L'ANNIVERSAIRE.
Brigitte Bardot a eu 90 ans le 28 septembre 2024. Icône du cinéma jusqu'aux années 1960, « BB » a quitté les plateaux en pleine gloire, à 38 ans, en 1973. À partir de cette date, elle est devenue le porte-voix des animaux et une pionnière de la défense de la cause animale. On se souvient de sa première grande action en 1977 lorsque, aux côtés de l’écologiste suisse Franz Weber, sur le bateau de Paul Watson (il fonde l'association Sea Sheperd la même année), elle brava alors le gouvernement canadien et les chasseurs de phoques en se faisant déposer sur la banquise de Blanc-Sablon. Malgré les critiques, ses photos avec un bébé phoque firent le tour du monde et parvinrent à émouvoir l'opinion publique.
Son action se concrétisa en 1986, avec la création de la Fondation Brigitte Bardot qui lui permit de mener des actions pour protéger et sauver les animaux. Depuis 1992, la Fondation est reconnue d’utilité publique et le Dalaï Lama en devient membre d’honneur en 1995.
L'ancienne star du grand écran raconte que sa prise de conscience est née en janvier 1962 dans le magazine « Cinq colonnes à la une ». Ce soir-là, dans la rubrique « Avocat d’un soir », la jeune femme de 28 ans se transformait en avocate des animaux d'abattoirs. Elle réclamait déjà une mort sans souffrance, à une époque où, considérés comme des objets, la manière dont on abattait les animaux n'émouvait personne. Cette archive est à regarder en tête d'article.
L'ARCHIVE.
Le 5 janvier 1962, les téléspectateurs découvrent une nouvelle facette de leur vedette préférée. La jeune comédienne apparaît pour la première fois en défenseuse de la cause animale. Une position tout à fait inédite dans les années 1960. Visiblement très émue, elle utilise sa notoriété et le canal cathodique pour lancer son appel. Son choix se porte sur le magazine d'actualités le plus regardé du petit écran. Face à elle, Pierre Desgraupes souligne le caractère déroutant de son intervention. Il l'interroge circonspect : « Brigitte Bardot, des millions et des millions de téléspectateurs vous voient en cette seconde apparaître au centre de leur écran. Vous avez quelque chose à leur dire. De quoi s'agit-il ? »
Naissance d'une vocation
Brigitte Bardot, très déterminée, se lance dans une description clinique du drame qui se joue dans les abattoirs. Filmée en très gros plan, elle entame sa plaidoirie avec fermeté. Derrière ses propos transparait déjà la détermination qui marquera le reste de sa vie : « Bien sûr, ce n'est pas tout à fait ma place d'être ici ce soir. J'aurais préféré que ce soit quelqu'un d'autre qui me remplace. Mais comme personne n'est là... c'est moi qui suis là pour vous parler de cette horreur qui se passe encore actuellement ».
La protectrice des animaux dénonce des méthodes moyenâgeuses lorsque les bovins sont tués vivants, sans étourdissement. En contre-plan, sur fond noir, ce qui renforce encore le caractère solennel de l'intervention, Pierre Desgraupes lui demande d'entrer dans le « vif » du sujet.
L'actrice pèse alors chaque mot de son intervention. Son objectif est de marquer les esprits : « C'est-à-dire que les petits animaux, les veaux, les moutons et les chèvres sont égorgés vivants ». Tandis que l'actrice poursuit son propos, des images d'une vache en train de se faire égorger passent à l'écran : « On leur coupe la gorge et le sang s'écoule, entraînant la mort. Ça dure quelquefois trois, quatre ou cinq minutes. Et pendant ces trois, quatre ou cinq minutes, la bête est vivante et souffre. »
La caméra revient sur son visage et ses yeux se voilant de larmes. Son émotion est perceptible lorsqu'elle raconte comment elle a découvert l'envers de l'abattage : « Alors, j'ai su ça tout à fait par hasard. Il y a un an, je ne savais pas, moi non plus, comment ça se passait. »
Un combat méprisé
Dans ces années-là, le sort des animaux était loin d’être au centre des préoccupations et cet appel au respect de leur bien-être prêtait à sourire. C'est ce que le commentaire du journaliste montre, notamment lorsque Pierre Desgraupes l'interrompt en soulignant le caractère incongru de son combat. « Vous ne trouvez pas étrange que vous, Brigitte Bardot, vous vous occupiez de ces problèmes ? », lui demande-t'il ? Sa réponse fuse : « Je trouve surtout étrange que personne d'autre ne s'en occupe ». Mais le journaliste insiste, « vous ne pensez pas que le public va trouver étrange que vous vous occupiez de cela ? ». À son tour de l'interrompre : « que je fais de la publicité ? Vous savez, je pense que je suis peut-être une des rares personnes au monde qui n'a pas besoin de publicité ! »
Un positionnement avant-gardiste
Le témoignage de Brigitte Bardot est intéressant, on pourrait même dire avant-gardiste, puisque dès cette année 1962, l'artiste propose l'adoption d'un texte de loi qui établirait un statut plus protecteur pour les animaux d'abattoirs. Une proposition hardie à une époque où la consommation de viande est en plein développement, notamment le steak haché. L'actrice en prend acte : « Bien-sûr, tout le monde mange de la viande et c'est tout à fait normal. Mais cette viande que l'on mange, on devrait pouvoir se dire que la bête qui est morte et que l'on mange n'a pas souffert. »
Pour rallier l'opinion publique à sa cause, l'actrice utilise des arguments chocs, mais s’appuie également sur une démarche assez proche de celle menée par l'association « L214 Éthique & Animaux », aujourd'hui. À ses côtés se trouve Jean-Paul Steiger, le fondateur du club des jeunes amis des animaux. Il s'est infiltré, dirait-on aujourd'hui, dans un abattoir pour observer les pratiques et les dénoncer. Brigitte Bardot le présente comme un amoureux des animaux : « Jean-Paul, qui apprend aux autres à aimer les animaux est allé travailler aux abattoirs pour pouvoir en parler. Il a donc travaillé pendant huit jours aux abattoirs de la Villette. Il a vu effectivement qu'on pourrait très bien, à notre époque, employer des méthodes beaucoup moins barbares ». Le jeune homme décrit ensuite son travail à l'abattoir.
