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Le commandant Cousteau en 1970 : «On empoisonne progressivement l'océan et la vie diminue rapidement»

Le commandant Cousteau en 1970 : «On empoisonne progressivement l'océan et la vie diminue rapidement»

Le 8 juin, l'ONU célèbre la journée mondiale des océans. Plastique, rejets chimiques, perte des stocks halieutiques… Autant de problématiques actuelles dénoncées par le commandant Cousteau en 1970.

 

Par Florence Dartois - Publié le 07.06.2019 - Mis à jour le 08.06.2023
Retour de la Calypso - 1970 - 03:16 - vidéo
 

Le 8 juin est la journée internationale des océans. Ceux-ci recouvrent 70% de la superficie de la Terre. Ils sont en danger. Poumons de notre planète, ces vastes étendues d'eau fournissent l'essentiel de l'oxygène que nous respirons et constituent une source importante de notre nourriture et de nos médicaments. Les océans sont surtout indispensables à l'équilibre de la biosphère.

L'archive que nous vous proposons en tête d'article est une interview du commandant Cousteau de septembre 1970 accordée à Patrick Clément, au retour d'une expédition de la Calypso. Jacques-Yves Cousteau (1910-1997) fut l'un des grands lanceurs d'alerte sur l'état déclinant de la santé des océans. Il leur voua sa vie entière et sillonna les fonds marins à bord de son bateau scientifique, la Calypso. Lui savait que les océans jouaient un rôle crucial dans notre subsistance et dénonçait avec vigueur la pollution, la perte des stocks halieutiques. Il fait partie de ces lanceurs d'alerte qui commencèrent à sensibiliser l'opinion publique sur la situation critique des océans dès les années 70.

Le commandant Cousteau exprimait déjà très clairement les périls qui menaçaient les océans qu'il connaissait si bien. Lors de cette interview réalisée en septembre 1970, le navigateur dressait un constat glaçant de la situation. Néanmoins, optimiste, il esquissait quelques pistes simples pour éviter le pire.

« Tous les produits toxiques de notre civilisation aboutissent à l'océan »

Le commandant Cousteau partait d'un constat simple : la mer est plus polluée que la Terre. Il expliquait pourquoi : « Depuis vingt ans, on peut estimer grosso-modo de 35 à 40% la réduction de la vie dans l'océan. Les océans sont encore plus pollués que la terre et c'est normal parce que la mer est le réceptacle de tous les égouts, de tous les déchets et même les échappements de voitures finissent dans la mer. À chaque fois qu'une ménagère tue un moustique avec une bombe de DDT [il a été banni de l'agriculture par la convention de Stockholm de 2004, sauf pour la lutte contre les insectes vecteurs], tôt ou tard, ça sera lavé par les eaux de lavage des murs qui finissent dans les égouts et qui finissent dans la mer. Les retombées radioactives sont lavées par la pluie et finissent aussi dans la mer. Enfin tout fini dans la mer. Tous les produits toxiques de notre civilisation aboutissent à l'océan ». Il poursuivait en insistant sur la fragilité des océans : « Et les océans ne sont pas aussi immenses qu'on l'a cru à un moment donné. Leur volume est limité et la capacité d'auto-purification de l'océan est dépassée à l'heure actuelle. Largement, et par conséquent, on empoisonne progressivement l'océan et la vie diminue rapidement. »

Son constat était déjà alarmiste : « D'après des études scientifiques récentes. Depuis cinquante ans, il y a déjà 800 espèces qui ont disparues définitivement. Donc par extrapolation, on peut estimer qu'il y a déjà un millier d'espèces qui a disparu. Que ce soit dans l'air, sur terre ou en mer. »

Les propos du commandant sur l'impact de déclin des océans sur la vie humaine étaient sans appel et Patrick Clément s'en inquiétait : « Vous allez plus loin. Vous dites que si l'océan meurt, l'espèce humaine n'y survivra pas ! » Sa réponse fuse comme un avertissement : « Oui, c'est une chose qui n'est même pas discutable. La vie n'existe sur Terre qu'à cause de l'eau. Donc si on empoisonne le cycle de l'eau, à très brève échéance, on empoisonne également l'espèce humaine (...) Je crois que dans quelques générations l'espèce humaine serait en voie de disparition. Je suis optimiste, par conséquent j'espère qu'on prendra toutes les mesures nécessaires pour enrayer le phénomène, mais la partie n'est pas gagnée ».

Il proposait ensuite des solutions encore envisageables pour inverser la tendance. Et cela passerait par les comportements du quotidien.

La notion de « consommacteur »

Il était sans doute l'un des premiers spécialistes à responsabiliser le consommateur et à lui demander de devenir acteur de l'écologie. « Ça va dépendre de la raison, non seulement des gouvernements, mais de tous les consommateurs, de tous les gens, de tout le monde. Il faut que les ménagères, les consommateurs exigent des produits propres, c'est-à-dire des produits dégradables, des produits de courte durée. »

Jacques-Yves Cousteau va plus loin en évoquant déjà la notion de biodégradable : « Il faut vraiment, non pas des produits stables, comme ceux qu'on vend à l'heure actuelle, parce qu'ils sont moins chers, mais des produits un peu plus compliqués, un peu plus efficaces, mais plus coûteux, qui eux, se dégraderont tout seuls, sous l'influence du Soleil ou des bactéries. Et par conséquent, la toxicité de ce produit sera brève. À ce moment-là, on peut espérer nettoyer les océans et rendre l'espoir à la vie de l'homme. »

Pour aller plus loin :

En 1960, Alain Bombard, Biologiste, décrit l'origine de la pollution des océans, en particulier, celle provenant des fleuves, auprès desquels les hommes se sont installés : « Si on jetait des tonnes de saloperies, des tonnes de produits chimiques dans la mer, on obtiendrait des solutions qui seraient horriblement onéreuses et on ne pourrait plus se servir de la mer pour l'alimentation en eau de l'humanité. » (1960)

XXème siècle : Maurice Auber : les différentes sources de pollution de la mer. « Parmi les produits qui sont les plus nocifs, nous citerons bien-sûr les hydrocarbures, les détergents, les pesticides et toutes les eaux résiduaires provenant de l'industrie. » (25 sept. 1970)

En 1974, dans le journal de 13h00, Haroun Tazieff, le célèbre vulcanologue alerte à son tour à propos de la pollution des eaux. Selon lui les visions effrayantes du futur que donne le film Soleil vert dans lequel l'humanité se nourrirait de ses morts, « ne sont pas des mythes (...) Cet avenir est tout à fait possible. Dans le sud de la Mer Rouge, vous avez du mazout qui flotte, vous avez des plastiques qui flottent. La pollution gagne le bien le plus précieux de l'humanité qui est l'eau. L'eau douce qui est essentielle. » (1974)

Alain Bombard sur l'origine de la pollution marine et les moyens de la combattre. Il est à l'époque le conseiller écologique de François Mitterrand et explique que la mer est une poubelle, mais que le problème, depuis 250 ans, c'est que les objets que l'homme fabrique sont indestructibles et que l'océan ne peut plus les recycler. « C'est de là » que vient selon lui la pollution : « Malheureusement nous n'avons pas les technologies pour la combattre ». (1979)

Les éboueurs atomiques. Reportage sur les hommes chargés de la vérification de la qualité de l'eau de mer et du traitement des déchets radioactifs. (1970)

Le Prince Rainier de Monaco sur la pollution en Méditerranée. (1963)

Etude de la radioactivité en mer Méditerranée. (1963)

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