En période de chasse, il ne fait pas bon se promener en forêt ou en lisière de bois… Mais qu'en était-il autrefois ? Dans ce reportage, le constat était plus qu'alarmiste : 600 accidents avaient été recensés depuis l'ouverture.
Nous sommes à Heudicourt dans l'Eure où un homme venait alors de tuer son propre fils de 14 ans pendant une chasse. Quelques semaines auparavant, un autre chasseur avait été tué par l'un de ses camarades de battue. Au grand dam de la police, personne ne s'était encore dénoncé. Un journaliste décidait d'enquêter dans le milieu de la chasse et de rencontrer les témoins du drame...
"J'ai pensé : encore un qui s'est fait plomber..."
Il interroge d'abord le garde-chasse : "J'étais pour ainsi dire présent à l'accident… Moi je menais la battue. Ils ont appelé le médecin qui était avec nous "Arrêtez la battue, il y a un blessé"… J'ai pensé : c'est un qui s'est fait plomber, comme ça arrive souvent…"
Le journaliste précise : "Sur le terrain, l'accident reste inexplicable car l'on chasse en plaine, à découvert." Chacun y va de son commentaire : "Et pourtant un homme est touché"... "Le tireur était sur la route à 275 mètres et pourtant la balle a atteint le chasseur."... Ça fait 35 ans que je chasse, je n'ai jamais vu un accident comme ça !"
Le ton du journaliste se fait bucolique sur la pratique de ce sport et son climat fraternel. Il explique que le gibier a "toujours sa chance". Ce qui le choque, c'est qu'un chasseur ait été tué : "On peut être pour ou contre..., mais là n'est pas la question. Aujourd'hui on tue aussi des chasseurs. Pourquoi ?"
Viennent ensuite des images de battues, de coups de feu où les chasseurs abattent lièvres et perdrix sur un fond musical bucolique.
"On voit les yeux noirs du canon de son voisin qui se balade…"
Alors que faire pour éviter les accidents ? Les chasseurs disposent alors de confrères spécialisés dans le "freinage d'enthousiasme". C'est la fonction de ce chasseur qui confie goguenard que le jour de l'ouverture de la chasse : "C'est un peu dangereux car tout le monde a le sang chaud… ça part de tous côtés, alors les gens ont tendance à ne pas écouter. Ça va pas toujours tout seul mais c'est ce qui évite en principe les accidents."
D'autres chasseurs donnent quelques conseils pour éviter les accidents : ne jamais garder les cartouches dans son fusil en dehors des battues, tenir son arme ou cassée sous le bras ou bloquée, en hauteur sur l'épaule. L'un d'eux montre la "façon assassine" de la tenir en balayant l'espace autour de soi : "On voit les yeux noirs du canon de son voisin qui se balade…". Un autre conseille de laisser filer sa cible si on n'est pas certain d'avoir le champ libre pour la tirer...
Pleine de bon sens, une "chasseresse", propose de différencier la couleur des cartouches pour signaler les plus dangereuses.
"J'ai quand même plombé mon frère"
Les chasseurs interrogés, conscients du danger - en théorie - et parfois eux même responsables ou victimes d'incidents ne cessent de se contredire dans la suite de l'interview. Il reconnaissent que l'accident récent est certainement dû à une erreur de cartouche. Un autre explique que ce genre d'accident arrive parce que "les gens sont nerveux" et parfois inconscient du danger : "Si un fusil tue du gibier, il peut tuer un homme de la même façon."
Mais juste après avoir raconté que la chasse en plaine n'est pas dangereuse, le même raconte qu'il a quand même "plombé" son frère avec qui il chassait un jour couvert, en pensant tirer sur une perdrix…. Il poursuit :"Moi en étant rabatteur dans une chasse organisée comme la nôtre, en arrivant près de la ligne des affûts, j'ai reçu un coup de fusil. Je me suis couché pour le deuxième qui m'est passé au-dessus de la tête mais j'avais trois plombs dans le front et si c'était dans l'œil c'était pareil… bien qu'on soit entre amis, on a jamais su d'où le coup était parti…" Bonne ambiance donc !
Se dénoncer si on blesse quelqu'un ?
Un groupe de chasseurs décrit ce qu'il faut faire en cas d'accident : prévenir le président de chasse et interrompre la battue. "Il n'est pas question de dissimuler l'accident, c'est vraiment invraisemblable !"
Mais le chasseur qui a tiré sur son frère reconnait quand même que : "Quand j'ai tiré sur mon frère, on était que tous les deux donc j'ai été obligé de me dénoncer. Mais en équipe organisée, c'est quand même bien difficile de savoir…"
Un autre chasseur explique que parfois "on ne se rend pas compte qu'on a tiré une chevrotine ou une balle" et que comme il tire bien, ça lui paraîtrait invraisemblable. Il reconnait pourtant juste après qu'il a déjà "plombé des camarades" et qu'il s'est dénoncé.
Arrêter ? Jamais !
Malgré les risques, celui qui a tiré sur son frère n'envisage pas d'arrêter car il n'a [presque] "jamais fait de mal à son prochain." (Sauf à son frère évidemment...)
Aucun des autres chasseurs interrogés ne reconnait avoir envie d'arrêter malgré les risques. Un seul des interrogés dit qu'il cesserait de chasser s'il blessait quelqu'un.
Depuis si la législation a évolué, la chasse fait toujours de nombreuses victimes et pas seulement du côté du gibier...
La situation en 2018
En 2018, l'Office national de la chasse et la faune sauvage avant dénombré 131 accidents, dont sept mortels.
Pour la campagne 2018, les chiffres inquiétaient l’ONCFS (Office national de la chasse et de la faune sauvage) qui précisait en octobre 2018 :
"Novembre, le mois traditionnellement le plus "accidentogène" avec l’intensification de la chasse au grand gibier, n’a pas encore commencé, explique Jacques Bouchet, responsable du réseau "sécurité à la chasse" au sein de l’office et lui-même chasseur. Pourtant, ces dernières années, le nombre d’accidents s’affichait globalement en baisse : "Nous avions enregistré 113 accidents la saison dernière [du 1er juin 2017 au 31 mai 2018], précise-t-il. Ce chiffre est le plus bas jamais observé depuis la fin des années 1990. En 2002, nous en étions encore à 230 accidents et 40 décès. "
Un chiffre en baisse, certes, essentiellement grâce à la baisse du nombre des chasseurs. (Ils sont passés de 1,5 million au début des années 2000 à 1,12 million) et aux mesures de sécurité plus drastiques telles l'obligation depuis 2002, de passer une épreuve pratique pour obtenir le permis de chasse, épreuve censée confronter les candidats aux situations les plus dangereuses ou encore de porter des vêtements fluo par les chasseurs, devenu obligatoire dans de nombreuses fédérations.
Reste que les promeneurs et autres sportifs amoureux des bois continuent à tomber sous les balles des chasseurs, ce qui inquiètent fortement les associations anti-chasse et les citoyens amoureux de la nature.
Florence Dartois