André Malraux qui vit le jour le 3 novembre 1901 consacra une grande partie de sa vie à l'art dans toutes ses dimensions. Passionné d'art depuis sa prime jeunesse, il élabora la notion de "musée imaginaire". En 1974, dans un entretien radio, ce grand collectionneur anticipait la dématérialisation de l'oeuvre d'art. Cet érudit a marqué l'histoire culturelle française pendant près de cinquante ans, naviguant entre l’édition, le marché de l’art et la presse. Successivement directeur littéraire dans une maison d’édition, romancier – il obtient le Goncourt pour son livre La condition humaine – militant et essayiste. Il terminera son parcours au poste de ministre d’État des Affaires Culturelles que lui offrira le président Charles de Gaulle.
Dans l'archive en tête d'article issu d'un entretien radiophonique enregistré en 1974 et diffusé en 1981, sur France Culture, André Malraux évoque avec Jean-Marie Drot l'avenir de l'art et l'évolution de la notion de collection. Lui qui dans sa jeunesse avait vendu des œuvres collectées au Cambodge, et qui était lui-même collectionneur, affirmait pourtant que la possession imaginaire l'emporterait à l'avenir sur la possession réelle. Ce concept de dématérialisation, il l'a élaboré très tôt, dès 1947, dans son essai intitulé Musée imaginaire. Cet amateur d'art averti estimait que seul un musée imaginaire aurait "le pouvoir de convoquer dans l'esprit tous les chefs-d'œuvre". Il estimait que le pillage et le tourisme avaient leurs limites. Quant au musée réel, il n'était que le résultat de hasards et offrait une proposition mutilée des possibles...
Et pourtant, Malraux collectionnait. Maquette, coiffe en turquoise et cuir, masque de cracheur de feu... tableaux, sculptures et masques. N'y avait-il pas là une contradiction avec ses propres constatations ? Dans cette conversation, Jean-Marie Drot évoque sa collection de poupées Hopi. Lui qui possède de nombreux d'objets d'art affirme néanmoins que dans un mouvement naturel, la collection privée est vouée à disparaître : "La possession réelle va disparaître de l'histoire de la peinture car les collections privées se feront plus rares, au profit de grands musées." Il prend en exemple la Galerie Nationale de Washington, constituée alors de trois grandes collections privées.
Vers l'art dématérialisé
Réfléchissant sur l'avenir des musées, l'ancien ministre de la Culture affirme qu'à l'avenir le grand public considérera "que les oeuvres n'appartiennent à personne", et que plus généralement, l'art entrera "dans un domaine abstrait. Dans 50 ans, les œuvres d'art seront reçues par les jeunes comme des choses qui n'appartiennent à personne. Toute une conception de la peinture était liée à la possession privée. On est en train de faire rentrer l'art dans un domaine abstrait qui finalement lui appartient. Je n'ai rien contre l'abstraction."
Cette dématérialisation de l'art, il l'attribue à ce qu'il connait alors, à l'émergence de la photographie et de la télévision qui commençaient déjà à modifier le rapport à l'art et sa diffusion : "Le jour où vous ne serez plus obligé d'avoir des tableaux, vous aurez la télé comme un moyen de connaissance. Par la force des choses, un garçon de 18 ans aura vu tous les grands chefs d'œuvres."
Davantage d'art, accessible au plus grand nombre donc, mais de l'art qu'il qualifie d'abstrait. Cette intuition s'est finalement réalisée avec l’avènement d'Internet qui aura facilité, bien plus que les médias traditionnels, l'appropriation des oeuvres d'art déposées dans les musées... mais virtuellement.
Pour aller plus loin :
La légende du siècle : André Malraux. L'art : une question métaphysique. Selon André Malraux, le terme de beauté n'a plus sa place quand il s'agit de parler d'art. Pour lui, l'oeuvre interroge et pose avant tout une question métaphysique. (25 novembre 1972)
Journal de 20h00 : au musée du Louvre, galerie Mollien, grande exposition présentant 125 dessins appartenant aux collections du Louvre. Interview du Ministre, André Malraux qui est à l'origine de cette exposition. Interrogé sur ses propres dessins, il répond : "j'ai en effet fait de la peinture, mais je n'avais pas de talent". (27 mars 1962)
De Gaulle en 1965 : "la culture domine tout."
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