Saviez-vous qu'André Malraux, le futur ministre de la Culture du général de Gaulle, avait pillé un temple khmer dans les années 1920 ? Découvrez comment ils subtilisèrent des objets antiques de la cité d'Angkor, à travers le récit de son épouse Clara Malraux. En octobre 1923, André Malraux, un jeune écrivain sans-le-sou mais en quête d'aventures, s'embarque à Marseille pour le Cambodge avec sa jeune épouse Clara. Ruiné après avoir perdu son argent placé dans des actions mexicaines, il conçoit un plan incroyable : piller les statues d’un temple khmer méconnu pour effacer ses dettes d’argent !
L'archive en tête d'article relate cette incroyable histoire. Nous sommes en 1971, pour l'émission "Le Grand amphi", son épouse Clara raconte avec insouciance leur périple. Elle débute ainsi : "Il m'a dit : 'sur la voie royale qui va du Cambodge au Siam, il y a des grands temples… mais il y a aussi sûrement des chapelles qui ne sont pas repérées, classées, des monuments inconnus que nous pourrons découvrir et nous nous considérions totalement libres de prendre les objets d'art de valeur que constituent les statues qui sont à même la masse du temple'."
Clara Malraux décrit ensuite le petit temple khmer de Banteay Srei tant convoité : "Il était petit mais d'une forme parfaite… il était d'une beauté suffocante et il était dans une matière à laquelle nous ne nous attendions pas du tout. Il était en grès rose. Nous nous sommes approchés, nous les avons touchés. C'était beau ces choses vivantes."
Lorsqu'il a fallu les détacher de la paroi, elle explique que "C'est devenu complètement saugrenu… On n'était des spécialistes de rien du tout. On n'aurait pas su faire des fouilles d'archéologues. On avait l'inspiration ! Et l'inspiration ça a été de détacher les blocs de pierres ce qui a été très fatigant… Moi, je faisais le guet." Elle poursuit ainsi : "Jusqu'à Phnom Penh ça a relativement bien marché, et à Phnom Penh, c'était la veille de Noël, on nous a dit qu'on savait que nous avions pris ces statues".
"C'était vraiment une si jolie idée en soi, c'était vraiment l'aventure…"
Les autorités les arrêtent. Clara Malraux déclare que c'était inattendu pour eux tant ils étaient inconscients de la gravité des faits : "Nous avions vraiment très bonne conscience. D'abord, c'était vraiment une si jolie idée en soi, c'était vraiment l'aventure… Nous savions très bien qu'il n'y avait pas un fonctionnaire français qui ne posséda des statues khmer, or comme la vente en était interdite, il fallait bien qu'ils se les soient procurées d'une façon irrégulière."
Dix ans après cet entretien, Clara Malraux évoque à nouveau ce périple dans l'émission "Fenêtre sur". Cette fois, elle ajoute quelques informations concernant l'état d'esprit de Malraux à cette époque et tout d'abord comment lui vint cette idée de pillage plutôt incroyable. Elle raconte comment leurs nombreuses visites au musée Guimet firent naître leur passion commune pour la statuaire khmer.
Une bonne dose d'insouciance et aucun remord
Clara Malraux revient ici sur les motivations de son époux : "Nous avions de grosses difficultés financières, il fallait en sortir. André a eu ce mot que j'ai écrit dans mes mémoires : 'Vous ne croyez tout de même pas que je vais travailler ?" Et elle ajoute : "Ça m'a paru tout à fait raisonnable et puis je n'avais pas uni ma vie à la sienne pour qu'il se mette à travailler !"
Elle raconte ensuite qu'il avait été difficile d'arriver au temple perdu dans la jungle et ajoute : "La première impression, c'est que nous l'avions mérité… C'était une sorte de Trianon de la forêt. Il était dans une pierre un peu rose, d'une justesse de proportion et d'une beauté de forme ! Les statues qui étaient là m'ont bouleversées. C'était un art khmer !"
A la suite de ce témoignage, le journaliste demande à un expert, Jean-Claude Moreau-Gobard de décrire ces statues d'environ 80 cm et leur valeur. Le journaliste demande ensuite à Clara Malraux si elle n'a pas eu de scrupules ? Elle répond d'un revers de main, en riant : "Alors là non. Ça m'appartenait. Ça avait été dur d'arriver là. Il n'y avait pas d'yeux qui s'étaient posés là-dessus depuis je ne sais combien de temps. D'ailleurs, qu'est-ce qu'on a pris ? Trois statues ! Si on n'avait pas été là, les gens qui étaient là, ça dégringolait. Ça ne tenait plus debout que par une espèce de miracle ! Huit jours après les pierres auraient servi de pierres de foyer."
Pour aller plus loin
Le Cercle de Minuit : Michel Field ébat sur le pillage des oeuvres d'art par l'Occident. Le collectionneur Jacques Kerchache juge le débat dépassé, post soixante-huitard. Bernard Marcadet pense que le transport généralisé des oeuvres d'art est inévitable. (vidéo, 15 septembre 1992)
Jacques Chirac présente son projet de musée des arts primitifs (Vidéo, 8 octobre 1996)
La dématérialisation de l'oeuvre d'art (Article)