Vers une loi protectrice des animaux
Dans sa plaidoirie ci-dessous, Brigitte Bardot propose diverses solutions envisageables et déjà effectives à l'étranger. À l'image d'un pistolet utilisé « en Angleterre et au Danemark et dans d'autres pays » qui assomme l'animal pour lui éviter de souffrir. Elle évoque aussi « l'anesthésie par gaz carbonique ». Et de conclure : « Mais en France, personne ne s'est jamais occupé de ça. D'ailleurs, ça ne gêne personne. Et vous allez me dire : "qui ça peut gêner de voir un animal souffrir" ? »
Brigitte Bardot annonce alors la grande idée qu'elle défend et qui paraissait complètement inenvisageable à l'époque : « Notre ambition, notre vœu, notre but, c'est de faire passer un décret qui interdise la tuerie sans anesthésie ou sans « assommement » préalable. Avocate, je trouve que je suis un très mauvais avocat de toute façon. Mais je suis un peu l'avocat de cette cause » !
Un combat de 50 ans
Avec sa fondation, l'ex-actrice a beaucoup fait pour faire avancer le débat. Pour ses 90 ans, Brigitte Bardot a encore un rêve qu'elle a confié dans son interview au Parisien, le 20 septembre dernier, celui de voir abolir la consommation de la viande de cheval : « Pour mon anniversaire, j’aimerais bien qu’on m’offre la grande victoire que je demande depuis cinquante ans : on doit arrêter le commerce de la viande de cheval. Ça, la France devrait me l’accorder pour mes 90 ans, je le mérite. Mais elle ne le fera pas. Il faut arrêter de tuer les chevaux. Certes, les enfants ne mangent plus de steak de cheval comme dans les années 1970, mais ils sont encore utilisés dans le haché, les plats préparés. Il faut aussi abolir les sacrifices rituels. » a-t-elle déclaré.
Brigitte Bardot et la maltraitance des chevaux
1980 - 02:10 - vidéo
En 1980, aux côtés de sa jument Duchesse, sauvée des abattoirs, Brigitte Bardot lance un coup de gueule retentissant contre les conditions d'abattage des chevaux et la consommation de leur viande : « Les Français ne pensent qu'à bouffer, ils sont gros et gras et meurent d'un infarctus et les femmes font des régimes. Qu'ils mangent moins et qu'ils commencent par arrêter le cheval ! »
Un vieux cheval de bataille qui lui valut d'ailleurs de recevoir des menaces de mort de la part des professionnels inquiets pour leur avenir.
Quid de la règlementation ?
L'alerte lancée par Brigitte Bardot en 1962 a permis de faire évoluer la règlementation sur la protection des animaux à l'abattoir, puisque certaines de ses propositions en matière d'étourdissement sont effectives. Tout abattoir en fonctionnement doit disposer d'un agrément sanitaire et doit respecter un protocole défini par le règlement européen de 2013 (règlement (CE) n° 1099/2009) qui définit les règles sur la protection des animaux au moment de leur mise à mort.
Avec la promulgation de loi Agriculture et Alimentation (EGalim1 promulguée le 1er novembre 2018), tous les abattoirs sont tenus d'avoir un responsable bien-être animal (RPA), chargé, sur le plan technique, de faire appliquer les règles de protection animale au sein de l'abattoir, de l'arrivée de l'animal jusqu'à sa mise à mort.
Désormais, avant leur mise à mort (sauf dérogation religieuse), les animaux doivent subir un étourdissement qui provoque une perte de conscience. Les trois méthodes d'étourdissement les plus usitées sont celles qu’évoquait déjà Brigitte Bardot en 1962, notamment le pistolet à tige perforante ou l'exposition au dioxyde de carbone, auxquels s'ajoute l’électronarcose.
Souvent critiquée pour ses prises de positions parfois excessives, force est de constater que Brigitte Bardot a joué un rôle essentiel dans la prise en compte de la condition animale et dans l'amélioration de leur bien-être. Fin 2023, la Fondation Bardot, qui fonctionne à 90% grâce aux legs, avait pris en charge près de 11 000 animaux.