Nous étions le 4 novembre 1995, il était un peu plus de 21 h 30. À Tel-Aviv, une grande manifestation en soutien aux accords d'Oslo touchait à sa fin. L'ambiance était à la fête. Le premier ministre israélien Yitzhak Rabin, qui venait de prononcer un discours en faveur de la paix, se dirigeait vers son véhicule pour quitter la place des Rois d'Israël. À cet instant, un jeune homme armé d'un pistolet semi-automatique surgissait et tirait trois balles, tuant presque sur le coup le prix Nobel de la paix 1994.
Deux ans après les accords d'Oslo et la célèbre poignée de main sur la pelouse de la Maison-Blanche du premier ministre israélien avec le chef palestinien Yasser Arafat, l'un des principaux acteurs de la paix au Proche-Orient disparaissait. Laissant Israël en état de choc.
LES ARCHIVES.
« Madame, Monsieur, bonsoir. Le premier ministre israélien Yitzhak Rabin a été assassiné ce soir à Tel-Aviv ». À la télévision française, le Journal de la nuit de France 2 ouvrait son édition sur la mort du Premier ministre israélien, survenue « à l'issue de la plus grande manifestation pour la paix organisée à Tel-Aviv depuis 1982 ».
Sur place, le correspondant historique de la chaîne en Israël, Charles Enderlin. Avec Mossi Armon, « ils ont été les seuls à pouvoir filmer cet événement dont les images ont été retransmises par la télé israélienne », annonçait la présentatrice. Celles-ci, visibles en tête d'article, montraient notamment le meurtrier, interpellé et plaqué contre le mur. Un extrémiste religieux juif opposé au processus de paix initié par Rabin, apprendra-t-on peu après.
Jean Friedman, l'un des organisateurs de la manifestation témoignait, visiblement bouleversé : « Nous étions en train de raccompagner le premier ministre à sa voiture et un type a surgi, a tiré trois balles sur lui ». Et Charles Enderlin de commenter : « Atteint à la poitrine et à l'abdomen, Yitzhak Rabin est décédé une heure plus tard sur la table d'opération ».
Tensions politiques en Israël
Plus tôt dans la soirée, le premier ministre avait pris la parole, expliquait le journaliste, « répétant que rien n'arrêtera le processus de paix ». Puis, il avait chanté en compagnie de son gouvernement, aux côtés de Shimon Peres, une chanson pour la paix face à près de 100 000 manifestants fébriles. « Ce sont les dernières images de lui. »
Né à Jérusalem en 1922, Yitzhak Rabin avait longtemps été soldat. D'abord de l'indépendance d'Israël puis, en tant que chef de l'État-major de l'armée israélienne, de la guerre de 1967. Il avait défendu la fermeté face à l'indépendantisme palestinien. En se lançant en politique avec le parti travailliste et en devenant ministre de la Défense, il avait choisi la discussion et le compromis, de discuter avec l'OLP et son leader Yasser Arafat.
Après les accords d'Oslo, la droite et l'extrême-droite israélienne, notamment menées par Benyamin Nétanyahou, futur Premier ministre et leader du Likoud, organisèrent une violente campagne de presse et plusieurs manifestations, parfois très brutales vis-à-vis de Rabin. L'objectif : éviter le retrait israélien de Cisjordanie.
« Le peuple israélien veut la paix, il soutient la paix »
Yitzhak Rabin maintenait sa position pacifique. Dans son dernier discours de la place des Rois d'Israël, que l'on peut entendre dans l'extrait de l'émission « Une journée particulière » de France Inter ci-dessous, il appuyait son espoir pour une paix durable au Proche-Orient. « Permettez-moi de dire que je suis profondément ému, je souhaite remercier toutes celles et ceux qui sont venus manifester ce soir contre la violence et pour la paix. Ce gouvernement que j'ai le privilège de diriger avec mon ami Shimon Peres a décidé de donner une chance à la paix. Une paix qui résoudra la plupart des problèmes d'Israël », affirmait-il avec émotion.
Discours de paix d'Ytzhak Rabin
2017 - 02:00 - audio
Et de commenter son parcours : « J'ai été soldat pendant 27 ans, j'ai combattu aussi longtemps qu'il n'y avait pas de chance de paix. Mais je crois qu'aujourd'hui, cette chance existe, une grande chance. Et nous devons en profiter, pour tous ceux qui sont présents ici et pour tous ceux qui sont absents, et ils sont nombreux. » Ses propos étaient accueillis par des cris de joie, des applaudissements.
Dans la suite de son discours, qui n'est pas disponible dans l'extrait ci-dessus, il ajoutait : « La violence s’attaque à la base de la démocratie israélienne. Elle doit être condamnée et isolée. Ce n’est pas la voie de l’État d’Israël. (...) Pour nos enfants, et dans mon cas, pour mes petits-enfants, je veux que ce gouvernement exploite chaque ouverture, chaque occasion de promouvoir et de parvenir à une paix totale. (...) Cette manifestation doit envoyer un message au peuple israélien, au peuple juif partout dans le monde, au monde arabe et en fait au monde entier : le peuple israélien veut la paix, il soutient la paix. »
Israël est en état de choc
À l'annonce de sa mort le 4 novembre 1995, des Israéliens crièrent « leur colère contre la droite israélienne », racontait l'archive en tête d'article. Et dans les jours qui suivirent, des milliers d'Israéliens, « peut-être plus d'un million », lui rendirent hommage devant la Knesset, comme on peut le voir d'archive ci-dessous.
Hommage à Yitzhak Rabin, foule à Jérusalem
1995 - 02:00 - vidéo
Dans la foule silencieuse, un jeune homme expliquait à Soir 3 son émotion : « Je suis très triste, c'est une lourde faute à porter pour Israël ce meurtre de Rabin et plus encore parce que c'est un Israélien, un juif qui a commis ce meurtre ». Et certains de se montrer inquiets pour le processus de paix. « J'ai peur de ce qui va arriver ensuite », commentait une femme. Une autre se disait, en référence à la violence de la campagne politique contre Yitzhak Rabin, furieuse contre « toutes ces personnes qui l'ont traité de meurtrier et de fasciste, l'ont représenté avec des habits nazis ».
Des obsèques en forme d'espoir
Étonnement, le journaliste concluait sur une note optimiste, disant que les Israéliens « ne semblent pas inquiets quant à la poursuite du processus de paix ». En témoignèrent, peut-être, les obsèques du Premier ministre assassiné, où la plupart des chefs d'État et de gouvernement du monde entier se rendirent, laissant espérer une union au Proche-Orient.
Shimon Perès assura l'intérim avant des élections anticipées en mai 1996. À l'issue des funérailles Yitzhak Rabin, Daniel Bilalian l'interrogeait, dans l'archive ci-dessous, sur la disparition de celui avec qui il avait construit les accords d'Oslo. Visiblement très ému, il répondait : « Vous savez deux, c'est beaucoup, un, c'est très peu ». Il remerciait les dizaines de dirigeants présents aux obsèques, « un soutien pour la paix, dans le Moyen-Orient et pour l'avènement de la paix qui est assez rare à notre époque ». Et d'espérer une reprise des négociations, bien qu'il faille « surmonter beaucoup de difficultés ».
Interview Shimon Peres
1995 - 02:17 - vidéo
Rapidement, le processus de paix s'enlisa et les élections anticipées donnèrent pour vainqueur l'adversaire de Rabin et Perès, Benjamin Netanyahu.