LE CONTEXTE.
Le sexisme, cette discrimination faite aux femmes est revenu au centre des débats d'actualité depuis quelques années, notamment depuis l'émergence du mouvement #MeToo (#BalanceTonPorc en France) encourageant les femmes à prendre la parole et à dénoncer les actes sexistes et violents auxquels elles sont confrontées quotidiennement. Depuis, si la parole s’est libérée, la situation reste préoccupante, dans son rapport sur l'état du sexisme en France paru en janvier 2023, la Haute Autorité a indiqué que le sexisme ne reculait pas en France. Le sexisme est ancien, mais il est resté en dessous des radars pendant de nombreuses années, banalisé, moqué, voire nié par une société patriarcale. Pourtant, cette notion a été clairement théorisée dès les années 50, notamment par la philosophe Simone de Beauvoir. Engagée dans le féminisme, elle a étudié ce sujet dans un ouvrage toujours célèbre, Le Deuxième Sexe publié en 1949. Simone de Beauvoir s'engagera toute sa vie dans la défense des femmes et participera au mouvement de libération des femmes dans les années 1970. L'archive en tête d'article donne la parole à cette féministe précoce, elle nous livre sa définition du sexisme.
L'ARCHIVE.
Dans cette interview réalisée le 6 avril 1975 par Jean-Jacques Servan-Schreiber pour l'émission « Questionnaire », la présidente de la Ligue du droit des femmes, définissait le terme sexisme, forgé par analogie avec le mot racisme et utilisé par le mouvement des femmes. Elle signalait à son interlocuteur que le MLF avait créé la Ligue du droit des femmes afin de lutter contre toutes les formes de sexisme et énumérait les attendus de cet organisme, des demandes toujours d'actualité presque 50 ans plus tard, notamment les stéréotypes genrés des manuels scolaires : « Nous voudrions obtenir que la loi interdise toute discrimination sur le sexe (...) non seulement sur le plan des injures (...) mais nous voudrions qu'il n'y ait plus de discrimination de la manière d'élever les enfants, tout au moins à l'école (...) il y a des discriminations dans les manuels que l'on donne aux petits garçons et aux petites filles (...) et puis la manière dont on raconte l'histoire, souvent d'un point de vue masculin. Jamais selon la perspective féminine, etc. »
Elle abordait ensuite sa vision de la femme, déclarant une phrase rendue célèbre par son livre : « On ne naît pas femme, on le devient ». Une phrase, huit mots devenus tout un symbole pour les féministes. Simone de Beauvoir, celle qui était connue pour être la « femme de » (Jean-Paul Sartre, fondateur de l'Existentialisme), était devenue la figure de proue du combat féministe du XXe siècle et avait bousculé les préceptes d'une condition féminine trop étriquée.
Amoureuse indépendante et auteure engagée
Ce combat, elle semblait l'avoir porté en elle toute sa vie, y compris dès son enfance. Née le 9 janvier 1908, Simone de Beauvoirfut élevée à Paris dans une famille bourgeoise. Refusant l'éducation stricte d'une jeune fille de bonne famille, elle se découvrit une passion : la philosophie. De nombreux diplômes en poche (licence de littérature, grec, latin, philosophie, mathématiques), elle choisit de s'inscrire à la faculté des lettres de la capitale. Elle y rencontra Jean-Paul Sartre.
Entre les deux, ce fut une relation mythique. Une relation faite de réciprocité et de partage intellectuel. Elle sera son « amour nécessaire », en opposition aux « amours contingentes », qu'ils seront amenés à connaître chacun de leur côté. Leur histoire est unique et moderne. Ils s'accordèrent une liberté mutuelle. Simone de Beauvoir sera l'éternelle compagne du philosophe volage. Mais elle restera une femme indépendante. Cette situation illustrait finalement parfaitement ses positions sur la condition féminine de l'époque : la femme peut se construire en tant qu'individu, sans subir le joug marital. C'est cette trame existentialiste que Simone de Beauvoir choisit pour son essai sensation, Le Deuxième sexe. Ainsi, en 1949, Simone de Beauvoir allait scandaliser la haute société, soutenue par une poignée d'intellectuels, son ouvrage deviendrait le socle des premiers mouvements féministes, et elle, une auteure engagée.
Couronnée du prix Goncourt en 1954 pour Les Mandarins, Simone de Beauvoir fut lue à travers le monde. Elle entreprendra son autobiographie à partir de l'année 1958, y décrivant un milieu bourgeois rempli de préjugés et de traditions avilissantes pour la femme. En 1964, elle n'hésita pas à s'exprimer sur le sujet de l'euthanasie dans Une Mort très douce, qui retraçait le décès de sa mère. Quelques années plus tard, elle fut à l'origine du « Manifeste des 343 salopes », un texte en faveur du droit à l'avortement. Elle évoque ce manifeste dans l'archive ci-dessous.
Simone de Beauvoir à propos du Manifeste des 343
1975 - 03:23 - vidéo
La voix de millions de femmes
Avec Gisèle Halimi, elle fonda le mouvement Choisir, dont le rôle a été déterminant pour la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse.
En 1980, la mort de Jean-Paul Sartre allait consumer Simone de Beauvoir à petit feu. Bien que soutenue par sa fille adoptive Sylvie Le Bon-de Beauvoir, elle poursuivit sa vie avec fatalisme : « Sa mort nous sépare. Ma mort ne nous réunira pas. C'est ainsi ; il est déjà beau que nos vies aient pu si longtemps s'accorder. »
Simone de Beauvoir est morte le 14 avril 1986. Ses funérailles seront aussi grandioses que celles de Sartre et suivies par des femmes du monde entier.