C'est l'un des matchs les plus célèbres de toute l'histoire du football français. Le 8 juillet 1982, c'est l'une des plus belles équipes de France (Platini, Giresse, Rocheteau, Trésor, Ettori, Battiston) qui affronte les redoutables Allemands de l'Ouest, doubles vainqueurs de la Coupe du monde (1954 et 1974) et doubles vainqueurs de la Coupe d'Europe (1972 et 1980). Pour les tricolores, le palmarès est alors encore vierge.
Nous sommes à Séville, en demi finale de la coupe du monde organisée par l'Espagne. Au terme de la première mi-temps, les deux équipes sont à égalité 1-1. Au retour des vestiaires, le milieu français Bernard Genghini doit sortir sur blessure, il est remplacé par le latéral Patrick Battiston, qui se montre excellent et menace les cages du gardien allemand Harald Schumacher. A la 56e minute, minutieusement lancé par une très belle ouverture Michel Platini, Battiston se présente seul face au gardien allemand qui sort à sa rencontre à toute allure et sans s'occuper du ballon. Dans sa course aérienne, il percute violemment avec sa hanche la tête de Battiston, qui s'écroule au sol. Inconscient sur la pelouse, ayant perdu trois dents dans le choc, il est évacué sur civière. Il restera plusieurs minutes dans le coma, avant de reprendre ses esprits.
Le pardon de Battiston
Après le match, qui se solde par un incroyable scénario (les Français menant rapidement 3-1 au début de la prolongation, mais finalement rattrapés 3-3 par les Allemands, ils perdent le match aux tirs aux buts 5-4), Battiston passe toute une série de tests et sort de l'hôpital le lendemain. «Et à la fin, c'est l'Allemagne qui gagne, prennent l'habitude de dire les Français », dépités et révoltés par l'injustice de l'agression vis-à-vis de Battiston, non sanctionnée par l'arbitre.
Le 16 juillet 1982, quelques jours après ce match déjà historique, Antenne 2 Midi donne la parole à quelques Français interrogés par hasard dans la rue. « J’en pense pas du bien, il est trop brutal » dit cet homme en se référant à Schumacher. « C'est dégueulasse ! » juge un jeune homme. Pour cette dame italienne interrogée dans la rue, pas de doute, Schumacher est « un salaud, il a fait du mal à Battiston ». Est-ce parce que Schumacher est Allemand que son verdict est si dur ? «Non, répond elle, si c’était un Italien comme moi, je lui aurais aussi reproché de faire ça !» L'opinion publique française est en effet chauffée à blanc pendant ces jours d'après match contre le gardien allemand.
Interviewé, rassuré sur son état de santé et sa blessure qui aurait pu « avoir des conséquences dramatiques » selon le docteur Polo, Patrick Battiston se veut magnanime et pardonne à Harald Schumacher son geste : « Je ne lui en ai jamais voulu, je ne comprenais seulement pas son geste. Je me suis posé la question de savoir pour quelle raison il ne s’était pas arrêté, pour quelle raison il n’avait pas freiné son élan, et qu’il s’était jeté délibérément sur moi. Maintenant il m’a expliqué qu’il avait voulu anticiper le ballon , il croyait que j’allais le lober et donc il s’est propulsé en l’air et lorsqu’il a terminé sa chute, il était sur moi, il n’a pas voulu me rencontrer les pieds et le genoux en avant donc il s’est retourné et m’a heurté avec son bassin et son coude. J’ai eu très très peur, j’ai été dans le coma pendant 5 minutes, je me rendais compte de rien. »
Incrédulité en Allemagne
Devant les caméras et les flash des appareils photo, les deux hommes se serrent la main, et Schumacher répond à des questions en allemand. Pour expliquer son comportement distancé, c'est une journaliste allemande qui donne son avis sur cette affaire : « Schumacher n'est pas ce genre de type [violent]. Personne [en Allemagne] n’a compris [ce qui s'était passé]. Je crois qu’il a regretté tout de suite, mais ce n’est pas quelqu’un comme Battiston, qui est très éloquent. C’est un type très simple, il ne peut pas dire ce qu’il a dans le cœur, je crois, c’est très grave pour lui [ce qu'il se passe]. Je crois que Schumacher, qui était une idole depuis longtemps à Cologne et dans toute l’Allemagne, a perdu beaucoup de sympathie, non seulement par sa réaction tout de suite après cette faute [il n'a montré aucune compassion ou sympathie pour Battiston sur le terrain, NDLR], mais aussi par sa réaction après à la télévision allemande, où il a minimisé et dit que c’est une chose qui a lieu dans tous les matchs : "c’est un incident, mais pas ma faute", est son point de vue. »
Visiblement pas rancunier, sa dentition encore marquée par l'accident, Patrick Battiston finit par plaisanter sur son très prochain mariage : « J’espère qu’on va oublier tout ça et c’est vrai que demain je me marie. Je vais pouvoir dire "oui", mais je crois que je ne vais pas pouvoir la regarder, je vais la regarder du coin de l’œil, elle va peut être croire que je vais la dévisager ou que je me pose des questions, mais ça va être comme ça. Je me suis rendu compte que dans le pire elle était là, et c’est une très très bonne chose pour moi.»
En finale de ce fameux mondial 1982, les Italiens battent les Allemands 3 buts à 1 sur la pelouse du Stade Santiago Bernabéu de Madrid. Quant à Patrick Battiston, il remporte enfin le premier grand trophée international de la France en 1984 avec la Coupe d'Europe. Il est aujourd'hui âgé de 65 ans.