Chaque élection draine avec elle son cortège de voix perdues. L’abstention, qui consiste pour un électeur à ne pas aller voter lors d'une élection ou au cours de toute autre procédure électorale, est récurrente. Contre ce phénomène, les candidats ne peuvent qu’appeler au civisme. Certains utilisant l’argument moral, le lyrisme ou la culpabilisation. Si ce phénomène semble en augmentation, il n’est cependant pas récent et la télévision l'évoque depuis des décennies.
Dans les années 1960, le spectre de l’abstention hantait déjà tous les esprits et l’archive en tête d’article illustre bien le poids de l’abstention dans les urnes.
En mars 1962, à l'approche d’un référendum sur les accords d'Evian et sur l'indépendance de l'Algérie (le 8 avril 1962), voulu par le général de Gaulle, ce sujet des Actualités françaises tirait la sonnette d'alarme sur le fort taux d’abstention en France en utilisant un ton plutôt moralisateur. En se référant au taux d'abstention constaté au référendum portant sur l'Autodétermination de l'Algérie du 8 janvier 1961, et en vue du prochain appel aux urnes, la télévision encourageait les citoyens à se déplacer. Elle allait décrire les comportements à ne surtout pas reproduire en responsabilisant chaque électeur.
Le sujet se voulait à la fois didactique et humoristique. Il partait du constat que lors du précédent référendum, 26,24% des électeurs soit « Quelques 6 millions d'électeurs… s’étaient abstenus ». Le commentaire insistait sur cette faible participation, la déclinant à plusieurs reprises : « Un Français sur quatre » ou « un quart de la population en âge de voter » avait boudé les urnes.
Le sujet présentait ensuite, sur un mode humoristique, le portrait-type des abstentionnistes : le monsieur parti à la pêche, ou celui détourné du bureau de vote après avoir croisé le regard d’une belle inconnue. Jouant sur l’ironie, le journaliste précisait que « Le Français, peuple politique », n'était « pas particulièrement ardent à remplir son devoir de citoyen ».
Le rôle capital de l'électeur
Filmant un quidam tranquillement installé dans son canapé avec son journal et sa pipe, le sujet pointait du doigt le désintérêt global des électeurs inconscients de leur implication dans la marche du monde : « Oui, ça les intéresse peu. Que les conflits naissent ou s'éteignent, que les menaces montent ou s'apaisent, avec tout ce que ces bouleversements leur réservent à eux-mêmes ».
Le commentaire précisait qu’en votant, chacun pouvait « faire valoir son point de vue. Leur oui ou leur non a une valeur », insistant sur le poids d'un vote, « ces 25 millions de voix ne sont faites que de l'addition des voix de chacun ». L’abstention était présentée comme « un chèque en blanc donné au pouvoir » ou « la liberté donnée d'agir en votre nom sans votre contrôle et peut être contre vous », prévenait-il. La fin du sujet présentait d'ailleurs les leaders de l’époque agissant « comme si vous n'existiez pas et avec votre approbation, puisque c'est avec votre silence ».
Le référendum du 8 avril 1962 allait connaître, comme le précédent, une forte abstention (24,66%). 90,81% des votants se prononçant pour un « oui » aux accords d'Evian sur l'indépendance de l'Algérie.