Le 2 avril 2007, sur le plateau de Complément d'enquête, Benoît Duquesne interviewe Valéry Giscard d'Estaing, à propos du film réalisé par Raymond Depardon pendant sa campagne présidentielle de 1974. Il l'interroge notamment sur la solitude et la nécessité de se retrouver, sur le regard des autres qui change une fois l'élection remportée.
"La solitude n'est pas un châtiment, mais une nécessité"
"Vous avez été premier président à accepter un film pendant votre campagne électorale fait par Raymond Depardon qui vous a suivi. Il y a une jolie série de portraits qui sortent sur cette campagne-là, et on vous voit effectivement sur une série de photos. Mais ce qu'on voit aussi dans ce film, c'est cette solitude quelquefois. On vous voit quelquefois très seul, on vous sent seul. Seul dans cette rencontre-là. Est-ce qu'effectivement, c'est toujours une rencontre incroyablement terrible entre un peuple et un homme, l'élection" ?
"La nature du choix. Je m'étonne toujours un peu de cette histoire de solitude. L'élection présidentielle, on élit une personne ou un homme ou une femme, on n'élit pas un groupe. Une personne. Donc vraiment cette personne confrontée à ce choix, elle est seule. Elle peut avoir une famille, des amis, des conseillers, basiquement, elle est seule. Et ça n'est pas une souffrance ! Alors, il y a des hommes ou des femmes qui craignent la solitude, notamment dans la vie publique, qui ont besoin d'être entourés d'un essaim de conseillers, de communicateurs, etc. François Mitterrand était dans ce cas. Moi, non. Cette solitude elle me servait à réfléchir, remettre les choses à leur place. Parce que la campagne vous stimule ou vous excite, elle vous fait aller trop loin. Il y a trop de choses. Alors on a besoin de revenir vers soi, de savoir ce qu'est l'essentiel. Qu'est-ce que l'on veut en réalité. La solitude n'est pas un châtiment, mais une nécessité".
"Vous pensez que cette distance, elle vient du président ?"
"Vous pensez que cette distance, elle vient du président ? Mais peut-être qu'elle vient de l'opinion…" le journaliste précise un point, "il y a aussi cette solitude, cette façon qu'il a éventuellement de se couper à son corps défendant, de l'opinion du peuple qui l'a élu. Comment faire pour maintenir le contact ? Quand il y a effectivement toute une foule de conseillers, bien intentionnés autour de vous, qui vous disent ce que l'opinion pense, mais qui vous coupe de cette opinion-là" ?
"C'est un point très curieux. On n'a pas beaucoup de temps. On ne peut pas toujours faire les choses. Parce que vous pensez, quand on dit il y a une distance. Vous pensez que cette distance, elle vient du président ? Mais peut-être qu'elle vient de l'opinion… C'est surtout la façon de regarder. Cela m'a frappé avec des amis très proches que j'aimais bien, que je tutoie. Quand j'ai été élu président, leur attitude a changé, pas la mienne. Et le regard des autres vous voient dans la fonction. Il raconte une anecdote, "c'est très amusant, je rencontre beaucoup de gens à l'heure actuelle. Souvent, les gens me disent : ah, on ne pensait pas que vous étiez comme ça ! J'étais comme ça, vous me voyiez autrement. Donc dans cette affaire, si vous voulez, de communication avec l'opinion, il faut voir comment on communique. Mais il faut voir ce que l'opinion regarde et cela n'est pas nécessairement la même chose".