L’INÉDIT.
« Moi, j'essuie les verres au fond du café. J'ai bien trop à faire pour pouvoir rêver. Mais dans ce décor banal à pleurer… » Ces paroles, ce sont celles écrites par Claude Delécluse et Michelle Senlis pour Édith Piaf dans la chanson Les amants d’un jour. Édith Piaf l’interprétait parfois en concert, mais personne n’en avait conservé la trace filmée. C'est pourquoi l'interprétation inédite que nous publions est une version unique.
L'histoire de la découverte
Il s’agit d’un joyau qui a été identifié dans des fonds de films dits Gambais conservés par l’INA à Saint-Rémy-l’Honoré dans les Yvelines. C’est dans ce lieu incroyable où sont stockés des millions de supports télé et radio qu’une boîte de film a resurgi avec environ 35 minutes d’images inédites de concert de Piaf.
Ce fonds dont la documentaliste de l'INA Malika Mekdad assure le traitement documentaire, comportait à l'origine 160 000 boîtes de supports audiovisuels, essentiellement des films issus de l'ORTF. D'abord stockés dans la commune de Gambais dans les Yvelines (d'où son nom), il a été transféré au Centre de conservation de Saint-Rémy-l'Honoré où les supports sont identifiés, triés, inventoriés et numérisés selon les cas.
Les images retrouvées ont sans doute été tournées à la toute fin de 1959. Ce sont des « rushes », des éléments bruts filmés pour illustrer une émission. En l’occurrence ici, le magazine d’actualités de la Première Chaîne de télévision, « Cinq colonnes à la Une ».
Le film d'origine, qui était dans un état très dégradé avec de nombreuses coupes dans la pellicule, et des pertes de son et d'image sur plusieurs séquences, a donc été restauré. Un travail technique méticuleux réalisé par Frédéric Muelle de l'INA pour la préparation des supports et par les étalonneurs film pour la numérisation a permis de sauver ces images historiques et d’en restituer le contenu.
L’ARCHIVE.
L’archive présentée en tête d’article est un extrait de ces rushes. En effet, en 1960, Pierre Desgraupes avait consacré deux longs reportages à Édith Piaf dont l'état de santé inquiétait. Le premier reportage avait été diffusé en janvier alors qu'elle avait dû abandonner sa tournée pour cause de santé. Ce reportage s’intitulait très justement « Chanter ou mourir ». En fin d'année en décembre, l'autre reportage, « Piaf : je repars à zéro », était consacré, lui, au grand retour de la chanteuse alors qu’elle s'apprêtait à remonter sur scène, presque un an après sa dernière apparition à Dreux, où elle s'était écroulée face à son public.
Plusieurs prestations en concert illustraient alors ces reportages. Des morceaux de ces rushes ont été diffusés dans le programme définitif, le reste, ces inédits, ont, comme souvent, été mis de côté...
C'est donc une archive exceptionnelle car il s'agit de la seule prestation filmée connue de cette chanson. Elle montre Édith Piaf en concert, accompagnée par ses musiciens (guitare, piano). Elle fait face à un public que l’on ne voit pas, mais que l’on entend applaudir avec ferveur. Le lieu de l’enregistrement du concert n’a pas été identifié.
Amour à mort
Les amants d’un jour est une chanson sombre. Ce titre, mis en musique par Marguerite Monnot, fidèle compositrice de la chanteuse, fut publié en 1956 sur la face B du 45 tours Soudain une vallée. Il raconte l’histoire dramatique d’un couple d’amoureux qui vient de se suicider dans une chambre d’hôtel. Édith Piaf prête sa voix mélodieuse à la narratrice du récit, une employée du bar de l’hôtel qui « essuie les verres au fond du café ». Elle est le témoin discret des dernières heures des amants, avant qu’ils ne se donnent la mort.
Comme souvent dans ses chansons, Édith Piaf rend un hommage poignant à l’amour, scellé ici par la mort des deux amoureux. Une passion destructrice décrite à grand renfort de son vibrato torturé.
« Ils sont arrivés se tenant par la main
L'air émerveillé comme deux gamins
Portant le soleil, ils ont demandé
D'une voix tranquille un coin pour s'aimer
Au cœur de la ville et je me rappelle
Qu'ils ont regardé d'un air attendri
La chambre d'hôtel au papier jauni
Et quand j'ai fermé la porte sur eux
Y'avait tant d'soleil au fond de leurs yeux
Que ça m'a fait mal. Que ça m'a fait mal… »
Plus qu’une simple interprète, Édith Piaf incarne ici parfaitement son personnage, comme le ferait une actrice. Elle ira jusqu'à mimer les gestes répétitifs de la serveuse en essuyant consciencieusement un verre avec un torchon saisi en coulisses. Un souci du détail et une implication qui n’avaient jamais été revus depuis cette soirée lointaine où Édith Piaf donna chair et voix à cette spectatrice impuissante de la fin d’un amour.
Edith Piaf "La foule"
1960 - 03:05 - vidéo
LE BONUS.
Nous vous proposons de découvrir une autre interprétation, toute aussi émouvante. Il s'agit de la chanson La foule.
