À armes égales », François Mitterrand, (député, Secrétaire Général du Parti Socialiste) débattait avec Michel Faure (ministre d’État chargé de la Défense Nationale). Évoquant les avancées sociales depuis la fin de la guerre, comme les comités d'entreprises, les délégués du personnel, les conditions du travail, les congés payés, François Mitterrand abordait déjà les 40 heures et la nécessité d'une retraite à 60 ans. Cette fois-là, il faisait référence à la durée de vie moyenne des travailleurs en bonne santé, notamment chez les ouvriers : « les 60 ans, la retraite, vous savez que la moyenne de vie d’un homme est en France à l’heure actuelle est de 67 ans, mais pour un travailleur manuel, elle n’est que de 61 ans, ajoutant sous forme de question : « la retraite à 60 ans, elle n’est pas méritée ? Un an de paix après le travail et quel travail ? Les 40 heures que l’on a votées en 1936 et dont on parle encore, que vous ne respectez pas ! La cadence des heures ! »
Michel Debré et François Mitterrand à propos de la politique intérieure
1972 - 03:41 - vidéo
En 1981, en arrivant au pouvoir, François Mitterrand allait mettre en place cette vision de la diminution du temps de travail, en abaissant l'âge de la retraite à 60 ans, dès son premier septennat. En 1982, une ordonnance Auroux accordait la retraite à partir de 60 ans, pour 37,5 ans de cotisation, au taux plein de 50 % du salaire annuel moyen. La même année, le 13 janvier 1982, la durée hebdomadaire du travail passait de 40 à 39 heures. En 2000, lors de son second mandat, sous le gouvernement Jospin, serait mis en place, son second thème de prédilection, la semaine des 35 heures.